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UNIVERSITY OF

NORTH CAROLINA

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DIALECTIC AND PHILANTHROPIC

SOCIETIES

V780.9 B7/7h

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HISTOIRE

D E

LA MUSIQUE,

ET DE SES EFFETS,

Depuis fon origine jufquà prefent.

D E D I £' E A S. A. R. MONSEIGNEUR

LE DUC D'ORLEANS.

Volume in douze , 50 fils.

A PARIS,

^J e A n Cochart, au Palais , dan» S la grande Salle, au fécond Pillier. IEtienne Ganeau, rue S. Jacqut Chez<£ vis à vis la Fontaine faim Scverin, I aux Armes de Dombes.

Jacqje Qu illau, rue Galanie, ^ aux Armes de rUniverfitc.

M D C C X V.

'Avec Approbation é* frivilegt du ^,

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\

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http://archive.org/details/histoiredelamusibonn

SON ALTESSE ROYALE MONSEIGNEUR.

LEDUC D'ORLEANS.

jONSEIGNEUR,

Lafingularitêde l'Hiftoirede la Mufîque , femble autorifer la liberté que je prend de h con- férer a votre Jltejft Royale.

M

KV**^ * «.- o .r»

■l

E P I T R E. C'eft une Héroïne y qui après avoir parcouru depuis quatre mille ans , toutes Us Cours du Monde , vient lui rendre compte de Ces Conquê- tes > comme k fonProte fleur 9 & au Prince des plus éclaire^ de l'Europe.

Le favorable a%ile que vous lui donne^ Monseigneur, fera pour jamais un monument de l'ejlime & du goût que vous ave^ pour elle , & fervtra d'Epoque pour marquer le tems ou la Mufque Françoife a égalé & peut -être furpafîê celle des autres Nations , par les grands progrès quelle a faits depuis ï établi ffement de ï Académie Royale de Adufque

E P î T R E. dans ce fiorifjant Royaume.

Ce feroit aujji un prétexte 5 Monseigneur,^ parler des qualité^ éminentes de V. A. R. mais un profond refpecl & fe fmplicité de mon Jlyle , ne me permettent pas d'entrer dans ce détail.

Il me convient £ admirer

feulement dans votre véugyftc

Perfonne , un Prince qui efl

autant au-dejfus des autres par

l'excellence de fon génie 3 par

fa pénétration dans les Sciences

& les Arts 3 que par fa naif-

fance; un Héros dont la valeur

fervira d'exemple a la Pojle-

rite ; un Prince enfin _, dont U

magnificence 0" l'affabilité t ont

toujours fait regarder comme

a iij

E P I T R E. un des plus chers Objets de l'a- mour des peuples : trop heureux, Monseigneur y files foins que f ai donne^ a compo fer cette Hifloire , dont V. A. R. con- noît toute t étendue , peuvent lui être dfje^ agréables pour me faire mériter l'honneur de fa, proteftion y& celui de médire avec un très-profond refpeéî,

Monseigneur,

De votre AlteiTe Royale,

le très -humble & le très- ©béïifant ferviteur, Bonnet,

P REFACE.

JE ne me ferois jamais avifé de faire l'Hiftoire de la Mu- fîque depuis Ton origine jufqu'à prefenc 5 je n'aurois pas mê- me ofé l'entreprendre fans des Mémoires aflez curieux fur ce fujet3 que j'ai trouvé parmi les Manufcrits de l'Abbé Bourde- lot mon oncle , auflî connu des Sçavans par ks Ouvrages , que par fon Académie des Sciences, de dans ceux de Bonnet Bour- delot mon frère , Médecin or- dinaire du Roy , & premier Médecin de Madame la Du- chefle de Bourgogne.

J'ai joint à ces Mémoires par le fecours des Biblioteques pu-

i iiij

PRÉFACE.

bliques & particulières, ce que j'ai pu recueillir de plus utile de plus agréable , dans une par- tie des Auteurs qui ont traité de la Mufique avec réputation, pour tâcher de me conformer au bon goût du Siècle.

Mais quoique plus de douze cens Auteurs ayent traité de cette Science, pas un ne s'etë hazardé d'en faire l'Hiftoire, du moins en notre Langue , foit à caufe de l'incertitude du fuccès, ou foit faute d'y avoir penfé , ce qui m'a réduit à la compofcr. feulement fur les rè- gles du bon fens : ainfî il ne fera pas furprenant fi je me fuis mépris quelquefois pour les ex- preflîons dans les termes de l'Art, & dans l'arrangement des faits qu'il eft difficile de rap- porter fuivant l'ordre des tems, à caufe de leur antiquité & dont

P KBTAC B. on ne peut parler avec certitu- de } mais ieulement fur ee que l'Hiftoire nous a confervé des plus fameux Muficiens qui fe font diftinguez dans leur Art5 bailleurs, il eft bien mal-aifé de perfectionner un Ouvrage au point qu'il le faut aujour- d'hui , pour être digne de l'ap- probation des Connoifleurs, & pour l'exempter de la cenfure des Critiques qui préfident au- jourd'hui dans certains lieux publics, comme fous les Por- tiques des Grecs.

Quoi qu'il en foit , j'ai tâché de découvrir par mes recher- ches l'origine de la Mufîque. Elle pafle pour la première Science du Monde , au fenti- ment de Timagene de de Quin- tilien, qui difent même qu'elle eft agréable aux Effences im- matérielles.

PREFACE.

Thaïes, Pythagore & Pla- ton, pretendoient que la Mu- fîque etoit un Concert de tou- tes les perfections imaginables $ ils en avoient fait des Traitez fort curieux , dont nous n'a- vons la connoiflance que par tradition j mais il nous en refte encore d'afïez beaux 5 comme de S. Auguftin, d'Ariftoxene, d'Euphranor, d'Archytas ,d'A- riftote, de Plutarque&de Pto- lomée, fans compter les Auteurs Modernes, comme faint Gré- goire, Guy TAretin, Glarean, Zerlino, êc du Père de Mer- cene Minime. C'eft. en partie dans les Oeuvres de ces grands Muficiens que j'ai cherché des éclairciflemens pour la compo- sition de cette Hiftoire, comme dans quantité d'autres , donc j'ai eu befoin, & que j'ai trou- vé dans la Biblioteque du Roi

PREFACE. par le moyen de M. Clément fous-Bibliotequaire, qui avoir une parfaite connoiflance des Auteurs qui ont traité de la Mufique. J'en ai fait quatorze Chapitres les plus fuccints5 & avec le plus d'ordre que j'ai pii pour l'intelligence du Lecteur. J'ofe me fkter que la le&ure n'en fera pas inutile > du moins à ceux qui, font dans le goûc de la AMufique , 6c dont les oc- cupations ne permettent pas de s'appliquer à de pareilles recherches. J'efpere auflî que les Muficiens me fçauront bon gré de leur avoir donné une connoiflance parfaite de leur Art. étant perfuadé que les uns & les autres y trouveront des fingularitez qui leur feroient tout à fait inconnues, fans les foins que je me fuis donné pour les faire renaître..

TABLE

DES CHAPITRES

Contenus dans ce Volume.

C H A P. I. T~X E l'origine des quatre JlJ Syftêmes de la Mufi- que vocale & infirumentale , Page i. C h a P. II. Des quatre modes princi- paux de la Mufijue , ou chants au-

tentiques , 32.

C h a p. III. Sentimens des Philosophes,

Poètes 3 & Mufic'iens de l'Antiquité* fur l'ufage de la Mufique vocale 9

injlrumentale , & de fes effets fur les

paffions , 44-

C h A p. IV. Delà Mufique artificielle

fttivant les règles de la Mécanique^ 79 Chap. V. la Mufique des Hébreux

& de leur opinion fur fon origine, 87 Chap. VI. De la vénération que les

Grecs av&ient pour la Mufique , & de

leur opinion fur fon origine, 10S

Chap. VIL De l'inftitution des Jeux

Olympiques , & des prix defî'mez. pour

la Mufique , 16 ©

C H A P. VIII. De V opinion des Chinois far l'origine de la Mufique , & de Imrs Fêtes particules es , 1 6 9

ÇhaPj IX. De Mtabliffement de la Mufique chez. Us Romains, & de leurs Fêtes publiques , 190

Chat. X. De l'établijfement de la Mufique & des fpeftacles en France , depuis les premiers Gaulois , 255

C H a p. XI, Des fêtes & des Jeux particuliers qui font en nfage dans dif- férentes Cours de l'Europe , & mime chez, les Ferfes , pour la célébration des mariages des Souverains , & à la naijftnce des Princes, 34.5

C h A P. XII. Dtjfertation fur les dif- férentes opinions de la Mufique , & des Opéra d'Italie, de la Mufique Françnfe ; & defes Opéra , 42 f Chap. XIII. De la fenfibilitè que les animaux ont pour la Mufique , 4 6$ Chap. XIV. Conclufion de V Bi foire de la Mufique y 4S2.

Fin de la Table.

A? P ROBATION.

J'A i lu par ordre de Monfeigneur le Chancelier un Manufcrit qui a pour titre Hiftoire de la, Mufique, & je n'y ai rien trouvé qui en puifle empêcher l'impreflion. Pait à Paris ce quinzième Novembre mil fept cens quatorze. Signé, de Vertot.

PRIVILEGE DV R OY.

LOUIS parla grâce de Dieu Roy de Franee &de Navau«, à nos amez & féaux Confeillers , les Gens tenans nos Cours de t'ailement, Maiftres des Requcftes ordiuaircs de noftre Hoftel, Grand Confeil , i/revoft de Paris, Baillits, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils, 6c autres nos Juftieiers qu'il appartiendra, Salut. Noftre bien amé Jacques Bonnet, Nous ayant fait remontrer qu'il de- fïreroit faire imprimei un Une qu'il a compofé , intitulé Hijtcire de la Mu/ique çr de fis Effets , depuis fon orient ju/quà prejent , qu'il defireroit donner au public , s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège fur ce neceflaires : Nous avons permis cV permettons par ces prefentes de fa ie imprimer ledit Livre en telle forme , marge caractère , conjointement ou féparément , &c autant de fois que bon lui femblera , de de le faire vea- dre Ôc débiter par tout noftre Royaume pendant le temps de fix années confécutives , à compter da jour de la datte defdiccs prefentes. Faifons défenfes à toutes lortes de perfonnes de quelque qualicé & condition qu'elles t'oient , d'en introduire d'im- preflion étrangère dans aucun lieu de notre obéif- iance ; & à tous Imprimeurs, Libraires, & autres d'imprimer , faire imprimer , vendre , faiie vendre,

débiter ni contrefaire ledit Livre en tout ni pat- rie , fans la perraiition exprcfle & par écrit dudic Expofant , ou de ceux qui auront droit de lui , à peine de confifcation des exemplaires corurefaus t de trois mille livres d'amende contre ehacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hoftel-Dieu de taris, l'autre t.ers audit Expo- fant , & de tous dépens , dommages , & interefts. A la charge que ces preientes feront enregistrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Im- primeurs & Lieiaires de Paris t Se ce dans trois mois de la datte d'icellcs ; que l'impreflion dudic Livre fera- faite dans noftre Royaume & non ail- leurs , en bon papier &. en beaux caractères , con- formément aux Reglemens de la Librairie ; & qu'a- vant que de les cxpoièr en vente , il en fera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publi- que , un dans celle de notre château du Louvre, ic un dans celle de notre très cher &: féal Cheva- lier Chancelier de France le Sieur Voyiin , Com- mandeur de nos Ordres s le tour à peine de nul- lité des Préfentes ; du contenu defquelles vous man- dons ôc enjoignons de taire jouir l'Expofant ou fes ayans caufe pleinement & paisiblement , fans fouf- frir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêche- ment; Voulons que la copie defditcs l'iéfentes qui fera imprimée au commencement ou à la fin du- dit Livre foit tenue pour duement lignifiée , & qu'aux copies collationnces par l'un de nos amez bc féaux Confeillers & Secrétaires foi foit ajouté* comme à l'Original : Commandons au premier no- tre Huilîîci ou Sergent de faire pou: l'exécution d'icelles tous Aûes requis c< necellaires , fans de- mander autre permiifion , & nonobttant clameur de Haro , Charte Normande àc Lettres à ce con- traires ; Cartel eft notre plaiiir. Donné à Verfailles le vingt-troiiiémc jour du mois de janvier , l'an de grâce mil fept cens quinze , 6c de notre Règne le foixaatc - douzième. Par le Roy en fon Confeil. Signé , Lamolere. Et fcellé du grand Sceau de cire jaune.

Il eft ordonné par Edit de Sa Ma;eftc de \6%£ , fc Arrcfts de fon Confeil , que ^es Livres donc

l'impreflion fe permet par chacun des privilèges, ne feront vendus que par un Libraire ©u impri- meur.

Regiftré fur le Regifire , n, 3 de la Corn* munauté des Libraires & Imprimeurs de Paris y page 901,». 1157 , conformément *uk Reglemens , & notamment a l'Arreft du 15 Aoufl 1703. A Paris le iS janvier 171;- Signé yXcBUSTit, Syndit.

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HISTOIRE

DE

LA MUSIQUE,

ET

DE SES EFFETS,

Depuis fon origine jufques à prefent.

CHAPITRE PREMIER.

De l'orlg'me des quatre Syftêmes de la Mu- ficjue , fuivant l'opinion des Philofifhes , Poètes , & Mnficiens de î Antiquité.

A Mufîque eft devenue fi rloriffante en France depuis le règne glorieux de notre grand Monarque , par fon attention favorable à l'avancement

A

i Histotre de la Musique, des beaux Arts , que je fuis perfuadé qu'on me pardonnera la hardiefle que je prends d'en compofer l'Hi- ftoire depuis Ton Origine : hardiefle d'autant plus grande que pas un de nos Hiftoriens n'a encore ofé l'en- tre prendre 9 ou plutôt faute d'y avoir penfé.

Je ne traite pas feulement de l'O- rigine Se des progrès de la Mu fi que Francoife , mais auiïï de celle des Nations les plus confiderables de toutes les parties du Monde.

Quantité d'Hiftoriens, Se de Re* lations de Voyageurs , nous appren- nent que la Mufique eft en ufage par tout l'Univers ; mais fort peu nous inftruifent de fon Origine , êc de fes progrès : quoiqu'il y ait bien de l'apparence qu'il pût y avoir des Peuples qui ont leurs principes & des caractères particuliers pour la compofition du Chant , 6c pour Pu- fa ge des Inftrurnens de Mu fi que , comme auflî des opinions différen- tes fur l'Origine de l'un 6c de l'autre. Tels étoient les Egyptiens , lesChal- déens > les Phéniciens^ 6c particu-

ET DE SES EFFETS, $

l'ierement les Grecs , qui ont été de tout temps en conteflation avec ces Nations pour les prérogatives de l'invention des Sciences & des Arts. Cependant leSyftême de la Mufî- que des Grecs , ou de Mercure , fem- ble avoir été reconnu pour le pre- mier de l'Antiquité, & reçu comme une loi générale dans une partie de l'Aile, de l'Afrique, Ôc par toute l'Europe , parcequ'il renfermoit un ordre par le Tetracorde , & une con- stitution pour la compofîtion de la Mufique Vocale, Se Inftrumentale diatoniquement, ou un ordre natu- rel fuivant les premiers principes de Mercure , fils de Jupiter & de Maja, l'une des fept Pléiades ; c'eft fur le fondement de ce premier Syftême, que les Grecs lui attribuent l'inven- tion de la Mufîque, outre qu'il in* venta encore la Lyre à quatre cor- des , tendues fur l'écaillé d'une Tor- tue , dont les accords de la plus baf- fe , répondoit à la note mi , & les trois autres à celles de fa 3 fil y la % qui marquoient les quatre tons , ou modes principaux de la voix, qui

Aij

4 Histoire de la Musique 3 pafTent pour les premiers fondemens de laMufique.

Diodore, Sicilien, dans fon Hiftoire des Antiquitez, dit auflï que ces qua- tre cordes avoienc rapport aux quatre Saifons de Tannée, tk que Mercure fit prefent de cette Lyre à Apollon , dans le temps qu'il étoit Pafteur des troupeaux du Roy Admete ; il la don- na enfuite à Orphée , avec laquelle il augmenta les premiers principes delaMufique, comme fit aulîi Am- phion, par les doux accords de la voix , & de fon Luth. Diodore pré- tend encore que Lin , Mafée, & Al- cée, furent les premiers Poètes Ly- riques de l'Antiquité, qui compofe- rent des Cantiques & des Hymnes, pour marier la voix aux fons des In- ftrumens , dont la méthode fut en- fuite perfectionnée par le Poète Ter- pandre, très-excellent Muficien, & qu'Eraton , l'une des "Mufes , con- tribua beaucoup aux modulations , pour adoucir l'ufage du chant rufti- que de la première Antiquité.

Tous ces grands génies avoient joint l'étude de la Philofophie, à

ET DE SES EFFETS. J

celle de la PoéTie , & de la Mufique ; de forte qu'avec toutes ces Sciences , ils attiroient facilement l'admiration desPayens, qui les révéroient com- me des Prophètes , des Enthomia- fles , ou comme des hommes Di- vins.

C'efl pourquoi les Grecs mirent Mercure au rang des Dieux , & l'ont reconnu pour l'inventeur des Scien- ces, de des Arts, environ l'an 2115 du monde.

L'on ne doit pas, ce femble, m'objecter que ce premier fyftême de Mufique, n'eit établi que fur la Fable, ou fur des narrations allégo- riques , & fur des ridions des anciens Auteurs , qui ne paroiffent pas être un fondement certain , ni inconte- ftable.

Je répond à cela , que tout ce qui fe trouve dans la Fable, & dans le Traité de la Théogonie , ou Généa- logie des Dieux fait par Héfiode , n'eft pas abfolument fabuleux , aux fentimens mêmes de plufieurs Sça- vans modernes , dont nous avons les Ouvrages tirez des fujets Hiftori-

A iij

S HlTOÎRE DE LA MUSIQTTE,

ques, & Poétiques de l'Antiquité, comme quelques Traductions des Oeuvres de Platon , 3c de la vie de Pythagore par M. Dacier, l'Etude des Poètes du P. Thomaffin, l'Art Poétique du P. le Botfu , parlefquels ils prouvent que tous les Philofo- phes , les Poètes , les Mufîciens dont j'ai fait mention dans ce premier fyftême, ont été effectivement $ ôc que Mercure n'a pas été le pre- mier inventeur de la Mufîque , du moins a t-il pu être le premier qui en a donné les préceptes aux Grecs, ô\r que Terpandre , l'un des plus grands Mufîciens de l'Antiquité, les augmenta confîderablement.Je crois que ces preuves font fuffifantes pour autorifer l'opinion qu'on doit avoir de ce premier Syftême , fans avoir encore befoin de celle du P. Pezron, qui a démontré dans fon Traité de l'Origine des François , qu'il y a eu effectivement des Titans , un Celus, ou Uramus , comme des Saturnes , des Jupiters, des Mercures , êcc. dont les uns ont été Rois de Crète , &c que les Ecrivains de leur temps , en ont

ET DE SIS EFFETS. 7

marqué les règnes , & les principaux évenernens. Il eft vrai néanmoins qu'ils ont inventé bien des chofes à leur louange à caufe des bienfaits que ces Auteurs en recevoient, corn- nie il fe pratique encore aujourd'hui dans bien des Cours de l'Europe ; mais cela n'empêche pas , dit le P. Pezron, que le fond, ou le canevas de l'HHtoire qu'ils ont falfifiée, ne foit vrai 3 puifqu'elle fe rapporte non feulement à la Chronologie , mais encore qu'elle s'accorde par- faitement dans les principaux faits, avec les Hiftoriens les plus exacts , Se les moins fuiets à la flatterie , Se aux vifionsfabuleufes de l'Antiquité. Quoiqu'il en foit, le Syîtême de Mercure fubfifta chez les Grecs en- viron 15 00 ans, ou jufqu'au temps de ce fameux Philofophe Pythagore, auteur de la Metempficofe, Se Chef de la Secte des Philofophes Pytha- goriciens. Il fut encore l'inventeur du fécond Syîtême de Mufique, par le moyen des idées profondes qu'il avoic- des Mathématiques , jointe à une imagination heureufe pour la

A iiij

S Histoire de la Musique , composition de la Mufique, ce qui lui donna lieu d'inventer un infini- ment appelle Momchorde , qui fert à trouver les proportions &: les quan- tiré des ions , pour régler l'harmo- nie fur les principes des Mathémati- ques. .11 inventa encore une efpece de Luth, ou de Lyre, compofée de fept cordes , au lieu que celui de Mercure n'étoit que de quatre. On tient même que Pythagore imagina les fept cordes , par rapport aux fepc Planectes, dont il croyoit les mou- vemens mélodieux. Elles lui fervi- 1 rent comme de modèle pour trouver les fept tons principaux de la voix , tant eih'mez des plus fameux Mufl- ciens de l'Antiquité ; ce qui fit aban- donner le premier Syftême de Mer- cure.

Quoique Pythagore crut avoir trouvé la dernière perfection des tons , & des modes , les plus infi- nuans de la Mufique ; néanmoins quelque temps après , un nommé Sy- monide, fçavant Muficien , trouva encore l'invention d'y ajouter une huitième corde , qu'on appella I'ajqh-

ET DESES EFFETS. 9

tie > pour former un huitième ton ; afin de mieux accompagner les ac- cords de la voix à ceux des Inftru- mens , fans fortir néanmoins des principes du fécond Syftême. Mais Ariftoxene , natif de Tarente , & dif- ciple d'Ariftote , & l'un des plus profonds Muficiens de l'Antiquité, foutenu par Didy me, aufïi grand Mu- ficien , attaquèrent ouvertement le Syftême de Pythagore, fur ce qu'il prétendoit que Ton devoir juger des fons, par les règles des Mathémati- ques -, 8c ceux-ci prétendirent que le difcernement en devoir être attri- bué au jugement de roiii|pj>, ce qu'- Ariftoxene fit voir par l'invention d'un Inftrument qu'il inventa , ap- pelle Thetracorde 9 compofé de qua- tre cordes , pour trouver un ordre pour les fons, ou voix diatoniques, que l'on nomma quarte , qui tire fon origine de la proportion Sstjui-tierGe 4, 3 , qui divifant i'o&ave arithme- thiquement, fait la différence des modes , pour trouver aufïi les con- fonnances , & les âijfonnances des tons , fuivant le jugement de l'oreille

A v

io Histoire de la Musique, du Muficien, qui marque les inter- valles -y mais les Grecs , pour ne point décruire le Syttême de Pythagore , donnèrent feulement à celui d'Ari- ftôxene , le nom de Tempcrarnment ; ce qui forma une Se&e nouvelle de Mudciens ; néanmoins la méthode de Pythagore fubfîfta encore cinq ou fix cens ans chez les Grecs, fous le nom de Syftême immuable Diatoni- que y & Pythagorique ; les Grecs s'érant perfuadez qu'on ne pouvoit pouffer l'Art de la Mufique plus loin que Pythagore l'avoit fait.

Mais comme de temps à autre, la Nature f^ble fe plaire à produire des hommes douez d'un efprit ex-» cellent , pour contribuer à la perfe- ction des Arts & des Sciences un Phrygien nommé Olympe, fut de ces génies heureux favonfé de la Natu- re, & orné des talens les plus diftin- guez pour la compofition de la Mu- fique ; il parut à Athènes environ Tan $6oc du Monde, au grand éton- nement des Grecs , qui fe croyoient au-deflus de toutes les Nations , pour l'invention des Sciences & des Artsj

ET DISES EFFETS. Il

cependant Olympe, après avoir été à quelques fpe&acles dans Athènes , ©ùlaMufique brilloit beaucoup dans les Intermèdes des pièces de Théâ- tre, 8c après avoir approfondi le Sy- ftême de Pythagore , remarqua que les huit tons principaux pafloient trop vite de l'un à l'autre , ce qui rendoit fa Mufique trop dure , étant dépourvue des agrémens des fem - tons , inventez depuis par ce fameux Olympe, lequel s'avifa de compo- fer un Inftrument de la même forme que celui de Pythagere, & de pofer une corde plus déliée dans chaque intervalle , ou diftance des huit .pre- mières ; de forte que l'Inftrument inventé par Olympe, produisît heu- reufement les iept fim - tons Ci con- fiderables, 8c fi eflimez des Mufî- ciens , 8c qu'il fit en l'honneur des Pléiades , que les Poètes dife$t être filles cTAtlas 8c de Pleïone ,. ou des fept Etoiles qui s'élèvent à la fin du Printemps , aufquelies cordes , ou; femi-tonsy il donna des noms tirez des Mathématiques , & de la Mufi- que3 que je pourois rapporter ici^.

A vj

il Histoire de la Musique, ïî je les croyois de quelque utilité au Lecteur.

Il fuffit de (bavoir qu'Olympe renferma par Ja compofîtion de fon Syftême^les trois genres principaux de la Mufique Vocale , & Inftrumen- tale , qui font le Diatonique , le Chro- matique, & Y Enharmonique , dont je donne l'explication dans un Chapi- tre particulier.

Les Grecs donnèrent à ce troifié- me Syftême le nom de Genre épais , & de condenp y qui veut dire, Mufi- que complette,*el qu'il eft expliqué dans les Traitez de Mufique de Meï- bonius , de Kircher , & du P. Mar- fenne. Cet Olympe donna encore aux Grecs l'ufage des Flûtes Phry- giennes , dont ils fe fervirent pour la célébration des Fêtes folennelles, au rapport de Diodore , Sicilien , de Polidqre Virgile , 8c d'Alexandre de' Sarde, dans leurs Traitez de la re- cherche de l'origine des chofes de l'Antiquité.

Enfin ces trois fameux Syflêmes de Mufique, donnèrent lieu à quan- tité de Muficiens d'inventer une in-

ET D! SES 1FFJETS. 1$

fînité de caractères , de lettres cour- bées, couchées; de nottes différen- tes , Se d'autres figures bigarées , qur n'étoient pas moins fatigantes à la vue, qu'à la mémoire , Ôc dont le nombre montoit à plus de douze cens , ce qui rendoit la Mufique aufîi difficile à apprendre , qu'embaraf- fante pour l'exécution : fans parler du comma ( qui fert à divifer un ton plein en neuf parties, dont quatre font le fernl-ton mineur, ôc cinq le femi-ton majeur) inventé par Ariito- xene , pour juftifier fon opinion con- tre leSyftême de Pythagore.

Mais les Latins , peuple d'une pe- tite contrée d'Italie , ôc fort attachez à la Mufique , avant que d'être fou- rnis aux Romains l'an 3714, pour éviter toutes ces difficultez , en fup- primerent la pîas grande partie, ôc fubftituerent en leurs places , les quinze premières lettres de l'Alpha- bet , dont chacune marquoit la dif- férence des tons de voix j ils* en compoferent une table que je rap- porte ici, qu'ils appellerent gamme 9 par rapport au gamma, des Grecs ,

14 Histoire de laMusiqtje, comme ledit ce fameux Philofophe Apollonius :

A. la tmirè. G. fol, ré. Ht. F. fa , Ht.

E'.ïdj mi

D, Ujfo^ut.

C.fol,la,Ht. B.fa, B,mi A.la9mitré.

G.fol>fa>re. F. fa a Ht.

E.la, mi. D. fol, ri. C.fa,Ht. B. mi A. ri.

Les principes de la Mufîque des Latins, furent encore perfectionnez par le fçavant Boéce, à fon retour d'Athènes, l'an 502 de Jefus-Chrift t Sa profonde érudition lui fufcita tant d'ennemis , qu'il lui en cou- ta la vie, ou fur les foupçons que Theodorique Roy des Gots, dont il étoitle premier Minirire, eut de fon intelligence avec l'Empereur Juftin, comme le dit Cafïiodore.

Cependant la méthode de la Mu- fîque des Latins , quoiqu'infîniment plus aifée que celle des Grecs, ne fubfifta dans toute l'Italie, que juf- qu'au temps du Pape faint Grégoire le Grand, l'un des grands génies *le

ET DE SES EFFETS. Ij

ion temps , & trcs-fçavant Mulîcien, au rapport de Garïarius, & de Kir- que , fameux Mulîciens , qui difent que ce Pontife ayant remarqué que les huit dernières lettres de l'Alpha- bet de la gamme des Latins , ne fai- foient qu'une répétition , ou une oc- tave plus haute que les fept premiers Tons, il lesreduitu aux fept premiè- res lettres , que Ton réïceroit plus ou moins , tant en haut qu'en bas , fé- lon l'étendue des chants, des voix, & des inrtrumens , fans altérer néan- moins le fond des Syitêmes de la Muiîque des Grecs , lefquels fubli- fterent encore jufqu en l'an 1114. de Jefus-Chriil ; Que Guy Laretin in- venta le quatrième Sy ftême , que Ton appelle le moderne. Mais avant que d'en parler, je vais faire voir l'ori- gine & l'établilTement de la Mufique dans l'Eglîfe Romaine, qui fut aug- mentée eonfidetâblement dans les choeurs des Cathédrales , par l'ordre de faint Grégoire , ce qui mit les, Muficiens en bonne réputation pen- dant fon Pontificat ; & l'on peut mê- me dire qu il établit par une Acade-

îC Histoire de laMusique, mie fpirituelle de Mufique, puifque les enfans de Chœur font regardez comme la pépinière des Muficiens , èc des Chantres de l'Eglife Romaine.

Saine Auguftin dans Tes Confef- fions , Livre 9 , nous apprend que ce furent faint Ambroife & le Pape Damafe, qui établirent les premiers la Mufîque dans l'Eglife, environ Tan 373 de Jefus Chrift, afind'enga- ger le peuple à afîifter plus volon- tiers au Service Divin ; -lequel avant ce temps- fe célébroit en chantant le plein Chant , ou en pfalmodiant de différentes façons . comme on le pratique encore aujourd'hui pour l'Office des Morts, & dont l'ufage de plalmodier alternativement par- mi les Religieux , eft attribué à faint Ignace , Evêque d'Antioche , ce qui lui vint en penfée comme une efpece de révélation , au dire de Polydore- Virgile, Liv. 6,

La Mufîque attiroit fouvent par «curiofité les Gentils dans les Eglifes, ils fe trouvoient quelquefois fi édi- fiez des cérémonies & du culte ex- térieur de la Religion ? qu'ils ne

ET DE SES EFFETS. 1 7

fortoient point de PEglife fans de- mander le Baptême.

Tertullien, ce fameux Interprète de l'Ecriture , dit encore que dans la primitive Eglife , les Chrétiens atfembloient les nuits, la veille des Fêtes, pour chanter des chanfons fpirituelles , & des Cantiques à la gloire de Dieu. Il ût même une Apo- logie en leur faveur fur ces afTem- blées nocturnes, l'an 201 -, mais par la fuire des temps, S. Jérôme ayant remarqué que partie des Chrétiens de l'un Ôc de l'autre fexe , abufoient confiderablement de ces alTemblées no&ures, en compofant des chan- fons amoureufes Se diiîblues, pour exprimer leurs paillons ; ce qui fut même un prétexte dont fe fervit Vi- gilance , fameux Gaulois , & fçavant Théologien , pour fe faire hérétique : Saint Jérôme, dis -je, en fit fes re- montrances au Pape Damafe , le- quel, pour éviter un plus grand defor- dre , abolit l'ufage de ces alfemblées. Il inftitua les jeûnes les veilles des Fêtes j & depuis ce temps-là l'Egli- fe n'a confervé l'alTemblée nocturne

iS Histoire de la Musique , que pour la nuit de Noël, en mé- moire dz la Nativité de J. C. Il eft à croire même que les chants des vieux Noëis , que les Orgues- jouent pendant la MelTe de minuit, vien- nent de l'ancien ufage des premiers Fidèles. On trouve encore dans les Antiquitez de Fauchet , Liv. j. clu 13. que ce fut le Pape Vitalien qui inftitua les Orgues dans les Eglifes Tan 660. Il prétend même que ce Pape fut le premier qui inventa le chant des Hymnes Latines.

Cependant l'établiflement de la Mufique dans les Cathédrales de l'Eglife Romaine , quoiqu'inftituée par dirTerens Papes , & Pères de l'E- glifes, n'a pas laiflé de trouver de grands hommes qui l'ont improu- vée, entr'autres faint Athanafe , Evê- que d'Alexandrie , t'interdit abfolu- ment par toutes les Eglifes de fon Diocefe, au rapport de S. Augaftin, Livre 10. de fes Confeffions , qui avoue lui-même avoir eu plus d'at- tention à la fimphonie de l'Eglife, qu'à la parole de Dieu j mais à la fin on a cru que la Muflque pouroit

ETDESES EFFETS. l<?

s'accorder avec la dévotion , outre que de tout temps l'on a regardé la Mufique de laPoëfîe, comme partie de l'apanage du culte de toutes les Religions.

La Mufique parut encore plus fla- riiîante que jamais dans faint Pierre de Rome, fous le Pontificat de Léon X. pareequ'il étoit. très-excellent Muficien, Ôc d'une grande magnifi- cence, comme il le fit voir à Boulo- gne dans Pentre-vûe de François I. Tan 1550.

Polydore-Vergile, dans Tes Anti- quitez , dit que Sabinien , Succeffeur de faint Grégoire, l'an 606 , fut le premier Pape qui ordonna que le peuple fût averti , pour venir au Ser- vice Divin , par le fon d'une cloche, que l'on plaça dans une petite élé- vation au-deifus de la porte des Egli^ fes, qui eft l'origine des clochers, &.d'oi\ font venues ces grofles fon- neries, & les grands carillons que nous entendons aujourd'hui pour les Fêtes folemnelles. On trouve dans les Antiquitez de Fauchet , que ce fut le Pape Jean XV. qui inftitua

Histoire de la Musique, l'ufage de bénir les cloches Tan 98^, & que les premières ont été fondues àNaples l'an fixcens quatre j'& que le Pape Jean IV. fut celui qui infti- tua l'Angelus en l'honneur de la Vierge , en faifant fonner la cloche trois fois à fix heures du foir Tan

Mais je m'apperçois .que je me fuis fort écarté de mon fujet, en fai- fant voir l'origine de l'établiflement de la Mufique dans l'Eglife Romai- ne ; j'ofe néanmoins me flatter que cette digreïïïon ne fera point defa- gréable au Lecteur.

J'ai déjà dit ,. que le troifîéme Syftême de la Mufique des Grecs de des Latins > reformé par S. Gré- goire le Grand , fubfifta jufqu'en l'an mil vingt- quatre ; ce fut dans ce temps- que l'Italie produifit un nommé Guy Laretin , natif de la ville Darezze en Tofcane , doué d'un excellent génie pour la Mufique , il étoit Moine Bénédictin de Notre- Dame de Pompofe, dans le Duché deFerrare. Ce grand Muficien ayant remarqué que les noms que les An-

JET fe E SES EFFETS. II

ciens avoient donnez aux modes , ou tons , de leur Mufique , croient trop embarrafians par leur longueur, inventa un quatrième Syftême, qui fut reçu avec autant d'admiration que d'applaudiflèment, de tous les Muficiens de l'Europe, ôc reconnu pour le fondement de la Mufique moderne, en fubftituant en la place des noms du Syltême des Grecs 8c des Latins, les fix fameufes fyllabes, ut , , mi , fa ,fol, U , qui lui vinrent dans l'efprit en chantant au Chœur de PEglife la première ftrophe de de l'hymne de S. Jean-Baptifte, au- quel il ajouta une efpece de lettre, comme un Frenverfc, pour faire le feptiéme ton , Se c'eft ce qu'on ap- pelle les fept principales vois de la Mufique.

Mais il conferva les fix premières lettres de l'Alphabet, qu'il nomma aufïï gamme # pour fervir de clef à fes tons, ou nôtres , afin de faire voir à la pofterité comme un effet de jufti- ce , Se de reconnoitTance, que les pre- miers principes de la Mufique nous font venus des Grecs, & des Latins.

21 HlSTOI-RE DE LA MUSIQUE,

Il nomma encore ces lettres clefs t parcequ'elles dévoient fervir auffi à donner la connoiiTance des differens tons de Mufique , en les joignant avec ces fix fy liâtes, dont il forma une Table quarrée % & partagée par de- grez, telle que je la rapporte ici,

F

ut

fa

1=

mi

la

D

la

fol

C

fol

ut

fa

B

fa

liiPj

mi

A

mi

la

r

fol

ut

j

b mol.

nature.

b quar.

laquelle fut nommée encore gamme, comme celle des Latins , à caufe de l'addition du gamma des Grecs ; c'eft peut-être par cette raifon que Ton difoit autrefois , apprendre la Mufî-

ET DE SES I FF E T S. 25

que par la gamme 5 au lieu qu'au- jourd hui c'eft par tablature

Ce fçavant Muficien inventa en- core un cinquième T>tracerde 5 qu il nomma le Tetracorde des tons jur- aigus. En forte que (on Syfiêrre étoic compofé de vingt- d?ux cordes s dont l'harmonie fut admirée de tous les Muficiens j c'eft ce qu'on a depuis appelle l'ordre de B quarre > ou natu- rel.

Les Muficiens révérèrent long- temps le Syftcme de Guy Laretin^ & le regardoient comme le chef- d'eeuvre de la Mufique .; mais Jean Defmurs , Parifien , Docteur de Sor- bonne, bon Poète 3Ôc encore plus fçavant Muflcien, qui vivoic envi- ron Tan 1555, ne laiiTa pas de trou- ver de grands défauts à ce Syftême tanteftime, ou du moins beaucoup d'irregularitez, aufquels il remédia en inventant des figures, ou des ca- ractères & des nottes , pour mar- quer la différence des fons, la va- riété de leurs mouvemens, leur du- rée , les paufes , & les muâmes , qui n'étoient originairement marquées

z^. Histoire de la Musique , que par des points & contre-pointst ou d'autres caractères plus difficiles, &: de différentes figures. Toutes ces reformes furent trouvées d'un grand fecours pour l'exécution du Chant & des Inftrumens , êc ont trcs-per- fe&ionné le quatrième Syftême , qui pafle aujourd'hui pour le moderne, £c dont on elt redevable à ce fça- vant Jean Defmurs ; fa Méthode a été reçue avec applaudiflèment par toute l'Europe, & même obfervée jufqu'environ 167J.

Dans ce temps-la un certain Cor- delier nommé

s'avifa de fupprimer encore la note F, inventée par Laretin , 6c fubftitua en fa place la note fi, à laquelle il joignit la note ut pour faire les huit tons , bien difFerens de la première notent , avec laquelle elle ne fe con- fond jamais.

Ce Cordelier changea même l'an- cienne gamme , pour faciliter le chant par fon nouveau Syftême , êc rendre la Mufique plus aifée à ap- prendre , en fupprimant l'ufage des muâmes , qui étoient fort embarraf-

fantes ,

£T SES EFFETS. 2J

fantes , fur-tout pour les Ecoliers j .mais l'Abbé de la Louette , cet ex- cellent Maître de Mufique de la Ca- thédrale de Paris, m'a afïuré que la note fi avoit été inventée, pu peut- être retrouvée par un nommé Mctru , fameux Muficien, Maître à chanter dans Paris environ l'an 167 <#. Il vaut mieux en croire l'Abbé de la Louette faute de preuves littéra- les , n'ayant rapporté l'attribution qu'on en donne au Cordelier , que lur des traditions que je ne crois pas fi certaines. Le Moine, excel- lent joueur de Luth, qui eft: dans la Mufique depuis foixante ans , m'a dit encore avoir connu Metru parti- culièrement, qui changea la vieille méthode de la Mufique par l'aug- mentation de la note fi : Se qu'il fe fouvenoit aufïi qu'un Cordelier du Convent de l'Avé Maria , fit quelque changement fur l'ancienne gamme , il y a environ quarante ans. Sans cet éclaircifTement je ferois refté dans les erreurs des traditions vulgaires fur ce fujet -, mais bien que la mé- thode de Metru, foit fort eftimée

S

■%6 Histoire de la Musiqc'e , des Muficiens François, néanmoins ceux d'Italie l'ont méprifée , ou du moins n'ont pas voulu s'en fervir, peut-être parcequ'elle a été inventée par un Muiicien François , ce qui prouve la jaloufie des Muficiens de cette Nation contre ceux-ci : quoi qu'il en ioit , Cambert , Organise de S. Honoré , ëc depuis Intendant de la Mufique de la Reine- Mère ; Lambert & le Sr Lully , ces fameux Muficiens de nos jours, ont encore perfection- né la Mufique par une nouvelle mé- thode, en prenant ce qu'il y avoir, de plus excellent dans la Mufique Italienne , pour le joindre à la Fran- eoife,dont le mélange a formé le bon goût que nous voyons régner aujourd'hui dans la Mufique , à l'i- mitation de ces fcavans Statuaires de l'Antiquité , qui prenoient aufîï toutes les belles parties de différais corps, pour en compofer une figure parfaite , fuivant les règles de PArt. Tous les Muficiens font encore très-redevables àjofeph Zarlin , Ita- lien , à caufe des quatre Volumes in-folio qu'il a compofé en -1590 ;

£T DE SES EFFET S* 1.J

fes Oeuvres font connoîtrc qu'il a furpaiTé tous les Auteurs qui ont traité des Sciences , & de l'Art de la Mufique avant lui , puifqu'eîles ren- " ferment toutes les inftru&ions pour la compofition du Chant, ck pour Fufage des Inftrumens. L'on trouve l'éloge de ce grand Muficien dans l'Hiftoire de M. de Thou j c'en: allez dire.

Les Oeuvres du P. de Marfenne , imprimez à Paris en 1(340, fous le titre de l'Harmonie du Monde , ne font pas moins eonfiderables pour tout ce qui regarde la compofition de la Mufique Vocale & Inftrumen- taie, dans lefquels on trouve des planches en taille, douce , tous les Inftrumens de Mufique des An- ciens ôc des Modernes font gravez*

Il eft à croire néanmoins que le Syftême de la Mufique des Hébreux auroit été reçu avant celui des Grecs, s'ils avoient voulu en donner la con- noiiîance aux autres Nations , puif- inie Jubal, parle fans conteftation pour le premier Inventeur delà Mu- fique & des Inftrumens , Tan du

a8 Histoire di la MusiQtrE, Monde 104.0, de même que Enos, patle pour être Inventeur du chant ; parcequ'il chanta le premier les ioîianges de Dieu. Genefe, ch. 4.

Mais les Grecs plus ambitieux de paiïer pour les premiers Inventeurs des Sciences & des Arts , ont pro- fité de la négligence des Hébreux,, qui regardoient toutes les autres Na- tions comme des Barbares , ou com- me indignes de la connoiffance de leurs Sciences ; leur Syftême n'étant point venu jufqu'à nous , je n'ai pu en rien dire.

Ainfi fans s'arrêter à l'opinion des Grecs , on peut juger par la diffé- rence de ces quatre Syiîêmes, qu'il n'y a point de Nation , qui ne puifïè avoir auffi le fieri établi fur des principes particuliers, fur- tout, celles qui tirent leur origine d'elles mê- mes, tels font les Caldéens, les Egy- ptiens 3 les Phéniciens, les Hébreux, les Etiopiens , les Chinois, les Per fes, & même les Arcadiens, qui de tout tems ont éré amoureux de la Ma- fique, qu'ils l'apprenoient aux pe- tits enfans , pour les accoutumer à

1T DE SES EFFETS. 1^

chanter des Hymnes, des Cantiques en l'honneur des Dieux ,.& de leurs Héros dès leur tendre jeuneffe.

Comme les concerts font ordinai- rement compofez de voix 8c d'Inftru- mens r j'ai tâché de trouver l'origine des premiers Inventeurs ; mais j'ai reconnu que Ton attribue l'invention des Inftrumens, plutôt à ceux qui en ont fçû jouer parfaitement, qu'à ceux qui les ont compofez y outre que les noms des Inftrumens , dont les Anciens fe fervoient, font fi chan- gez par la mutation des Langues v qu'ileftprefque impofïïbled'en don- ner l'explication dans la nôtre ; c'eft pourquoi je me contenterai de par- ler feulement des trois genres, ou de Tordre de ceux dont on a connoif- fance en Europe.

Je dirai donc que tout inftrument de Mufique eft une machine inven- tée Ôc difpofée par l'Art mécanique, pour exprimer le fon, & pour imi- ter & accompagner la voix naturelle dans un concert ^ Se que la Mu(ique compofee pour être jouée fur ces for- tes d'Inftrumens, s'appelle organique

B iij

3o Histoire delà Musique, ou inflmmentale , dont le nombre edr infini ; mais les Mufîciens Italiens l'ont réduit à trois genres feulement, pour éviter l'embaras de leurs défi- nitions.

Le premier contient ceux que les Grecs appellent Enchorda, qui font compofez de plufieurs cordes, que Ton fait raifonner avec les doigts x comme la harpe, le luth, la lyre , le theorbe, la guitare, &c. ou d'au- tres dont on tire le fon avec un ar- chet : comme font le violon, la viole> la trompette marine, l'archiniolle , de même que ceux qui raifonnent par le'moyen des fautereaux : comme le claveflïn & l'épinette , Sec.

Le fécond genre comprend les Inftrumens que le vent narurel de l'homme fait raifonner , que les Grecs appellent Pneumatica, comme font les flûtes, les haut- bois, fla- geolets, le bafïbn, le ferpent, le faguebout d'Allemagne , &c. dont ceux qui raifonnent encore par l'effet de vent artificiel des foufïlets , font du nombre , comme les orgues , les . mufettesjes chalemies ou loures, &c.

ET DE SES EfFETS. $1

Et le troiiiéme genre , font ceux que les Latins appellent Palfatilia , parcequ'on ne les fait raiionner qu'en frappant delîus avec des ba- guettes, comme les timballes & les tambours, ou d'autres avec des petits bâtons & des plumes : tels que font le pfaîterion, la cymbale, le timpanon, le ciftre, ou d'autres qui fe touchent avec des petits marteaux pour les carillons & le bâtant des cloches.

J. VoŒïus a fait une diflertation fur le tambour, par laquelle il fait voir que cet inftrument peut expri- mer toute forte de Mufique, Se qu'il renferme même dans fes fons , tous les pieds de l'ancienne vérification des Grecs & des Latins, qu'il dit manquer à nôtre Poefic , aufîi bien qu'-à notre Mufique, quoiqu'il palîe en France pour le plus fimple de tous les Inftrumens.

Il n'eft point de Nations qui n'aie inventé quelques inftrumens de Mu- fique, dont l'ufage lui eft particulier; comme nous voyons que chacune a aufïi fa danfe naturelle dans laquelle elle eft inimitable , ce qui paroît

B iiij

ji Histôiridi la Musique ,

dans les François pour la danfe haute Ôc la danfe mefurée ; les Efpagnols par la farabande , les Anglois pour la gigue, &c. Chaque Nation a en- core Ton caractère pour le chant 8c pour la composition , comme pour les Fêtes publiques qui dépendent de la différence des climats, des ufages, des coutumes, des mœurs Ôc du génie des Peuples, dont nous avons quel- ques légères connoiffances , par les relations des voyages que je rappor- terai en leur lieu, pour fatisfaire au- tant qu'il eft pofïïblc la curiofité dtt Ledeur»

CHAPITRE II.

Des quatre* modes principaux, ou chants mitcnticjues & de leurs prétendus effets, futvant l'opinion des anciens Pbilofo- phes , Poètes & Mufieiens.

NOus apprenons des Auteurs qui ont parlé le plus à fond de l'antiquité, comme Hérodote, Ifiiore, Paufanias ôc Varron , que

ET DE SES EFFETS. $$

laplûpartdes Legiflateursétoientfort profonds dans l'art de la Mufîque ^ qu'ils fe fervoient de fes princi- pes, pour ailujettir les peuples à fe conformer à leurs Loix , de même que les premiers Philofophes , qui étoient aulîi de grands Muficiens , pratiquoient l'une & l'autre fcience, pour la règle des mœurs, comme nous le voyons par Apollon , Mer- cure, Orphée, Amphion , Taies & Pychagore ; ce font eux en partie,qui ont trouvé l'art de compofer les qua- tre premiers modes , ou tons prin- cipaux, qui fervoient comme de qua- tre modérateurs aux parlions humai- nes ; c'eft: pourquoi dans l'Antiquité ces quatre chants ont été nommez autentiques , parcequ'ils fervoient aux anciens Philofophes, Poètes Se Muficiens, à chanter les Cantiques qu'ils eompofoient en l'honneur de leurs Dieux & de leurs Héros, com- me auiïï pour chanter les fables ôc apologues qui renfermoient un fens moral, dont ils corrigeoient agréa- blement, les mœurs, ôc la férocité 4es premiers Hommes.

B v

34 Histoire de iaMuhqub,

Le premier chant eft appelle Do- rien , fervant aux chofes graves , fe- veres, honnêtes, religieufes, pro- pres aux affections de l'efprit Se bel- liqueufes -, il étoit fort eftimé des Lacedemoniens , qui s'en fervoient même pour s'exciter dans les com- bats au Ton des voix & des flûtes , duquel chant Dorlen, on dit que La- miras Poète & fameux Muncien de Thrace , fut l'Inventeur : il vivoie avant Homère, il fut même le pre- mier Muficien qui joignit le chant de la voix au fon de la harpe.

Agamemnon qui connoifloit la force de cette Mufique, laiffa auprès de Clitemneftre fon époufe, un Mu- ficien Dorien , pour l'entretenir dans la continence, pendant qu'il étoit as fSege de Troyes.

Mais le Prince Egifte en étant de- venu amoureux , & la trouvant infle- xible, reconnut que c'étoit l'effet des airs que lui chantoit fon mufi- cien ; il trouva le moyen de s'en dé- faire, après quoi il lui fut aifé de rendre Clitemneftre fenfiblej mais ils en furent punis l'on ôc l'autre ,

Et D"E SES EFFETS. 35

par Orefte fils d'Agamemnon , qui les tua pour venger l'honneur de Ton père.

Le deuxième chant eft appelle le chant Phrygien 3 donc l'invention eft attribuée à MarfiaSjCe.fameuxPaftenr qui ofa défier Apollon à jouer du flageollet j ce chant a la puiiïance de mettre l'homme en fureur, de même que le chant [om-Phrygien a celle de l'appaifer, témoin l'épreuve qu'en fait Timothée Muficien,dans letems qu'Alexandre étoit à table , il lui joua un air Phrygien fur fa flûte, qui le traiifporta fi fort qu'il fe leva de table comme un furieux le fabre à la main & fortit pour aller combattre 5 mais Timothée voyant l'effet de fon art, le fuivit en jouant un air fons- Thrygun, qui le remit dans un efprit fi tranquile, qu'il revint fe mettre à tab^e fans émotion, ou comme guéri de la frenefie.

Nous avons un pareil exemple dans le Journal d'Henry III. de Sancy , qui dit qu'un nommé Glau- din le jeune fameux Muficien, com- posa de pareils airs, qu'il joua dans

B vj

3^ Histoire de la Musique , un concert fait pour les noces du Due de Joyeufe , dans l'appartement du , Roi ♦, Se qu'un jeune Seigneur donc l'efprit étoit fort turbulent, en fut il tranfporté, qu'il mit i'épée à la main, jurant tout haut, ne pouvant refifter à la fureur qui lui prit de s'aller battre -, cette action furprit extrême- ment le Roi y mais Glaudin lui die que c'étoit l'effet de fon air, Se qu'il alloit le rendre très^moderé par un air fous- Phrygien qu'il fit jouer, lequel remit ce jeune Seigneur dans fon bon fens -, il demanda pardon au Roi de fon emportement , qui n'en £r que rire ; ce fameux Muficien a compofé un decacorde t qui parle pour un chef- d'œuvre de l'Art, que l'on peut trou- ver chez le fieur Ballard, Imprimeur de la Mufique du Roi.

Theophrafte afïùre dans fon Livre 'de l'AntouiTafme, que cette Mufique a la puiffance de guérir la feiatique, lamorfuredes vipères & la frenefie, dont Ifmenias fameux Muficien a fouvent fait l'épreuve -> cela fe pra- tique encore aujourd'hui en Italie, •ù l'on guérit la piqûre de la taran-

ET DE SES !!FITS. 37

tuleau Ton du violon, fans quoi ceux qui en font piquez,tomberoient clans des fymptomes très-furprenantsy & en danger de mort,

Ceft de cette Mufique PhrygienM qu'on a compofé les Tons convena- bles aux trompettes, aux timballes Si aux tambours, pour Tonner ôc battre la charge, afin d'animer les foldats au combat , ôc d'encourager toute l'armée pendant la bataille, qui font des tons bien différents des fanfares que l'on joue quand on a remporté la victoire, ce qui fait voir que les Intlrumens militaires , ont aufli la puiûance d'exciter la fureur, comme de la modérer.

Le troifiéme chant eft le Lydie?? 9 qui convient à la langueur ôc aux plaintes des élégies , pour les fujets triftes & lamentables que l'on at- tribue à Carius fils de Jupiter ; il l'in- venta après avoir entendu les Mufes chanter îes plaintes de la mort du ferpent Pithon, qui fut tué par Apol- lon.

Ce fut encore par les accords de cette Mu fique, que Thaïes de Miles

^8 H I ST O I R E S t Ë A MUS I QJ7E ,

réputé pour être un des Sept fages de la Grèce $c grand Muficien, guérit les Spartiates d'une pefte très-confi- derable?caufée par une mélancolie qui engendroit la contagion, Se que l'O- racle prononça ne pouvoir être ap- paifée que par le fecours 'de Thaïes ; ce fut encore lui qui par les doux ac- cords de fa harpe, appaifa une fedi- tion populaire dans Lacedemone.

Et le quatrième chant étoit l'Eoliens quieftune compoiîtion fîmple, pour les airs tendres & amoureux , ôc qui fert pour les chanfons Bachiques ; on peut dire qu'il eft employé pour les agr émeus- de la vie, lequel fut inventé par Démon l'Athénien, ne- veu de Demofthene , ou par Polym- nefte Poète <k Muiîcien Grec,

Paufanias Auteur Grec, dit que ce Poète Lyrique fçut il bien fe fervir du chant Eolien pour chanter fes Vers, - qu'il fut déliré de tous les Rois , & des Princes de la Grèce de fon te m s ; Ôc que Policrate Prince fouverain de Samos, lui ayant donné cinq talens qui font trois mille écus de nôtre monnoye pour recompenfe de fon

ITDE SES ITFlTî. g)

voyage j il ne pue jamais dormir tant qu'il eut cette fomme en fa poiTef- fion, & qu'il fut obligé de s'en dé- faire pour calmer fon inquiétude $ ce qui fait voir que les Poètes non plus que les Muficiensy ne font pas deftinez pour les richeffes : auïïi ne voit-on que des Italiens qui s'enri- chiiîent dans cette profefîïon.

Cofomedes , natif de Crète & af- franchi , fut encore un Poète Lyri- que & Mufîcien , qui compofa beau- coup de chanfons amoureufes & Ba- chiques , dans le goût d'Anacreon ; il s'attira par la bienveillance de l'Empereur Adrien, qui ctoit auffi bon Poète, que fçavant en Mufîquey faifant grand cas des gens de Lettres dans le deuxième frecle , fuivant ce qu'en dit Plutarque qui fut fon Pré- cepteur.

Mais pour revenir à mon fujet, on prétend que de ces quatre modes principaux de la Mufîque, les fça- vans Mufîciens en ont compofé de- puis jufqu'à douze, parle moyen dtl Tetracorie, faifant un mélange de ces quatre modulations, dont Sapho %ck

40 Histoire i>e la Musique , fervie pour inventer le chant Myxc- lydien, de pour exprimer la force de la pafiion amoureufe qu'elle avait pour Damophile, quoique de même fexe, & pour laquelle Plutarque dans fon Traité de l'Amour, dit que quand elle le prefentoit devant elle, fa voix & fa parole fe perdoient à l'infrant j, que fon corps fe fondoit en une fueur froide, qui lui caufoit un éva- nouilTement , dont elle avoit peine à revenir , tant la paiïïon étoit vio- lente i ce fut aufïl pour fa chère Da- mophile qu'elle Et ces hymnes qui furent tant eftimez dans fon tems.

Cette Sapho forma encore une efpece d'Académie pour les filles de qualité qui excelloient dans- la Mu. fique ç Ànago-ra Milefienne , Gorgila Colophonienne, Eunica Salaminien- ne en ont été les principales difei- pks. Elles s'aiïembloientles joursde Fêtes ornées de bouquets , de guir- landes & de chapeaux de fleurs, pour aller chanter les hymnes en Muâque dans les Temples , & aux époufailles- des filles de qualité leurs compagnes j elles prenoient auiîides vetemens luu-

ET »E S!S ÏFFETÎ. 4*

gubres pour aflifter aux funérailles.

Cependant tous ces modes de Mu- fique, que l'Abbé BroiTard dit dans fon Dictionnaire qu'on pourroit faire monter jufqu'à quarante-fept, ont été depuis réduits quelquefois , ou aux hait tons de l'Eglife, ou enfuite aux douze modes de Glarean , &c. Et enfin aux deux modes communément appeliez le mod* majeur, & le mode mineur _, dans lefquels les Mu fi tiens modernesprétendent renfermer tou- tes les modulations tant vantées des anciens Muficiens.

Mais toutes ces attributions des quatre premiers chants amentiques > ne lailîent pas d'être encore con- teftées par beaucoup d'Auteurs, qui veulent aufïï en attribuer la gloire à leur Nation , ce qui eft caufe que tous les Chronologiques en ont parlé fuivant leurs intérêts , fur l'incerti- tude du tems de l'invention de la Mu- fique & de tous les Inventeurs des inftrumens , dont l'origine n'eft pas moins difficile à découvrir , que la fcience même , fi l'on ne s'en tient à ce qu'en dit la Genefe; la difficulté

4i Histoire de la Musiq^jï, de cette décifion fe confirme encore par ce qu'en dit M. Dacier dans fes Traductions des Auteurs de l'Anti- quité. Cefien vain 3 &fcÂ\jqm l'on cherche a s'éclaircir de la vérité dans Ui ouvrages des anciens Payons , pulfque de tout tems Us Philo fophes , & les Poètes de toutes les Nathns, n'ont point fait de fcrupitle de fe dérober les uns aux autres l'invention des Sciences & des Arts , & d'en compofer des préceptes a leurs ma- nieres.

. C'eft ce qu'avoue même faim Jé- rôme dans fa Lettre 146 , écrite au? Pape Damaze : Nous tifons , dit- il, Us Philofophes Payent, & nous nous en fer- ions en Us déguifant fulvanl nos prince pes t comme les Hébreux fe fervolent des fermes étrangères , fuivant la Loi de Deu > ce qui eft encore une preuve de l'incertitude nous fommes de$ opinions de l'Antiquité fur l'origine des Sciences & des Arts.

Il y a quelques Auteurs qui ont prétendu que dans l'ancien Paganif- me, les Philofophes avoient fait de Jubal leur Apollon , auquel ils at- tribuoienc l'origine de la Mu(îquer

ET BE SIS EFFETS,. 4$

de même que les Poètes ont attribué le tems du Déluge univerfel à Ben- Galion, au lieu de Noéj de forte qu'on ne peut prouver avec certitude l'ori- gine des Sciences, ni des faits qui patient quatre mille ans , fi l'on ne s'en rapporte à l'Ecriture qui tient lieu de Loi aux Auteurs qui fuivent les fentimens de la Religion Ro- maine.

Ce n'eft pas que le mot de ton, ne tire fon origine de la Mufique des Grecs , qui veut dire accord de voix naturelle ; ton eft encore la fixiéme partie d'un oftave compofé de cinq tons, & de deux demi-tons , Se la diffé- rence de la quarte k la quinte^ fuivant les préceptes généraux»

Les Muficiens Grecs, diiént qu'il y a huit modes ou tons diftinguez, qui tirent leur origine des quatre tons principaux 3 qui confident dans la fa- çon , l'ordre 8c la forme qu'on tient en l'invention des chants ; c'eft pour- quoi l'on dit aujourd'hui donner le ton aux Muficiens dans un concert.

Cette explication fe trouve dans les oeuvres d'Ouvrard Maître de la

44 HlSTOTRE DE LA MtfSIQt7E ,

Mufîque de la Sainte Chapelle 5 qui a pallé pour un fçavant Muficieny Tan 1672.

Je laide à de plus habiles que moi, le foin de rapporter des preuves plus folides èc plus certaines de l'origine des quatre chants autentiçHes de J$ Mu fi que vocale & inflmmentale , fui- vant l'opinion des Grecs.

CHAPITRE IIL

Sentiment des Phltefophet, Poètes, & Muficlens de £ Antiquité, fur l'ufage de la Muficjise vocale 3 inftrttmentale 9 & de [es effets fur les fafftons.

LEs effets que la Mufîquc eft ca- pable de produire, rirent dire au» premiers Phiiofophes de l'Antiquité, que c'étoit une fage difpofition de la Providence , d'avoir fait du chant &C des Inftrumens, aufll-bien que des autres Sciences , un remède aux maux de Pâme: de même que com- me l'homme qui eft compofé de corps & d'efprit, en trouve dans les

ET DE SIS EFFET 5. 4 £

métaux, dans les animaux & dans les plantes , qui font des iubftances matérielles pour fa guénibn ^ l'ame peut avoir auiîi les (îens dan? les .chofes Ipirituciles , tels que font les Sciences Ôc les réflexions, & fur-tout ^ans la Mufique, dont les ions 6c les accords approchent de la nature des chofes fpirituelles,

Ceft ce que les Grecs connurent fi bien , qu'ils firent de la Mulique, particulièrement de celle qui fervoit aux reprefentations , un remède aux maux de l'efprit, & un honnête amu- fement pour appaifer les pallions ôc pour exciter à la vertu,

Ainfi ils eurent des Vers Se des chants pour la plainte, pour la dou- leur, pour la colère Ôc pour la joye, comme pour les chofes feirieufes ôc comiques j ils fçavoient aufïï expri- mer le bruit des flots, le fiflemenc des vents, les effets de tous les Ele- mens, ôc plufieurs chofes fenabla- bles : enfin rien ne leur manquoit pour exprimer les paffions, &pour toucher le cœur des Spe&ateurs.

Je dirai donc après ces grands

46 Histoire de la Music^ue, Philofophes, que la Mufique eft un Art, ou une fcience, qui fait partie des Mathématiques, laquelle con- fîfbe dans l'harmonie qui naît des fons de la voix ou des Inftrumens , ce qui fait qu'on l'appelle vocale & inftrumenutk i elle eft compofée par le rationnement du Muficien, félon la force de fon génie & fur les prin- cipes de cet Art.

Cependant , il ne faut pas croire , dit Platon , que Dieu nous ait donné la connoifTance de la Mufique , ou qu'elle ait été inventée pour le plai- fir des fens ; mais bien plutôt pout fervir de règle au gouvernement des Hommes , & pour corriger les dére- glemens de leurs pafïîons. Platon , comme bien d'autres Philofophes de l'Antiquité, nous apprend par quel fut le premier objet de la Mufique, les Sages l'ont employée depuis long- tems à chanter les Cantiques à la louange du Créateur de l'Univers, & à exciter la Religion j elle fervoit encore à exprimer les beaux faits des Héros de l'Antiquité, pour éle- ver le courage cV animer la jeunerTe

ÏT D E SE S E FF ET S. 47

à la vertu ; mais fa fin eft aujour- d'hui de délaiTer l'efprit agréable- ment, on peut dire même qu'elle eft l'ame des fpeétacles , des fêtes pu- bliques 6c particulières $ elle a auiïi la puilïance d'exciter les pâmons , comme de les modérer •, elle fert en- core à exprimer naïvement les affe- ctions de i'ame ; Se nous en croyons les hiftoires d'Orphée c^d'Amphion, elle a fait fentir les effets jufqu'aux chofes inanimées, par la force de rUnifîon, ce qui pourroit palier pour une flcl:ion5 fans les preuves que j'en rapporterai.

Les anciens Poètes au raport d'Ho- race, ont voulu dire par que les premiers Muiîciens avoient adouci la férocité des Hommes, de les avoient perfuadé de vivre en locieté , par les accords de la Mufique , après quoi ils avoient appris à fe bâtir des mai- fons, des bourgades & des Villes dans lefqueiles ces fameux Muficiens établirent des Loix,éc des préceptes, que l'on chantoit publiquement pour les mieux imprimer dans l'efprit des Peuples ,j la Mulîque eft même con-

4$ Histoire be la Musique, nue & pratiquée chez toutes les Na- tions du Monde , au rapoit de tous ies Voyageurs. Chnftophe Coulomb Ta auili trouvée établie dans les In- des Occidentales , quoique ces Peu- ples n'euffent pas feulement l'afage de l'écriture ? mais elle ne coniilte chez eux qu'en quatre tons, qui font ceux dont les premiers Hommes ont ■eu connohTance , appellée Mu/ique naturelle. Hift. des In cas.

Les Ameriquains ont encore une Muiique furieufe & emportée, dont ils étourdirent leurs malades pour leur procurer la guérifon ; ils fe fer- vent auflï delà Mufîque pour adou- cir leurs travaux pendant qu'ils la- bourent la terre avec des pioches , comme nous faifons les vignes pour femer le mayz, ils cultivent la terre par troupes, ou par des bandes de cent , & de deux cens Nègres , lef. quels ont ordinairement à leur tête un corps de Muficiens qui chantent Ôc jouent des Inftrumens , pendant tout le tems du labourage 6\r des ré- coltes , dont ils ne font jamais fati- guez 5 ils s'en retournent dans leurs

cabannes

ET D B S BS EFFETS. 49

cabannes en danfant, ÔY fumant, ayant toujours les Muficiens à leur te ce. Voyage de l'Amérique de Cbœm- f lai ri.

Nos Médecins fe fervent aufïi de la Mufique pour guérir des maladies de l'aliénation d'efprit, de même que chacun fçait que les fureurs de Saiil s'appaifoient au fon de la harpe de David , dont je rapporterai encore des exemples.

Mais il eft bien difficile de prou- ver certainement l'origine de la Mu- fîque , Il Ton ne s'en rapporte à la Genefe , Se au fentiment des Pères de l'Eglife ; les Hébreux, les CaL déens , les Egyptiens, Phceniciens, Arabes s'en attribuent l'invention, comme je l'ai déjà dit ; Se les Grecs fur toutes les autres Nations, pré- tendent qu'elle leur vient de Mer- cure Se d'Apollon ; que c'eft auflî du nom des Mufesqui prefîdent à la Pocfîe, qu'ils ont tiré l'étimologie de la Mufique, fuivant la remarque du Pft Meneftrier ; cependant pour les mettre tous d'accord , il vaut mieux croire qu'elle fut infpirée à

G

jo Histoire de la Musiqtje, Adam, comme les autres Sciences^ lors de la création du Monde , puif- que S. Auguftin aflure precifément que c'efl: un prefent du Ciel ; ces deux preuves feroient fuffifantes pour établir Forigine de la Mufique ; mais fans fortir de cette opinion, je crois devoir rapporter encore les fenti- mens des anciens Auteurs , Se des Phiiofophes Payens , pour fatis faire la curiofité du Lecteur, en traitant de rétabliiîement de la Mufique, Se de Tes effets chez les différentes Na-~ tions , indépendemment de ce que j'en ai dit dans le Chapitre des qua- tre Syltêmes de la Mufique.

Les plus célèbres dans cet Art, prétendent qu'il n'y a point de Mu- ficien qui puifïe atteindre à fa der- nière perfection , étant une Science infinie, & dans laquelle les plus expé- rimentez Muficiens découvrent jour- nellement des nouveautez furpre- nantes.

Anaxilas, grand Se&ateurde Py- thagore, prétend que la Mufique eft compofée de vingt- quatre chants principaux , dont il en dérive un

ÎT BE SES ! F F E T S.

nombre qui va jufqu'à l'infini , &" -qui produit des nouveautez admira- bles, fuivant l'imagination du Mufi- cien ; de même qu'un Peintre avec douze couleurs principales en peut former une quantité immenfe. C'en; par que le fçavant P. Merfenne a fait monter la diverfîté des chants, jufqu'à fept cens-vingt , fuivant la table qu'il en a faite dans fon Traité de l'harmonie du Monde, par les €ombinaifons deifix nottes., celle de Sy, n'étant inventée que depuis, ou plu- tôt étoit perdue ; c'eft ce qui fait que l'on trouve tant de variété dans la Mufique : ce font fans doute ces vingt-quatre. chants principaux qui ont donné lieu aux Auteurs qui ont traité de la Mufique depuis ce tems- , de la divifer encore en qua- rante-cinq efpeces différentes , dont il en dérive un nombre infini , l'ex- plication eft efTentielle à fçavoir, fur tout pour ceux qui font profeffion de cet Art, je n'en rapporterai néan- moins ici que les principales, crainte d'ennuyer ceux qu'elles n'intereiïent pas.

^ C ij

ji Histoire de la Musique,

La première eft appelle la Mufique tntique , qui eft celle attribuée aux Hébreux, aux Phœniciens,aux Grecs, & aux Latins , laquelle a duré juf- qu'en Tan 10x4 de Jefus-Chrift, qui eft approchant le tems que Guy La- retin inventa la Mufique à plusieurs parties ; c'eft celle que nous appel- ions vulgairement la moderne.

La Mnû<\m Arithmétique ,£& celle qui confifte dans la confédération des Tons , par le rapport qu'ils ont avec les nombres.

La Mufique Pratique, eft celle qui ne confifte que dans l'exécution, fans s'embaralTer des raifons , ni des cau- fes du bon ou du mauvais effet de la composition , auquel la plupart des Mufîciens qui chantent à l'Opéra ne prennent pas garde -, mais donc Porcheftre en gênerai eft admirable pour l'exécution.

La Mufique Artificielle eft de deux forteSjl'une qui s'exécute fur des In- ft rumens avec la bouche & les doigts, ôc que l'Art a inventé, fuivant les principes & les règles pour la Sym- phonie ; l'autre eft celle don les In-

ÏT DE SES EFFETS. ^

ftrumens jouent cous feuls des airs, par le moyen des redores inventez par les règles de la Mécanique, Bc que Ton met au rang des effets de la magie naturelle, ou delà Mufique artificielle.

La Mufique Chorale , eft celle qui fe chance dans les chœurs des Egli- fes , ou autrement Mufique pleine ; la Mufique Ecclefiaftique en fait en- core partie, elle fert pour les chants des Motets j & des leçons de Ténè- bres , elle eft accompagnée de voix ôc d'Inftrumens.

La Mufique Thoriaque ou Hy porche* manque , eft celle qui fert aux ballets ; elle eft proprepour la composition des airs de danfes , par les differens mou- vemens des chants &c des Inftrumens. La Mufique Chromatique » eft celle dans laquelle il y a beaucoup de li- gnes , d'intervales & de cordes, fort eftiméedes Maîtres de l'Art -, parce- qu'elie furprend agréablement les Auditeurs.

La Mufique Diatonique , eft celle dont le chant ne procède que par tons , & femi- tons majeurs , & de la

C iij

54 Histoire de la Musique, manière que la nature l'enfeigne, Se fait pratiquer fans Art au plus igno- rant, cToà vient qu'on la nomme aufïï la naturelle ; elle eft commune aux Peuples les plus fauvages & les plus barbares.

La Dramatique, ou Théâtrale , eft une Mufîque propre pour les fpe&a- cles du Théâtre, que Ton appelle aufîï Mufîque recitative, que Ton employé aux Opéra, de aux Comé- dies dans les entr'a&es.

La Mufîque Inftrumentale , con- /ifte dans un concert dTnftrumens, fans accompagnement de voix.

La Mufîque Métrique, confîfte dans la cadence harmonieufe pour la dé- clamation &" la prononciation des Vers, ou bien c'eit un chant Lyri- que , ôc qui renferme auffi les règles de la Mufîque Poétique.

La Mufîque Pathétique , eft celle qui peut toucher ôc émouvoir l'ame, Se qui ébranle le cœur, 8c les en- trailles des plus infenfîbles ; les An- ciens l'ont appelle le chant Phry- gien, Se fous-Phrygien: j'en rappor- terai encore les effets au Chapitre

ET D-E SES EFFETS. 55

âe la Mufique des Grecs.

La Mufique Politique , eft celle qui forme les accords de cous les mem- bres d'une République, ou d'un Etat bien policé ; c'eft celle dont le font fervis les premiers Legiflateurs , qui étoient ordinairement Philofophes 8c Muficiens, pour adoucir la féro- cité des premiers Hommes , & leur faire recevoir des règles pour la fo- cieté humaine ; & la Mufique natu- relle, confifte dans le chant formé par la voix naturelle de l'homme, & conduite fans Art par les organes de l'oiïie.

Si le Lecteur en veut fçavoir da- vantage fur les diverfitez de la Mu- fique, il peut lire les Auteurs qui ont traité de cet Art , & voir le Diction- naire de l'Académie Françoife, Se celui du Sieur BrolTard, imprimé en 1705.

Quelques-uns ont prétendu que la Mufique étoit une difeipline Royale, ôc que cette feience renfermoit tou- tes les autres ; c'eftpourquoi les an- ciens Pbiiofophes l'ont auïïï appellée Encyclopédie ; d'autres l'ont comparé C iiij

jtf Histoire de la Musique, à la beauté finguliere d'une femme qui furprend en la voyant. Ovide dit plus , car il prétend que la beauté n'a rien de comparable à une belle voix , qui pénétre jufqu'au fond de rame , lui faifant goûter un elîai de la Félicité des Bien - heureux.

Mais le fentiment le plus gênerai , eft qu'il faut fçavoir la Mufîque s quand ce ne feroit que pour en pou- voir juger, à moins que d'en vouloir faire profefïïon ; elle a tant d'appas qu'elle nous rend incapables des oc- cupations laborieufes, fur-tout de- puis que les Poètes Se les Mufîciens, ont employé les charmes de l'har- monie à flatter les paffions effémi- nées & voluptueufes ; au lieu de les corriger , comme faifoient les An- ciens , en chantant les vertus des grands-Hommes, pour les infpirer aux Spe&ateurs, Se en reprefentant ce qu'ils ont fait de plus digne de l'immortalité. Elle eft capable en- core de feduire les meilleurs natu- rels ; c'eftpourquoi les Sages, Se par- ticulièrement les Egyptiens , Se les Hébreux, n'ont jamais voulu per-

IT DE SES E!HT«. 57

mettre que la Mufique fût employée à l'ufage du Théâtre, l'ayant toujours regardé comme une Science divine, qui ne devoit (ervir qu'a des œuvres pieufes Se falutaires, étant perfuadé que Dieu n'en avoit donné la con- noiflance aux hommes qu'a cette fin ; mais la corruption des mœurs flattées par l'organe des Muficiens, en ont changé l'ufage , ce qui a fait dite à Mezeray qu'Anne de Boulen femme d'Henry V III. Roy d'Angleterre, fçavoit trop bien chanter pour être fage 5 fon mari lui fit couper la tête, après avoir découvert fon intrigue amoureufe avec un nommé Marc fon Muficien , ce qui arrive allez fou- vent ; aufîi voyons -nous beaucoup de Mufïcieris perdre la vie ôc leurs fortunes par leurs incontinences , ce que j'ofe dire fans leur déplaire, mon intention n'étant point de détruire leur réputation dans i'hiftoire de la Mufique ; mais feulement de dire approchant de ce que je fçai 9 fur les dangers qu'il y a de donner de jeu- nes Maîtres à de jeunes & de belles perfonnes , pour leur apprendre la

58 Histoire de la Musique, Mufîque$ parcequ'il ne fautfouvent qu'une chanfon amoureufe chantée bien tendrement pour faire impref- fion dans le cœur d'une jeune per- fonne ; ôc pour lui bien exprimer pafïion que l'on fent pour elle, com- me nous l'avons vu , & dont je pour- rois rapporter quantité d'Hiftoires qui n'ont fait que trop d'éclat à la Cour & à la Ville, pour être incon- nues : je me contenterai feulement d'en rapporter d'étrangères pour le prouver.

On trouve dans les Ànedo&es de l'Hiftoire fecrette de la Maifon de Medicis par Varilas , Liv. 4. qu'un nommé Ange Politien, natif de Flo- rence , qui parîoit de fon tems pour le plus bel efprit de toute l'Italie, eut une deftinée qui le punit de fon amour criminel. Etant ProfefTeur de l'Eloquence à Florence , il devint pour fon malheur , pafîïonncment amoureux d'un de fes jeunes Ecoliers, qui étoit d'une famille illuftre, qu'il ne put corrompre ni par fes grands prefens, ni par la force de fon Elo- quence, dont il conçut tant de dépit,

ÏT DE SIS EFFETS, 59

qu'il en eut la fièvre chaude, & dans la violence de l'accès , il fit deux cou- plets de chanfon, pour l'objet dont il étoit tranfporté ; il fe leva de fon lit pour prendre fon luth, & pour mieux accompagner fa voix, ce qu'il fit d'un air fi tendre & lamentable qu'il ex- pira en achevant le fécond couplet j ce Florentin n'étoit pas moins Ora- teur , qu'excellent Mufîcien , mais fort fujet au vice de fa Nation.

Ilfemble que cette punition foit un effet de la Juftice divine, qui ne permet pas que nous abufions des ta- lens que Dieu nous donne, & fur- tout parles charmes de la Mufique, dont je rapporte encore l'exemple du plus fameux Mufîcien qui ait paru dans toute l'Italie, le fiecle pafTé.

Un nommé Stradel fameux Mufî- cien, qui étoit à Venife gagé par la Republique , pour compofer la Mu- fique des Opéra, qui y font con- fiderables pendant le cours du Car- naval, ne charmoit pas moins par fa voix , que par fa compofition. Un

Noble Vénitien nommé Pig

avoit une Maître ife qui chantoit afTes

Cvj

6o Histoire de la MusiQjJB, proprement, il voulut que ce Mufi- cien lui donnât la perfection du chant ôc allât lui montrer chez elle, ce qui eft allez contraire aux mœurs des Vénitiens , dont la jalouiie eft a l'ex- c s ; apiès quelques mois de leçons, l'Ecoliere de le Maître Te trouvèrent avoir tant de fympatie l'un pour l'au- tre, qu'ils refolurent de s'en aller en~ fernble à Rome, quand ils en trou- veroientl'occafîon , qui n'arriva que" trop tôt pour leur malheur pis s'em- barquèrent une belle nuit pour Ro- me, cette évalîon mit le Noble Vé- nitien au defefpoir, qui refolut à quelque prix que ce fût de s'en ven- ger par la mort de l'un & de l'autre j il envoya au/îï-têt chercher deux des plus célèbres aflaiiins qui fulTent alors dans Venifè, avec lefquels il convint d'une Tomme de trois cens piftoles , pour aller aiTaiîïner Stradel ôc fa mâîtreiïè , Se promit encore de les rembourfer des frais du voyage, & leur donna la moitié davance,avec un mémoire inftru&if pour l'exécu- tion du meurtre. Ils prirent le che- min de Naplcs y étant arrivez^ ils

ET DE SES EFFETS.

apprirent que Stradel étoit à Rome avec fa maîcreiTe , qui pafloit pour fa femme j ils en donnèrent avis au Noble Vénitien, 8c lui mandèrent qu'ils ne manqueraient pas leur coup* s'ils le trouvoient encore à Rome, & le prièrent de leur envoyer des let- tres de recommandation pour l'Am- bailadeur de Vcnife à Rome, afin d'être fûrs d'un azile. Etant arrivez ils prirent langue , & fçûrent que le lendemain Stradel devoit donner un Opéra fpirituel dans Saint Jean de Latranà cinq heures du foir, que les Italiens appellent Oratorio , les a£» fafîins ne manquèrent pas de fe ren- dre, dans l'efperance de faire leur coup, quand Stradel s'en retourne- roit le (oir chez lui avec famaîtreiîèj mais l'approbation que tout le peuple fit du concert de ce grand Mudcien , joint à l'impreilion que la beauté de fa Mufîque fit dans le cœur de ces aiTaiTins, changea comme par m ra- cle leur fureur en pitié , & tous deux convinrent que c'étoit dommage d'ô- ter la vie à un homme dont le beau génie pour la Mufiquc, faifoit l'ad- miration de toute l'Italie ; de forte

€i Histoire de la Musique , que frappez d'un même efprit,ils re- foiurent de lui fauver l<a vie , plutôt que de la lui ôter ; ils l'attendirent en fortant de l'Eglife, Se lui firent dans la rue un compliment fur foiî Orato- rio, Se lui avoiierent le deflein qu'ils avoient eu de le poignarder avec fa maîtreife pour vanger Pig . . . Noble Vénitien du rapt qu'il lui avoit fait j mais que touchez des charmes de fa Mufique , ils avoient changé de refolution , Se lui confeillerent de partir dès le lendemain pour trouver un lieu de fureté , Se qu'ils ailoient mander à Pig .... qu'il étoit parti de Rome, la veille qu'ils écoient ar- rivez, afin de n'être pas foupçonnez de négligence. Stradel ne fe le fit pas dire deux fois, il partit pour Turin avec fa maîtreife, Madame Royale d'aujourd'hui étoit pour lors Régen- te ; ces afladins retournèrent àVenu fe , Se perfuaderent au Noble Véni- tien que Stradel étoit parti de Rome, comme ils Tavoient mandé , pour ïen aller à Turin , il eft bien plus difficile de faire un meurtre d'im- portance, que dans les autres Villes d'Italie, à caufe de la garnifon, 6V de

IT D! Sît 1FFÏTS. 6$

la feverité de la Juftice , qui r^a pas tant d'égard aux aziles qui fervent de refuge aux afTalîïns , fi ce n'efc ches les AmbafTadeurs j mais Srradel n'en fut pas quitte, car le Noble Vé- nitien longea aux moyens d'exécu- ter fa vengeance à Turin , &: pour en être plus fur, il y engagea le pcre de fa maîtrelTe , lequel partit de Ve- nife avec deux autres afTaflins pour aller poignarder fa fille & Stradel à Turin , ayant des lettres de recom- mandation de M. l'Abbé d'Eftrade, pour lors Ambafîadeur de France à Venife, adreflées à M. le Marquis de Villars , auiïi AmbalTadeur de France à Turin. M. l'Abbé d'Eflrade lui de- mandoit fa protection pour trois Né- gocians qui dévoient faire quelque fejour a Turin , qui étoient ces afTak fins, lefquels faifoient régulièrement leur Cour à M. l'Ambafïadeur, en attendant l'occafîon de pouvoir exé- cuter leur defîein avec fureté ; mais Madame la Ducheffe Royale ayant appris le fujet de l'évafîon de Stradel, fît mettre fa maîtrefTe dans un Con- vent, connoiiîant bien l'humeur des Vénitiens qui ne pardonnent jamais

6j{. Histoire de la Musique, une pareille injure, & fe fer vie du MuMcien pour fa Mufique , lequel s'allant promener un jour à fix heu- res du foir fur les remparts de la Ville de Turin, il y fut attaqué par ces trois afïaiîins , qui lui donnèrent chacun un coup de (blet-dans la poitrine, &: fe iauvecent chez l'Ambalïadeur de France, comme un azile certain pour eux ; Taëtion vue de bien des gens qui fe promenoient au&î fur les remparts , caufa d'abord un fi grand bruit , que les portes de la Ville furent fermées aufli-tôt ; la nouvelle en étant venue à Madame Royale , elle ordonna laperquifition des aiTarlins, on feut qu'ils étoîent chez M. l'Ambailadeur de France, auquel elle envoya les demander ; mais il s'exeufa de les rendre fans ordre de la Cour , attendu les privi- lèges des Hôtels des Ambaiïadeurs pour les aziles j cette affaire fit grand bruit par toute l'Italie. M. de Villars- voulut fçavoir la caufe de raiTaflïnac par ces meurtriers , qui lui déclarè- rent le fait , il en écrivit à M. l'Abbé d'Eftrade, qui lui manda qu'il avoit été furpris par Pig . . . l'un des plus

ET DE SIS EFFETS. 6$

puiflants Nobles de Venife ; mais comme Stradelne mourut pas d^fes blefïiires , M. de Villars fit évader les arTaffins , dont le père de la maîtrerTe du Noble Vénitien étoit le chef, la- quelle il auroit poignardé, s'il avoit pu en trouver l'occafion.

Mais comme les Vénitiens font irréconciliables pour une trahifon amoureufe, Stradel n'échapa pas à la vengeance de fon ennemi , qui laiffa toujours des efpions dans Turin,pour fuivre fa marche-, de forte qu'un an après fa guénfon, il voulut par eu* riofïté aller voir Gènes avec fa maî- treife, qui s'appelloic Ortentia, que Madame Royale lui avoit fait épou- fer depuis fa convalefcence ; mais dès le lendemain qu'ils y furent ar- rivez , ils furent aflaffinez dans leur chambre ,& lesafTaffins fe fauverent fur une barque qui les attendoit dans le port de Gènes, de forte qu'il n'en fut plus parlé depuis : ain(i périt le plus excellent Muftcien de toute l'Ita- lie, environ Tan 1670.

Cette punition peut fervir d'exem- ple aux Muficiens, pour les appren- dre à ne pas abufer de leurs talens,

66 Histoire r>i la Mttsiqtte, ôc encore moins de la liberté que leur profeffion leur donne arec leurs Ecolieres.

La Mufîquè pafTe encore aujour- d'hui dans Conftantinopie , pour un poifon aufîî dangereux que les fruits de l'otophacre oh lotos , dont le goût délicieux avoir tant de charmes, que tous ceux qui en mangeoient en de- meuroient enchantez , comme nous l'apprenons dans TOdiflee d'Homère.

Nous liions néanmoins dans Plu- tarque , que les Argiens établirent une peine contre ceux qui parle- roient mal de la Mufique ; Se les Geths quoique Peuples barbares , en faifoient un ufage très myfterieux ; pui (qu'ils n'envoyoient jamais leurs Ambafladeurs pour des Traitez de Paix ou d'alliances , qu'ils n'euflent la harpe à la main, pour faire com- prendre aux Nations avec lefquelles ils traitoient, que leurs proportions fe dévoient régler par les accords de la Mufique, qu'ils regardoient com- me le fymbole de la Paix -, ce pré- cepte eft d'autant plus admirable qu'il étoit obfervé par des Barbares. Stra- fon , liv* 7.

ET DE SES ïïFETSr êj

Ainfi l'on voit qu'elle a eu de tout tems Tes partifans& Tes adverfaires, parcequ'elle peut produire de bons & de mauvais effets , fuivant l'ufage qu'on en fçait faire, dont je vais rap- porter des exemples pour fatisfaire la curiofîté du Lecâeur.

On trouve dans la vie des Peintres faite par M. Felîbicn , qu'un nommé Pierre de Cofimo Peintre Florentin, qui avoit un goût particulier pour les chofes les plus fantafques , & les plus bizares , compofa une mafca- rade à Florence en 1510 , qu'il ren- dit considérable par la reprefenta- tion d'un fpeétacle des plus extraor- dinaires qu'on punie imaginer^ peu de tems avant le Carnaval , il s'en- ferma dans une grande falle, ou il difpofa Ci fecretement toutes chofes pour Pexecution de fon deflèin, que perfonne ne s'en apperçut.

Le jour des réjouifîances étant ve- nu, le triomphe qu'il avoit préparé commença de paroître le foir dans les rues de Florence fur un grand char peint de noirfeméde croix blanches, de larmes ôc d'os de mort, tiré par

Ç$ Histoire de laMusic^ue,

iîX bufles harnachez extraordmaire- menc ; & far le bouc du timon, étoit un Ange élevé d'une figure en bofTe» &c d'une carnation finguliere qui fem- bloitfe ioûtenir par fix aîies peintes d'un plumage qui reprefentoit tous les attributs de la mort, & des peines des damnez, ayant une longue trom- pette à la main, fonnant d'un ton aigre & lugubre, pour réveiller 8c reiîufciter les morts j Ôc fur le haut du char il y avoit une figure tenant une faulx à la main qui reprefentoit la Mort , ayant fous Tes pieds plu- sieurs fepulchres , dont fortirent à demi des corps morts tout déchar- nez, une infinité de gens vêtus de noir & de blanc , mafquez comme des têtes de mort, marchoient devant êc derrière ce char, avec des flam- beaux à la main qui éclairoient le char dans des diftances fi bien ména- gées , que toutes chofes paroiiîoient naturelles ; on entendoit dans la mar- che , des trompettes fourdes dont le fon lugubre Se enroué fervoit de fi- gnal pour faire arrêter tout le cor- tège j Ton voyoit alors ces fepulchres

ET DE SIS EFFETS. 6<)

s'ouvrir, donc il fortuit comme par une refurrcifhon des corps fembla- bles a d:s fquelettes qui chantoienc d'un ton trîfte & languiflant, des airs convenables au iujec , comme doior plante e pemlen^a, & d'autres compo- fez avec tout l'Art que la Mb fi que Italienne efl capable d'inventer pour exprimer les plus vives douleurs d'une ame repentante ; & dans les places publiques le Cortège s'arrê- toit,& les Muiiciens chancoientd'une voix égale & tremblante, le Pleaume de Miferere y accompagnez d'inft ru- mens couverts de crefpes pour ren- dre les fons plus lugubres; le char étoit fuivi de plu rieurs perfon nés dé- guifées en forme de morts ôc mon- tées fur des chevaux les plus maigres que l'on [pût voir , Se couverts de houiîes noires avec des croix blan- ches , & des têtes de morts aux qua- tre coins, chacun des Cavaliers avoir autour de lui quatre Eftafiers dégui- fez en forme de Morts , portant un flambeau d'une main , & de l'autre unEtendart de tafetas noir, femé de croix blanches 3 de larmes , d'os ôc de

7<3 Histoire de la Musique, têtes de morts ; enfin tout ee que 1 hor- reur de la refurre&ion des Morts peut imaginer de plus trifte, étoit repre- fenté dans cette mafcarade,qui parut comme le triomphe de la Mort ; un fpe&acle fi. trifte 5c fi lugubre mit lepouvante dans Florence , & fit beaucoup de converfions , quoique dans un tems de réjouilîance ; d'au- tres admirèrent la nouveauté & la manière ingenieufe aveclaquelle tou- tes chofes écoient conduites, Se louè- rent le caprice de l'Inventeur , & l'exécution du concert fi convenable au fujet , ce qui fait voir qu'il n'y a point de fpedacle la Mufique ne puifle convenir pour émouvoir les pallions.

Un fameux Médecin de la Cour m'a alïuré avoir guéri une Dame de la première qualité, qui étoit deve- nue folle d'une paflion amoureufe , par l'inconftance de fon Amant ; il fit faire un retranchement dans la cham- bre de cette Dame pour placer des Muficiens , fans qu'elle pût les voir j on lui donnoit trois concerts le jour, £c la nuit on y chantoit des airs qui

IT DE SES EFFETS. Jl

flatoient fa douleur, 8c d'autres pour contribuer à rappeller faraifon, qui étoient tirez des plus beaux endroits des Opéra du Sieur de Lully'j cela dura fix femaines pour la remettre dans Ton bon fens, 8c l'on y réuffit en faifant quelque dépenfe.

Une Damoifellede la Mufique du Roi , m'a dit avoir vu un fameux Or- ganifte qui fut guéri d'une maladie très- violente qui lui avoit caufé une aliénation d'efprit,en forte qu'il tom- boit dans des fureurs dangereufes, ce qui obligea des Mufîciens fes amis à le veiller : ils s'aviferent par hazard de faire un petit concert de voix 8c d'Inftrumens pour les réveiller eux- mêmes, ils furent fort étonnez de voir que cela tranquilifa Pefprit du malade , 8c qu'il dit à l'un d'eux Pap- pellant par ion nom, tu manques à un tel endroit ; voyant PefFet de leur concert , ils continuèrent pendant quinze jours, 8c rendirent la fanté au malade, en remettant fon efprit dans fa première fituation , ce que les Médecins n'avoient pu faire par leurs remèdes.

7i Histoire delà Musique,

Nous avons dans l'Hiftoire quan- tité d'exemples, qui prouvent que la Muiîque peut encore calmer les dou- leurs de l'arne ; elle n'a pas moins de force pour l'engager à vivre dans la molefle: je me contenterai d'en rap- porter ici quelques preuves.

Ricimer Roi des Vandales, ayant perdu une grande Bataille contre Belifaire , fut contraint de fe fauver dans les Montagnes, il fut invefti. Erant accablé de douleur, il envoya demander à ce General un pain pour l'empêcher de mourir de faim , une éponge pour elïuyer fes larmes , ÔC un Infiniment de Mufique pour fe confoler dans ion defefpoir. Vie de r Empereur Jiïftinien.

On trouve dans les Mémoires de M. l'Abbé Vltorlo Siry > que la Reine Elifabeth d'Angleterre étant au lie de la mort, & fe fouvenant des ef- fets de la Mufique , fit venir toute la fîenne dans fa chambre ; afin, difoit- elle , de pouvoir mourir aufïî gaye- ment qu'elle avoit vécu ; & pour diiïîper les horreurs de la mort, elle écouta cette fymphonie fort tran- quillement

ET D E S ri S E F P E T S. 75

•quiilement jufqu'au dernier foupir.

Je me fou viens qu'étant à la Haye en 168 S. un de mes amis qui étoic Ecuyer du Prince d'Orange, me fit entendre un petit concert dans la chambre de ce Prince , compofé feu- lement de trois Muficiens excellens ; mon ami me dit que c'étoit la po- tion cordiale dont fon Maître fe fer- voit pour difliper fa mélancolie, ou pour fe foulager quand il étoit ma- lade ; j'ai connu quantité de gens de confideration qui fe fervoient de la même recette pour appaiferles dou- leurs de la goutte, ainfi l'on peut dire -que la Mufique eft un remède a (lez fpecifique pour foulager les malades, comme pour guérir les maux qui con- fiftent dans l'imagination.

Cela prouve inconteftablement les effets fouverains de la Mufique fur les pallions, lefquelles peuvent être difîipées , ou modérées par les effets de la fympathie qu'il peut fans doute y avoir entre les accords de la Mufique, Se les organes qui font fi- tuez dans les caneLures du cerveau, ou glandes pineales pour les fon-

D

74 Histoire di la Musique,

liions de la mémoire ôV des facultez de i'ame , iuivant le fentiment de Defcartes , j'en rapporterai encore d'autres preuves dans le Chapitre de la Mufique des Grecs.

Les Auteurs qui ont dit, comme Ovidf. que la Mufique avoit lapuif. fan ce u'animet des chofes infenfibles, n'ont pas porté leur fiction aufïï éloi- gnée rie ta vérité que Ton penfe, outre ce que j'en ai déjà dit 9 vu les effets qu'elle produit iur des corps inanimez , par la force de runiifon % fi l'on en juge par les expériences qui en ont été faites par trois perfon- nes de ma connoiifance & gens dignes de foi.

Un Ecuyer de Madame la Dau- phine m'a dit, qu'ayant un jour ame- né dîner chez lui à Verfailles, deux Mufieiens des plus belles voix de la Mu que du Roi, ils entonnèrent un grand air étant debout vis-à-vis fa cheminée fur laquelle il y avoit une grande glace , qui fut cafîée en fîx morceaux par la force de l'unifTon , comme fi on avoit mis un flambeau allumé devant la glace ; ôc que la

ET DE SES EÎFÎTS. 7J

force des voix de ces Muficiens fie encore trembler Se raitonner toute la fayance de Ton buffet, de forte qu'ils furent obligez de changer de ton, pour fauver le refle de (es glaces.

En voici une autre expérience faite par un fameux Joueur de luth, qui m'a aiîûré qu'en montant deux luths fur un même ton, en mettre un fur une table, Se jouer de l'autre; quoi* que fort éloigné de la table, celui qui eildtiTus', nelaiiTepas de rendre un fon harmonieux, Se Ton voit les cordes (e mouvoir-, mais à la vérité pas fi fenfiblement que celles du luth que l'on touche, i

Un bon Joueur de flûtes m'a dit, qu'en buvant un jour de la bière avec un de fes amis chez un Fayencier, il joua fur fon flageolet un air Supé- rieur , ôc qu'en moins d'un quart d'heure , il fit retentir Se trembler toute la fayence de la Boutique , ce qui fit fuir tous ceux qui étoient de- dans.

Il y a peu de gens verfez dans la Mufique, qui n'ayent quelque con- noiffance des faits que je rapporte.

D ij

■76 HlSTOîRB DE LA MtJSlQtîF. ,

Diogene Laerce? nous apprend que le Philofophe Àrchelaus , eft le pie- mier qui a dé-fini la voix un bate- ment de l'air, Se que Theodoret Phi- lofophe Grec, a fait un Livre des moyens de l'exercer.

Il paroîc que dès le tems de Platon, les Philofoph.es avoient abandonné la pratique de la Mufique à caufe de fa corruption , & n'avoientconfervé que la théorie de l'ancienne,dont Pla- ton a fait un beau Traité. Diosene le Cinique, qui etoit contemporain de Platon , reprenoit fouvent les Mu- fîciens de l'attention qu'ils avoient pour bien accorder leurs Inftrumens dans les concerts, fans fe foucier d'accorder leurs pafîions aux préce- ptes des anciennes règles delà Mufi- que ; cependant Ton peut dire avec quelque certitude, que les anciens Muficiens Se les Muficiennes, n'ont jamais porté l'excellence de l'exécu- tion de la Mufique, plus loin que ceux de nos jours , foit pour la cul- ture de la composition, ou pour le chant & pour les Inftrumens, quoi* qu'on n'en puiffe pas juger auiïifûre-

!T DE SES EFFETS, 77

mène que nous faifons de la Sculp- ture & de la Peinture des Anciens, fur les admirables morceaux qui nous en reftent , puifqu'ils fervent encore aujourd'hui de modèles aux plus excellents Peintres ; ils n'ont pris que , le bon goût qui relevé le prix de leurs ouvrages ; Ton ignore fi les Anciens avoient le goût aufii bon pour la MuHque, que pour la Sculpture, puifqu'il ne nous refte plus de preuves certaines de leurs com- pofitions , &c même peu de caractè- res des nottes des Grecs ; mais ieuie- ment des traitez de cet Au, qui ont pu fervir de règle aux Muficiens mo- dernes pour parvenir à la perfection du chant êc des Infttumens, tels que nous les voyons aujourd'hui.

Enfin l'Art ou la fcienee da la Mu- sique généralement parlant, s'appei- loit par les anciens Philofophes En» ey clope die , voulant faire comprendre qu'elle renfermoit en elle, une con- noilTance univerfelle de toutes les Sciences ; mais nous ne voyons point de Philofophe, ni de Mudcien, qui l'ait poiTedé dans fa dernière perfe-

D iij

7S Histoire de la Musique, étion , ni fuivant la haute idée que les Anciens en ont eu ; ce qui a fait dire à Pythagore comme à bien d'au- tres , que l'intelligence parfaite de la Mufique, étoit refervée pour les Dieux ; 5c j'oferai dire que les Mu- ficiens font à peu près comme les gens de Guerre, 'on ne les afTemble point en corps , fans qu'il en coûte beaucoup -, c'eitpourquoi la Mufi- que eft mife au rang des dépenfes Royales.

Virgile nous apprend , que Jopas Mttficien de Didon, Reine de Car- tage, fut le premier qui introduifit les concerts aux feftins des Têtes Couronnées , 8c de qui Ton tient Tu- fage de chanter des chanfons à boire à la fin des repas , pour animer les conviez à boire plus long-tems, ce qu'on n'a pas oublié depuis l'an 3 1S0. du Monde.

Enfin l'ufage de la Mufique a fon bien & fon mal , de même que les autres Sciences , c'eitpourquoi les Egyptiens la bannirent quelquefois de l'Egypte , comme un mal con- tagieux , quoique cette Nation l'ait

ET DE SES EFFETS. 79

regardée comme la fceur de la Re- ligion, aufli-bien que la Poefie, par rapport à leurs convenances, & à leur antiquité.

Ce Chapitre feroit encore plus étendu, s'il étoit permis de rappor- ter toutes les avantures Ôc les effets que la Mudque & la danfe ont pro- duit dans Paris , depuis l'établirTe- ment de l'Opéra ; mais fi ces fortes d'Hiitoires réjouirent les Lecteurs , elles affligent fouvent ceux qu'elles intereiTent ; c'eitpourquoi on les a fupprimez,

CHAPITRE IV.

De la Mufique artificielle comfofie fui-

vant les règles de la Mécanique "

& de [es effets.

C'£ft par les principes de la Mé- canique, que Ton peut inventer des inftrurnens de Mufique qui jouent tout feuls , appeliez Automates , par- mi les gens de l'Art, comme celui dont il eft parlé dans la Théologie des anciens Payens, chap. x v i.

D iiij

So Histoire de la Musique 9 il eft rapporté qu'un fçavant Mathé- maticien , fit un Inftrument à fept cordes , qui rendoit une harmonie admirable , lorfqu'il étoit expofé aux rayons du Soleil , dans un jour clair ôc ferain -y mais qu'il reftoit fans au- cun mouvement quand le tems éroic couvert, ce qui a beaucoup de rap- porta ce que tant d'Auteurs anciens nous ont dit de la ftatue de Mem- non de Thebes , qui rendoit Tes ré- ponfes Musicalement , lorfqu'elle étoit échauffée des rayons du Soleil ^ dont l'ardeur fans doute, faifoit agir des refforts cachez dans ces fortes de figures, & fur ces fortes d'Inftrumens difpofez avec des cordes fuivant les règles de cet Art, qui femble furna- turel , & dont les effets donnent beau- coup d'admiration à ceux qui n'en ont pas la connoilfance ; l'invention en eft attribuée à Dédale , auffi fa- meux Mathématicien que grand Ar- chitecte Se Sculpteur de la Grèce, au. dire de Paufanias, llv. 7. & d'Ovide > liv. 11.

Le P. Mairnbourg rapporte encore dans [on Hiftoire des lconoclaftés >

IT DE SES EFFETS. Si

qu'un habile Mathématicien fit pour l'Empereur Théophile un grand ar- bre d'or , fur lequel il y avoit quan- tité d'oifeaux de même métal , qui formoient un concert merveilleux, par le moyen des reflorts qui étoient placez artiftement dans le corps de l'arbre ; cet arbre jouoit tant qu'on vouloir, de en tout tems ; quoique ce chef d'eeuvre eût coûté des fom- mes considérables, & qu'il fîft l'ad- mirarion de la Cour de l'Empereur Théophile, fon fils Michel ne laiiTa pas de le faire fondre , pour furvenir à fes folles dépenfes , après avoir dif- fipé les grands Trefors que fon père lui avoir lairTé en mourant.

Mais ce que rapporte Agrippa dans fes Paradoxes, ch. 43. & Gaf- farel dans fon Livre des Curiofitez inouies, ch. 7. eft encore plus fur- prenant; ils affûrent que le fçavant Bocce, Minière de Theodoric Roi des Gots i lui fit des oifeaux d'airain qui paroilïbient naturels -, qui vo- loient & qui chantoient des airs très- mélodîeux.

Le même Gaffarel dit encore ^ D v

Si Histoire de la Musique, qu'étant en Allemagne,,.^ vit chez un- particulier la figure artificielle d'un Berger qui jouoit plufieurs airs fur une mufette , ayant les mouvemens des doigts & d'autres figures de Ber- gers Se de Bergères , qui danfoient au fon de la Mufette des danfes figu- rées , le tout exécuté avec autant de juiteiTe , que fi c'eût été des perion- nes vivantes , dont l'Inventeur vou- loit avoir dix mille ècus.

Le P. Merfenne allure qu'Albert le Grand fit à Paris, une tête de bois qui chantoit & articuloit comme une voix naturelle j mais ces fortes d'ex- périences font quelquefois funeftes à ceux qui les inventent, fur-tout quand elles paroilTent aux yeux des ignorans, qui n'en pouvant com- prendre l'artifice, fe font perfuades que l'Efprit malin les conduifoit y comme il eft arrivé à un fameux Ma- thématicien à Aix en Provence en 1664.. ^ec bomme voulut donner une marque de Ton fçavoir à quel- ques perfonnes de confideration de îa Ville, qui confïftoit à faire voir dans fa chambre un fquelette qui

ET DE SES EFFETS.

jouoit de la guuarre comme sne p forme vivante , en lui attaçfuftit l'i;. ftrument au col, 8c lui plaçant les doigts fur le manche ; le fqueliette étoit placé dans le milieu de C? cham- bre> dont la porte 8c la fenêtre étoient ouvertes , dans un tems fort fërâiri 8c fort tranquile : toutes ces cbbfes étant ainfi difpofées, le Mathémati- cien fe plaçoit contre la feneftre & commençoit à jouer de fa guitarre montée fur les mêmes cordes que celles du fquelette , qui repetoitauiîï les mêmes airs 8c avec la même ju- fteiîe, au grand étonnement de toute raiTemhlée ; le Mathématicien char- mé des applaudiiTemens de fon Art prétendu magique, en donna encore d'autres représentations , qui furent vues de quelques Officiers du Par- lement d'Aix, dont ils furent fi fur- pris qu'ils en firent le rapport à la Chambre de la Tournelle , qui décré- ta contre le Mathématicien comme Magicien-, fon procès lui fat fait 8c condamné par Arrêt à être pendu & brûlé dans la Place publique avec le fquelette , malgré toutes les rcmoii*

D v)

I4 Histoire de la Mitsiqtti 9 trances qu'il put faire pour perfua- der aux Juges que ce n'étoit que les effets de l'Art mécanique, exécutez fuivant les principes des Mathéma- tiques. La mort funefte de Dédale 8c celle de fon fils Icare , font les pre- miers exemples des dangers cette profonde fcience entraîne ces grands Mécaniques.

Nous voyons encore aujourd'hui quantité d'inftrumens de Mufique qui jouent tout feuls , compoiez par les règles de la Mécanique, comme le clavefîîn qu'a Mademoifelle Cr. qui joue tout feul jufqu'à douze grands airs differens , par le moyen d'un feul reilort, dont l'invention vient d'Allemagne 9 les Aîlemans , étant très- capables pour la compo- fitiondes Automates.

Les Orgues Hydroliques compo- fées par le P. Sebaftien Carme, grand Mathématicien , font encore des ef- fets de cet Art , de même que le pu- pitre que l'on a vu Tannée 1713. à la foire faint Germain , dans lequel on entendoit jouer (îx airs differens , comme d'un flageolet, auffi tendre-

ITDESES EFFETS. £$

ment Se auffi juftes, que delà Barre le pourroit faire.

J'ai vu aufîî un rouet à filer pofé fur une table , duquel la roue en tournant le fil , fait jouer parfaite- ment trois airs difFerens , quoiqu'il n'ait qu'un pied Se demi de longueur.

Les fameufes horloges de la iama- ricaine, de Lyon Se de Strasbourg, dont les carillons donnent de l'ad- miration, font compofez par les rè- gles de cet Art , de même que îa. pen- dule que le Roi a à Verfailles, ou l'on voit tant de figures mouvantes , Se dont le carillon efi: très - harmo- nieux ^ on fçait encore par tradition qu'il en coûta la vie à l'Auteur de l'horloge de Strasbourg , pareequ'il voulut aller à Francfort pour en faire une plus parfaite.

Jean de la Porte Napolitain , Au- teur d'un traité de la Magie naturelle, Se grand Muficien, dit que c'eft par le moyen de la Mufique artificielle, qu'on peut apprendre à un muet à parler Se à chanter, quoique fourd de naiitance , dont il a fait pîufieurs expériences , ainfi qu'il l'cnfeigae ,

$6 HrsT©iRï de la Musique , en cillant qu'il n'y a en jouant de quelque infiniment de Mufique, qu'à en faire mordre lemancheàunfourd, ck que fur le champ on le voit tref- faillir de joye , & l'on conçoit aifé- ment qu'il entend -, il prétend que les Tons fe portent au cerveau par les deux orifices que nous avons au de(- fus du palais, & fe font entendre \ on peut l'expérimenter foi-même en fe bouchant bien les oreilles : cela fuppo^é, un fourd de naiflance pour- roit jouer delà trompe Allemande, & en entendre les fons , puifqu'on en joue entre les dents.

Tous ces faits ne paroîtront point furprenans à ceux qui ont quelques notions de l'Art mécanique, puifque par ces principes , on peut faire chan- ter des figures inanimées , & faire jouer des Inftrumens tout feuls , com- me je l'ai déjà àïr.

Mais comme cette matière eft fort abftraite , il feroit difficile d'en don- ner des preuves plus convaincantes ; il fuffit que l'on fçache en quoi les Anciens ont fait confifter la Mufique artificielle.

IT DE SES EFFETS. 87

CHAPITRE V.

Sentimem des Fibreux fur V origine de

la Aiafique , & ïufage quils

en fripaient.

\ K Oïfe, ce grand Legiflateur des XV JL Hébreux , nous apprend par la Genefe, que Jubal fils de Lamech , fut l'Inventeur de la Mufique vocale, Se de l'inftrumentale , ou qu'il fut le premier qui la mit en ufage, environ Tan 230, après la création du Monde y & que Enos finie premier qui chan- ta les louanges de Dieu ; mais il ne dit pas comment Jubal l'inventa, ni s'il en fit un Art ou une Science. Ge- nefe , eh. 4.

L'on préfume que Moïfe a pu fça- voir d'où vient l'origine delà Mufi- que , par la voix de Dieu même , au- quel , dit l'Ecriture, il parloit fouvenc face à face, & de même qu'un hom- me a accoutumé de parler à fon ami ; on voit d'ailleurs que la vie de ce grand Perfonnage , eft un tiffu d'éve-

it Histoire de ia Musique, nemens miraculeux , depuis fa naif- fance jufqu'à fa mort ; & l'on peut juger encore par toutes les actions de fa vie , qu'il poiîedoit les Sciences 8c les Arts, aufîï parfaitement que Salo- mon:ce quin'eft pas iurprenant,puif- qu'il fut inftruit par les Prêtres ôc par les Philofophes d'Egyptedans les plus hautes Sciences jufqu'à l'âge de tren- te ans , par ordre de Pharaon Roi d'Egypte, qui le faifoit élever com- me fon fucceiîcur à l'Empire , outre l'inltruction qu'il eut en Ethiopie, après qu'il eut remporté la Victoire contre* cette Nation , il époufa Tharbis, fille du Roi, au dire de Jofeph, liv. 5. eh. 5. Enfuite pen- dant les quarante années qu'il paiTa en Arabie auprès de jetro grand Sa- crificateur , l'un des plus fçavans de fon tems dans l'Arabie, lequel apprit encore à Moïfe les Sciences les plus occultes , & les plus relevées ; il lui donna aufïï fa fille en mariage à caufe de fon grand fçavoir, quoique inconnu Se fugitif en Arabie. Com- me Moïfe étoit un génie admirable, il ne lui fut pas difficile de profiter.

1T DE SES EFFETS. 8$

Je l'inftrucftion que lui donnèrent les plus fçavantes Nations du Monde 9 ce qui a pu être caufe en partie que Dieu le choiiic pour le Libérateur de Ton Peuple , qui gémifïoit fous la domination du Roi Pharaon dans eetems-là, quoiqu'alors MoïTe fût âgé de quatre - vingt ans. Exode > ch. 54. an. ir.

Jofeph, tom. i. chap. i.art. 9. die auifi. que jubal fut l'Inventeur du pfalterion& de la harpe -r8c qu'Enos fut le premier qui chanta les louan- ges du Seigneur. Gcnef. chap. 4. Mais à l'égard des Sciences Ôc des Arts : Que Seth, l'un des fils d'Adam , les avoit gravées, en abrégé fur deux coîomnes dreiïées fur la plus haute Montagne de la Syrie , pour en in- ftruire la pofterité après le Déluge univerfel. Cet Auteur aiîûre qu'on les voyoit encore de fon tems , l'une faite de brique, Se l'autre de pierre;, nous n'avons cependant que ces paf. fages dans l'Ecriture fainte dont on puiife tirer des lumières plus certain nés que celle ci, pour prouver l'origi- ne de la Musqué , &des premiers la» ftrumens, par raport aux Hébreux.

5>o Histoire de la Musique ,

Il eft encore à préfumer queNoé qui étoit fils de Lamech,a pu initruire fes enfans de l'Art de la Mufique, comme des autres Sciences , puis- qu'elle étoit en ufage chez les Hé- breux , avant le palïage de la Mer rouge, après lequel l'Ecriture nous apprend que tout le Peuple d'Ifrael chanta le Cantique de l'Exode, com- pofé parMoïfe qui pofTedoit parfai- tement la Poëfie &' la Mufique $ ôC que Marie foeur de Moïfe & d'Aaron, alTemblaavecun tambour à la mai», toutes les Chanteufes & les Joueurs d'Inftrumens , pour chanter aullï des Cantiques à la louange du Seigneur, en reconnoiffance de leur délivrance, & de la captivité d'Egypte , d'où ils fortirent au nombre de douze cens mille âmes, pour aller prendre pof- fc/îlon de la Terre promife, fous la conduite de Moïfe èc d'Aaron, Sui- vant l'ordre de Dieu, parmi lefquels il s'en trouva d'auffi inftruits de tou- tes les Sciences Se des Arts , que les Gymnofophiftes, Philofophes Egy- ptiens, & fort profonds dans la Mu- fique, Exode , ch. 15.

ET DE SES HFïTS, £ï

L'Ecriture nous apprend encore, que la Mufique étoit en uiage chez les Hébreux , des le tems de Jacob, puifque Laban fon beau père, lui re- procha que s'il l'avoit averti de fon départ, pour s'en aller dans fon pays natal , il Fauroit fait conduire en chantant, «5c au fon des Inftrumens, dont on Te fervoit dès ce tems- là. L'Hiftoire de l'Antiquité nous af- fûre encore , que tous les Patriar- ches ont eu une connoiîTance aufîi parfaite de la Muiique5que de i'Aftrô» logie.

Le premier miracle , que la Mufi- que produifit en faveur des Hébreux, fut en faifant tomber les murailles de Jerico , au feul fon de leurs trom- pettes , pour en faciliter la prife.

C'eft ce qui a fait dire à Cafaubon fur ce fujet , que les Pères de l'Eglife fe font fervis d'une fraude pieufe , en aurorifant les opinions des Juifs fur leurs miracles , êc pour donner plus de créance au Pentatheuque de Moïfe ; mais Cafaubon, comme tous les autres Calviniftes, croyoit avoir intérêt de diminuer la foi desJMira-

<?i Histoire de la MusiqïTh> clés, qui fert à appuyer la Religion Catholique , donc ils fe font fe parez. L'on en voit cependant un aflfez bon nombre dans l'Hiitoire moderne , dont il n'eft guéres aifé de difcon- venir, tant il y a d'Auteurs qui les rapportent j comme par exemple , la chute miraculeufe des murailles delà Ville d'Angouiefme, affie^ée par Clovis, premier Roi Chrétien, & ce que raporte encore Bouch'et, fous le règne de Robert : Il dit que ce Roi fe déroba de Ton armée qui afïïegeoit une Ville, pour aller à Orléans fo- lemnifer la Fête de Saint Agnan , 6c y faire Tes dévotions ; & pendant que FEvêque celebroit la. Me (Te ponti- ficaiement en Mufique, les murail- les de la Ville tombèrent en ruine fans aucun effort : on peut croire que c'efl: plutôt la ferveur des Prières de ce Roi qui ont produit ce miracle, que les effets de la Mufique, outre qu'il eft vrai que les Auteurs dont Bouchée l'a tirée, ne nomment pas la Ville j néanmoins ces Hiftoires ne pafTent pas pour apocriphes. Éfym de Montagne >ch. 31..

« T DISES EFFETS. 95

L'on ne trouve guéres de faits qui •foient remarquables dans.l'Hiftoire des Hébreux touchant la Mufique, depuis Moïle, jufqu'à Débora Pro- pheteiTe,en l'honneur de laquelle Ton voit dans le Livre des Juges, un Cantique fait pour célébrer la vi- ctoire qu'elle avoit remportée fur Sifara, General des Chanancens.

Nous voyons encore dans le mê- me Livre des Juges, que Seïla fille de Jephté, vint au devant de lui avec fes Compagnes, jouant des Inftru- mens en chantant les louanges du Seigneur, à caufe de la victoire que fon Père venoit de remporter contre les Ammonites.

Les Hébreux qui fe regardoient comme le Peuple de Dieu , n'em- ployoient guéres la Mufique qu'à des œuvres pieufes ; il y avoit quel- quefois des libertins, qui ne laif- foient pas de faire des fatyres Se des chanfons à boire. David s'en plaint même , lorfqu'il dit : ils font des chanfons contre moi qu'ils chantent en buvant; lesMacabées remployè- rent auffi dans les fêtes de leurs no-

f4 Histoire de la Musique,

ces i mais les Hébreux en gênerai , étoient ennemis des ipeclacles , & des jeux publics 5 qu'ils regardoient comme la fource de la corruption des moeurs \ toutes leurs Fèces pu- bliques étoient pieufement établies à la gloire du Seigneur , & pour fo- lem.iiler les miracles qui leur avoient facilité la délivrance de leur capti- vité & de leur établiiïement dans la Terre promiie ; la célébration de leurs Sacrifices fe faifoit avec une pompe furprenante , & un accom- pagnement de Mulïque très-confide- rab'e.

Tous les mâles de la famille de Levy étoient fpeciaiement confa- crez au culte de la Religion , on leur donnoit dès leur adolefcence des em- plois proportionnez à leur âge fk à leur capacité ; ceux qui avoient de la voix étoient reçus dans le Corps des Muficiens , & l'on mettoi.t au rang des llluftres , ceux qui excel- loient dans la Mufique i toutes les Prières étoient compofées en Vers , & l'on voit à la tête de la plupart dans les Bibles Hébraïques , les

ET DE SES EFFETS. 9 J

noms des Inftrumens iur lefquels elles dévoient être chantées , donc il eft néanmoins a prefent impofli- ble de décrire la coropoiïtion , non plus que la méfurc des Vers , & des nottes de Mutïque, que bien des gens croyoïent avoir été inventées par les Maforetn.es en même tcms que les points. David paiîoit pour être aufîi bon Muficien , que bon Joueur de harpe, fur laquelle il chan- toit des Cantiques , & les Pfeaumes qu'il compofoit en Vers : ce qui fait voir qu'il étoit aulli bon Poète , qu'excellenr Muficien.

Salomon tenait a honneur de paf- fer pour le meilleur Chantre de ion teins ; il eft d^r dans PEcclefuftique, que l'excellence de fes Cantiques le faifoit admirer par toute la Terre. L'un & l'autre ont compofé quan- tité de Pfeaumes &de Cantiques en Mu fi que à la louange du Seigneur $ chacun fçait les effets que produifoit la harpe de David , pour appaifer les fureurs de Saiil j mais quelques Rabbins ont prétendu que c'étoit l'effet du nom de Dieu qui étoit gravé

j& Histoire ©e la Musique, ïiir le manche de cet Infiniment ; ce Prince aimoit fi fort la Mufique , qu'il Te mêloit fouvent avec les Lévi- tes-, pour chanter les louanges du Sei- gneur; il en reçut même de grands re- proches de MicholsnTle deSaiil,fa pre- mière femme, & fur-tout pour avoir fuivi l'Arche, enchantante^ danfant comme les autres,lorfqueles Lévites îa menoienten procefïion dansjeru- falem ; cette femme lui dit que cette action éccit indigne d'un grand Roi ; mais il lui fît une réponfe qui mar- que également ion efprit , Se fa pieté. Cette cérémonie fut inven- tée par un nommé Afaph , qui parle pour être le premier Maître de Mu- fique des Chantres des Hébreux ; & ce fut David qui ordonna qu'il y auroit fix rangs de Chantres de cha- que co:é dans les Temples, par rap- port aux fix tons de la Mufique des Hébreux. Polydore Virgile dit que David inventa une efpece d'orgue, dont il |ouoit avec un archet, qui nous eft inconnue.

Si nous en croyons Eutychius Pa- triarche de Conftantinople, David

laifla

!T DB SES EPIITS. 97

laifta en mourant à Ton fils Salomon, deux mille quatre cens millions en or, & fïx cens millions d'Ecus en argent, le tout monnoyé , pour aider à faire bâtir le fameux Temple de Jerufa- lem , qui a pzP^ avec raifon pour une des merveilles du Monde , ce qui çjk encore rapporté par Chevreau. Hifî. du Monde , liv. 8. ch. S.

Dans la defcription du Temple de Salomon, il eftfait mention des qua- tre chambres fouterraines , qui fer- voient aux concerts des Lévites , dont le nombre étoit de vingt quatre mille , pour le fervice du Temple ; il y avoit dans ces chambres fouter- raines cent mille crochets, pour fu£. p:ndre les Inftrumens , qui y re- lloient toujours, crainte que la cha- leur ne les corrompît ; on y trouvoic jufqu'à quarante mille harpes, au- tant de cidres d'or à vingt carats, ôc quantité d'autres inflrumens de Mu- fîque, deux cens mille trompettes d'argent, faites d'une manière parti- culière ordonnée par Moïfe, dont Tufage n'étoit permis qu'aux Prêtres, au dire de David Kimhi, fameux

E

J% HîST©IRE DE LA MtfSlQUE ,

Rabin, & un fur-Intendant pour le gouvernement de ces Inftrumens3 un autre pour les orgues ; on Te fervoit aufii des trompettes pour célébrer les fêtes , & aux banquets, publics qui fe faifoient en mémoire de la dé- livrance des Peuples s & des victoi- res remportées fur leurs ennemis ; un autre fur Intendant ou un grand Maître de la Mufique qui avoit Pinf- pecHon des Chantres, ce qui n'eft pas iurprenant, puifqu'aux fêtes & aux facnfices fbîerhriels , on employoit jufqu'a dix mille Mudciens.

Le livre des Chroniques parlant de Chonnenias, qui étoitle premier âes Lévites &: le chef des concerts, dit qu'il prefidoit à la Prophétie , pour entonner les accords qui excitoient à Pentoufiafme ; & Phii'on Auteurjuif, dit que David partagea cette multi- tude de Muficiens en vingt-quatre chœurs de Mufique , pour fucceder les uns aux autres durant les vingt- quatre heures dont le jour civil eft compofé, lefquels avoient chacun un Maître en titre d'office pour com- pofer les concerts , qui prenoienc

ET DE SES 1FFETS.

néanmoins l'ordre du fur- Intendant dans les Fêtes de cérémonies ; il fe trouva dans ce tems-là julqu'à deux cens quatre vingc-huit Maîtres de Mufique, dont Gad , & Nathan, Prophètes ôc Muiîciens alloient de pair avec David ; le fils d'Afaph , Himan, Iditun , Befelée) & Ooliad, furent auili fort eftimez^ parmi les Hébreux , pour la composition des concerts ; tout y étoit à proportion pour le fervice du Temple, Cette ïbmptuoiité parut encore dans les ornemens Pontificaux de Jad grand Pontife, dont la prefenee imprima tant de refpett à Alexandre le Grand, qu'il conferva aux juifs tous leurs privilèges , après avoir fait fon en- trée dans Jerufalem, fuivant qu'il eft rapporté dans Quint- Curce.

Il n'eft point de Nation dans le Monde, qui ait porté plus loing la pompe & la magnificence du Sacer- doce que les Juifs , pour faire voir la grandeur de leur Religion ; quel- ques Rabins ont dit que le commen- cement du règne de Salomon fut fi heureux, que l'argent étoit auffi

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îoo Histoire de la Musique , commun dans Jerufalem que les pie- res , le cèdre & le ficomore.

L'Ecriture nous apprend encore, que les Prophètes avoient befoin de bons Joueurs d'Inftrumens pour les I exciter à l'antoufiafme ; Se l'on voit qu'Elifée demandoit un bon Joueur de luth , pour exciter fes efprits mieux prophetifer j ce Prophète ni put rien dire devant Àfaël Roi d< Syrie , qu'après avoir joué du pfalte- xion : ils fe fervoient encore de ls harpe & de la lyre , qui étoient pro. près pour les animer aux tranfports prophétiques.

Zamoras Rabin, amire que dè« le tems de la Synagogue, la Mufi- que y étoit en ufage , & que depuis on chanta dans les Temples les cinq livres de MoïTe , d'un ton plein &, <loux, les Prophéties d'un accent rude &r patetique , les Pfeaumes de David' d'un air grave qui tenoit de l'extafe les Proverbes de Salomon fe chan toient 'd'une manière inilnuante, 1 Cantique des Cantiques fe chantoi avec joye & allegrefe, & i'Eccle fiaftique d'un ton ferieux & feverc

ET DE SES EFFETS. I©I

il étoit même défendu en ce tems- aux Muficiens d'en changer les tons , fur peine d'excommunication, qui étoit le foudre des Sinagogues des Hébreux. M. l'Abbé de Fleury homme d'érudition , dit avoir vu des fragmens nottez en Mufique de ce tems.Ià,qui font fufceptibles d'un chant très- harmonieux : il faut qu'ils fuient en parchemin, car le papier fut inventé par Alexandre le Grand, après avoir trouvé une écorce d'ar-

; bre en Egypte appellée Papyros, fur

1 laquelle il écrivit, au dire de Varron

\ dans fes Antiquitez.

La grandeur & les magnificences

1 des Hébreux, ne fubfifterentprefque que pendant le règne de Salomon , car peu de tems après fa mort, dix des douze Tribus dont le Peuple étoit compofé, fecouerent le joug de Roboam fon fils ; ils formèrent un autre Royaume, Se changèrent auffi la Religion. Cette grande divi- fion fut en partie caufe de leur deftru- étion.

Nabuchodonofor Roi de Babylone, après avoir ruiné Samarie , l'une des

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loi Histoire de la Musique, principales Ville des Juifs , vint avec une armée formidable, Tan du Mon- de 342^. mettre le fiége devant Je- rufalem , qu'il prit d'aiïaut; il en brûla tous les grands édifices , & le Temple de Salomon , qui pafloic pour l'une des merveilles du Mon- de , pilla tous les Trefors , nelaiiTa que des cendres pour tout monu- ment de cette fameufe Capitale , 8c de la fupetbe grandeur de cette Na- tion ; car il emmena le Roi Joakim avec tout le peuple Juif en captivité dans fon Royaume , ils furent pri- fonniers pendant foixante - dix ans , qui fut leur première deftru&ion.

Saint Mathieu, ch. 9. nous apprend que les funérailles des Juifs fe fai- foient encore au fondes Inftrumens, Ôc que les Joueurs de flûtes étoient afiTemblez pour la fepulture de la fille du Prince de la Sinagogue, ce qui marque la magnificence des pom- pes funèbres des Hébreux de con- fideration ; chacun y employoit la Mufique félon fon pouvoir , & la qualité des défunts.

Cet ufage a été obfervé affez long-

1T DE SES EFFETS. IOJ

tems dans primitive Eglife j Ton fe fervoit aux enterremens du chant d'allegrerTe , comme d' 'Alléluia , au lieu des chants trilles 8c lugubres , dont on fe fert à prefenr , 8c l'on donnoit aux parens un grand feitin au retour des funérailles, pendant lequel on s'entretenoit des bonnes mœurs du défunt; il n'y a pas mê- me cinquante ans que cet ufage eft aboli parmi les Chrétiens. La Motte le Vayer, tom, 2. dit encore que cet ufage fe pratique en Allemagne, 8c parmi les payfans de plufieurs Pro- vinces de France.

Je- finirai ce Chapitre, par ce que nous apprend-Jofeph , touchant l'o- pinion des Hébreux fur les fpedfca- clés 8c les jeuxipu^lics : Il dit qu'He- rode fe trouvant tranquille dans la poiïeflïon du Royaume de Judée, ne fongea plus. qu'à fes plaifirs , il fit bâtir un Théâtre dans Jerufalem d'une magnificence furprenante , 8c un amphithéâtre hors de la Ville; il fit venir de tous les cotez , des Joueurs d'inftrumens, des Muficiens les plus célèbres, des Comediens,des

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tô4 Histoire de la Musique, Athlètes , & généralement tout ce qui peut contribuer à la magnificen- ce des fpectacles , qu'il établit en l'honneur de l'Empereur Augufte , pour être célébrez de cinq ans en cinq ans, comme les jeux Olympi- ques , il établit des prix pour chacun; le théâtre étoit environné des tro- phées des Nations qu'il avoit vain- cues , & de figures d'hommes , ce n'étoit qu'or , argent & pierres pré- cieufes , il faifoit combattre des hom- mes condamnez à la mort ; ces fpe- ctacles ne donnoient pas moins de plaiiir que d'admiration aux étran- gers , mais les Juifs les confîderoient comme un renverfement & une cor- ruption de la difcipline de leurs An- cêtres, entièrement contraires à leur Loi, Se fur- tout à leur Religion, dont il en arriva un murmure qui alloit à la révolte. Herode les voyant dans ce fentiment,ne crût pas devoir ufer de violence, il tâcha de les adoucir, &c de leur perfuader que leur crainte ne pouvoit provenir que d'une vaine iuperftition ; mais il ne put leur ôter la créance qu'ils avoient de commet-

ET DE SES EFFETS.

tre un grand mal en fourTrant ces fpe&acles. Se fur- tout à caufe des figures d'hommes qui fervoient d'or- nemens & de décorations -, il fut en- fin obligé de les faire ôter, cela con^ tenta en partie les Juifs ; mais dix d'entr'eux méprifant la grandeur du, péril a confpirerent contre lui , & ca- chèrent des poignards fous leurs rob- bes ; ils allèrent fur le théâtre, dans le derTein de poignarder Herode un jour de fpedfcacle. Comme il avoit plufieurs perfonnes qui obfervoienc ce qui fe paiïbit , il y en eut une qui les découvrit y de qui en donna avis à Herode dans le tems qu'il alloit au théâtre : cette nouvelle l'obligea» de feindre de fe trouver mal , Se de fe retirer dans fon Palais. On peut dire à la louange de ce Prince , qu'il eut dans cette occafion plus de pru- dence que Jules Cefar , puifqu'il en- voya prendre ces conjurez, qui fe lailîerent emmener fans refiftance j mais étant devant lui ils lui montrè- rent avec un vifage ferme & ferein , les poignards qu'ils avoient préparez pour Faiïaiîiner, ils lui déclarèrent

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îOu Histoire de Musique , hautement que la feule pieté & le bien public , les avoient portez à en- treprendre cette action, pour confer- ver la pureté des Loix de leur Dieu, & celles de leurs Ancêtres ; après lui avoir parlé de la forte, ils allèrent au fupplice fans murmurer. Cet exem- ple fait voir combien les Hébreux avoient en horreur les fpectaclès ôc les jeux publics. Hift. des Juifs 3 tom. $. ch. 11.

Comme les opinions des Auteurs prophanes doivent céder aujourd'hui à celles de l'Ecriture fainte, il faut croire que c*e(t Jubal Ôc Enos 3 qui ont été les Inventeurs de la Mufique vocale , ôc de l'inftrumentale , ou du moins les premiers qui l'ont mife en ufage parmi les hommes. Genefe.ch, 4. fîift. des Juifs , Um. 1. ch. 2.

Cet Art étant une partie des Ma- thématiques, l'on peut croire encore qu'Adam ayant eu de Dieu la per- fection des Sciences , en a pu donner les principes à Jubal & à Enos , \ef- qucls il peut avoir vus comme je l'ai dit ; c'eftpourquoi je puis l'établir ici fous l'autorité de l'Ecriture, malgré

ET DE SES EFFETS. IO7

tout ce que les Nations en ont pu dire Se inventer pour fe l'attribuer," outre que les Pères de I'Eglife nous allûrent que c'eft: Dieu lui - même qui a mfpué la Genefe à Moïfe, fous un fens myihque, allégorique & lit- téral.

De fçavans Rabins ont dit de Moïfe, qu'il avoit (on Ange tutelaire, comme les Patriarches Noé, Abra- ham , Ifaac Se Jacob , qui les inftrui- foient des Sciences occultes y ces Ra- bins prétendent le prouver par un Livre Hébreu appelle Zohar , ils difent même que l'Ange de Moïfc s'appelloit Mimrm, Se que c'tft par l'efprit de cet Ange tutelaire qu'il a compofé Ton Pentateuque2 Se pro- duit tant de prodiges Se de merveil- les qui ont fait l'admiration des Hé- breux ; mais fans m 'arrêter à toutes ces vidons, je dirai qu'il eil: à préfu- mer que ce grand génie a, pu avoir la connoiflance de l'origine des Scien- ces Se des Arts , foit par révélation Divine, ou par les deux colomnes quife trouvèrent dreflTées dans la Sy- rie. Si ce fentiment efl vrai comme je

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iol Histoire de la Musique, l'ai rapportai de Jofeph, dont quel- ques Chronologues ont aufïï fait mention , du moins je crois ce fen- timent le plus ortodoxe ; car fans ces preuves , l'origine de la Mafique nous feroit encore aufïï inconnue que la fîtuation du Paradis terrcftre, ou que la fource du Nil , ce qui doit terminer toutes les conteftations fur celle de la Mufïque.

CHAPITRE VI.

De la vénération que les Grecs avalent pour la Muficjue , de leurs opinions fur fon origine, & de leurs fveUacks.

DE toutes les Nations , il n'en eft point qui ait été plus ambitieufc de s'approprier l'origine des Scien- ces ôc des Arts 3 que celle des Grecs, ôc fur. tout de !a Mufïque, elle fe donne même la gloire d'en être l'In- venteur ; cependant les Phéniciens , qui étoient du moins auiïi éclairez qu'eux Se des plus anciens Peuples du Monde, au raport de Strabon, llv, 16.

1T DE SES EFFETS. 10$

& de Lueain , ilv. 3. prétendent que ce fut Cadmus , qui porta à Athènes les premiers élemens de la Mufique ; ils afiurent qu'il fut aufli l'Inventeur de feize lettres Grecques, Tan du Mondez 6 20. Les Phéniciens fe don- nent auiîi pour les Inventeurs de la Navigation , de l'Aftronomie , de l'Arithmétique, & de la Verrerie; mais comme depuis ce tems là, les Hébreux s'étant rendus les Maîtres des Royaumes de la Phénicie ôc de Canaan , les Grecs fe font attribué l'invention de toutes ces Sciences de des Arts , dont ces Peuples étoient en partie les Inventeurs, ce qui les a fait regarder des autres Nations, comme des Pirates de Sciences, témoin le reproche qu'en fait Phraates , Roi des indes à Apollonius 9ch. 9. liv. 2. de Phyloftrate, lui faifant entendre qu'ils ont en cela imité Jupiter, qui fetenoitau guet fur le Mont Olyna- pe , pour dérober aux paifans les in- ventions nouvelles Ôc profitables aux hommes , pour les communiquer en- fuite, comme s'il en eût été l'Inven- teur.

no Histoire de la Musique,

Mais auiïi l'on peut dire à la louan- ge des Grecs , qu'ils oru fait plus d'honneur à la Manque , qu'aucune Nation du Monde, puifqu'ils l'ont eftimée la clef de toutes les Sciences ; ils l'ont, même crû neceflaire pour l'ufage des animaux, témoin leur Bu- colifme inventé par Dionaiïs Palteur de Sicile s & c'en: du nom des Mufes qui preiîdent à la Poefie, qu'ils ont tiré le nom de la Mudque.

Ce n'étoit pas tant à caufe de la douceur du chant, ni de l'harmonie des Inftrumens , que les Grecs efti- moient la Mufique, que parcequ'iîs étoient perfuadez qu'elle étoit le fon- dement & la règle des bonnes mœurs-, c'eftpourquoi nous voyons que les Muiîciens étoîent tous Philofophes, & qu'ils pa(Toient pour les Corre- cteurs des pallions. Dans la profonde Antiquité, Mercure, Orphée, Her- mès , Amphion , Zoroaftes Se Pytha- gore, ont tiré de la Mudque les pré- ceptes falutaires pourrétabliirement ôc le gouvernement des Villes , & pour polir les mœurs d<s$ Peuples , en les unùTant par des Loix compo-

!T BE SES EFFETS, III

fées fur ces principes , comme je l'ai déjà fait voir.

Enfin la Mufique étoic (1 familière chez les Grecs , qu'un honnête hom- me n'eût ofé paroître dans Athènes, fe prefenter dans les Académies, ni al- ler fous les Portiques fans la (çavoir ; de forte que par toute la Grèce , un homme fans Mufîque, paflbit pour un ftupide, ou pour un ignorant.

Socrate même tout vieux qu'il é- toit, ne fut pas honteux d'aller ap- prendre la Mufique chez le Citha- rifte Lampon , Se de chanter dans un repas que Xenophon donna aux Philofophes , fui vaut l'ufage des An- ciens j Socrate nous fait voir par qu'il n'y a point de prefeription pour aprendre.Ce Sage de la Grèce dit auiîî qu'il ne commença à faire^des Vers dans fa prifon , qu'à caufe de plu- fîeurs fonges qui l'a vertifïbient de s'at- tacher à la Mufique, croyant qu'on ne pouvoit parvenir à l'un fans l'au- tre ; il compofa un hymne en l'hon- neur d'Apollon ; mais cela ne pro- duisît qu'une furféance de quelques jours, à fa fentence de mort5 pour

in Histoire delà Musique 3 avoir été accule d'impiété, quoique l'Oracle eût prononcé qu'il étoit le plus fage des Grecs. La joye qu'il eu repentit lui fit faite dans Ton malheur une belle reflexion Morale , pour nous apprendre que la douleur fuc- cede ordinairement aux plaifirs, & les plaifirs à la douleur: Les Dieux , dit-il , les ayant enchaînées , Fun à l'autre comme deux ennemis infépa- rables , pour apprendre aux mortels qu'il n'cft point dans le Monde de félicitez parfaites ; & Ton voit en- core dans fon traité de l'immortalité de l'Ame , qu'il dit au Poète Evéaus fon ami, que ce n'étoit point pour être fon rival en Poéfie qu'il a faic des Vers -, mais pour obéir à l'in- fpiration d'un fonge envoyé par Apollon.

Paufanias dit que Themiftocles fut blâmé de toute ia Grèce, pour avoir refufé de chanter & de jouer de la lyre après un repas public com- melesautres conviez; parcequ'ilfem- ble que c'eft un mépris que vous fai- tes de ceux qui fouhaittent vous en- tendre , outre que ce n'étoit point

H B! SES ErHTS. 115 des chanions Bachiques, ni amou- reufes que l'on chantoit aux ban^ quets des Sages , & aux repas pu- blics ; mais elles étoient toutes Phi- lofophiques , ou Aftronomiques , compofées d'Hymnes, ou en ftyle Lyrique, comme on le voit dans le chant de Silène , en la fîxiéme Eglogue de Virgile , & dans celui de Joppe 5 au banquet de Didon , au quatrième de' l'Enéide, ou bien Ton y chantoit les hauts faits des Hommes Illuftres, pour imprimer dans l'ame des conviez, les defîrs de la Vertu, comme le témoigne Ho- mère au huitième livre de l'Odiflee; Tony chantoit aufîî des hymnes qui expliquoient les effets merveilleux de la création du Monde & de toute la Nature, fuivant les préceptes de la Phyhque, tel qu'il paroît aux chants d'Orphée , au premier livre des Argonautes, en allant à la con- quête delà Toifon d'or. Mithol , fol, 643. Suidas nous apprend que Sapho eft mife au nombre des neuf Poètes Lyriques , qui ont excellé en ce genre chez les Grecs, ôc dont on

114 Histoire de la Musique chantait les Vers dans les fpecta- cles publics ; le premier Poète eft Pin- dare , enfuite Alcée, Steficore, Ibi- que, Anacreon , Bacchylide, Sjmo- nide , Alcman & Sapho, comme on le trouve dans la latyre de Parone^ fol. ,-.

Il étoit de la modeftie des anciens Muficiens , de ne rien chanter qui fût contraire aux bonnes mœurs, com- me des fujets lafcifs , ou indécens qui peuvent blelfer l'imagination des Spectateurs.

Theocrite & bien d'autres Poètes , difent que la Mufîque étoit révérée comme une Science divine, Se qu'elle avoitle pouvoir d'enchanter tous les maux qui peuvent arriver aux hom- mes,&: de leur infpirer la Vertu; mais d'autres Philofophes en ont jugé tout autrement, commeon le voit encore dans Mithol , liv. 7.

Homère dans Ton Iliade, dit que Chiron apprit la Mufîque à Achilles s pour s'en (ervir feulement à modé- rer fa colère , en chantant fur fa lyre; l'on regardoit comme une chofe indi- gne des Princes & des Héros de Terri-

ET S! SES EFFETS. Iï£

ployer, comme rirent Alexandre, Né- ron, Heliogabale, Ptolomée ôc bien d'autres , qui ont voulu pafTer pour grands Muficiens ; on fçait que le pre- mier fut repris du Roi Philippes fon père, de ce qu'il chantoit fi bien, ôc qu'Antigone fon Précepteur lui rompit fa harpe, lui faifant une forte réprimande de la paiïïon qu'il avoit pour la Mufique , laquelle doit être regardée des Princes & des Héros, comme un précepte pour régler leurs mœurs , ôc pour en fçavoir juger à propos, ou s'en fervir quelquefois par amufement, comme Cefar Au* gufte.

Le jugement que fit Pyrrhus fur la conteitation de Python , ôc de Cephifeus excellens Muficiens, doit encore leur fervir d'exemple ; ce Prince ayant été prié par ces deux Muficiens de décider lequel des deux chantoit le mieux, il répondit que Polypereon étoit le meilleur Capi- taine , voulant faire comprendre par là, que le jugement qu'ils lui de- mandoient étoit au deflous de lui.

Ils doivent aufîï fe fouvenir de la

m Histoire de la MtrsiQrrfc,

repartie que Stratonicus Muficien , fit à Ptolomée douzième Roi d'E- gypte, qui fe piquoit de bien jouer de la flûte & d'autres Inftrumens ; ce Mùfiden lui dit que c'étoit deux métiers bien difFerens, que celui de manier un Sceptre ou de bien con- duire un archet. Ce Prince fut fur- nommé le Flûteur , parcequ'il fe piquoit de iurpaiîer les gens du mé- tier ; il fe mettoit en habit Royal pour jouer de la flûte contre les plus fameux Muficiens de l'Egypte : tout le monde avoit la liberté d'entrer dans fon Palais 3 pour juger qui jouoic le mieux, il y avoit un prix deftiné pour celui qui le meritoit ; mais la faveur l'emportoic ordinairement pour le Roi , afin de lui éviter la honte d'être vaincu par un de Tes fu- jets.

Je ne m'amuferai pas à rapporter tout ce qu'Ovide a dit de la Mufî- que dans fes Métamorphofes , qu'il n'a faites que fur ce que les Grecs en ont inventé, pour envelopper fous Un voile ingénieux , & fous un fens my (tique , allégorique & moral 5 les

ET Bl SES IFFETS. II7

hiftoires de la plus tenebreufe Anti- quité , faifant de tous les grands Per- .fonnages des fauiîes divinitez, pour cacher aux hommes (impies les my- fteres de toutes les Sciences , & les préceptes de la Philofophie naturelle & morale, qui font renfermez dans la Mythologie , ou l'explication des fables des Anciens , traduite par Noël le Comte. Le Lecteur peut y avoir recours , il fe contentera s'il lui plaie, des hiftoires que j'en ai ti- rées & que j'ai crû les plus eiTentieiles àfçavoir fur la Mufîque des Grecs. On y trouve que les Grecs ont encore regardé Apollon comme le Dieu de la Mufîque, c'eftpourquoi .les Athéniens le reprefentoient avec La lyre à fept cordes , par rapport aux fept Planettes ; quelques-uns di- fent qu'il en avoit donné les princi- pes à Orphée ; les Egyptiens préten- dent que ce fut à Amphion, & les Lacedemoniens ont fouvent repre- fenté Apollon avec quatre oreilles, & quatre mains , voulant faire com- prendre qu'on -n'en fçauroit trop avoir pour exceller dans l'Art de la

iî8 Histoire de la Musique, Mulique. foitpour la vocale ou pour rinftrûtnentalé; ils regardoient Apol- lon comme le fur-Intendant des con- cert? , des Mufes, & comme le Dieu du ParnaiTe.

Il y a voit dans Athènes une Mu(î- que écablie en l'honneur de Junon , pour ia prier d'être favorable aux enfantemens , & pour Fappaifer par des facrifices , lorfque l'on avoit jette dans ia Merles enfans qui naifïoient avec quelque difformité, parceque la République ne permettoit pas qu'on élevât des enfans difgraciez de la nature ; on y aflembloit un grand nombre de Musiciennes, que Ton croyoit Vierges, & qui alloient en proceiïîon par toute la Ville,en chan- tant des hymnes à la louange de cette Décile, pour tâcher de purifier Tair par des facrifices pompeux ; c'eft- pourquoi Ton ne voyoit jamais dans la Grèce d'enfans défectueux, à moins que cela ne fût arrivé par ac- cident.

Les Lacedemoniens étoient bien plus humains que les Athéniens , car ils envoyoient les enfans difFor-

IT DE SES EFFETS. IIJ

mes dans des lfles déferres.

L'on voie tant de d fference entre les mœurs des Lacedemoniens 8c ceux des Athéniens, qu'il femble que ce foit deux Nations bien différen- tes, au raport même de Tbeophrafte, qui &'en plaint a Ton cher Poiicles dans Tes caractères des mœurs , dont il commença le traité à l'âge de qua- tre-vingt-dix-neuf ans, ayant acquis une longue expérience de la politi- que des Grecs.

Licurgue , qui étoit le Leg fbteur des Lacedemoniens, crut que la Mu- fîque étoit très - utile pour vaincre les ennemis dans les combats, & pour entretenir cette République dans les bonnes' mœurs , dont Lacedemone, 'ou Sparte étoit la Ville capitale; il ordonna dans cette vue que tous les enfans mâles à l'âge de cinq ans, commenceroient a apprendre à jouer de la flûte, 8c à l'âge de fept ans à danfer des danfes fur le ton Phrygien, étant armez de javelots , d'épées 8c de boucliers , pour les mieux former à la guerre -, ce fut par cette éduca- tion que les Lacedemoniens fe font

no Histoire de la Musique, rendus indomptables pendant un fore long-tems ; outre qu'ils faifoient à Jupiter Ammon, avant que d'aller au combat, une prière appellée £/<- phemia a par laquelle ils le prioient reniement, que pour toutes recom- penfes, ils pudent ajouter la gloire de leurs victoires à celle de la Vertu.

Ils avoient une danfe appellée la Gymnopedic , eompofée de deux chœurs , les hommes danfoient tout nuds dans l'un , & les enfans dans l'autre, ils chantoient des hym- nes à la louange d'Apollon , & celui qui menoit la quadrille étoit cou- ronné de Palmiers. Une autre danfe particulière les vieillards paroif- foient diftinguez, ils en faifoient trois chœurs difFerens fuivant les âges , lefquels venoient chanter les louan- ges des trois o.gcs en l'honneur de Sa- turne, dont Plutarque Ôc Libanius ont parlé.

Mais les filles de Sparte, s'atta- choient plus particulièrement à la Mufique, elles danfoient auiïï quel- quefois toutes nues en public devant î'autel de Diane 5 6V ce fut à l'une d.e

ces

IT DE SES HFETS. Ul

ces danfes que Thefée, devint amou- reux d'Helenc , & qu'il l'enleva à caufe de (a beauté , pour l'emmener à Athènes. Comme Lacedemone étoit le centre de la vertu àc$ Grecs -, tous ces fpeétacles qui paroîtroient au- jourd'hui fcandaleux, ne faifoient au- cune impreilïon dangereufe, ni cri- minelle dans i'ame des Spectateurs de la Nation , l'ceil s'étant fait une habitude de ces objets , qui les diipo- foient absolument à l'infenfibihté , & ce qui a fait dire à leurs Sages , aufquels on reprochoit cetteindécen- ce, que les Lacedemoniens écoient couverts de l'honnêteté du public , Se que leurs chants imprimoient le refpcct dans les cœurs des Specta- teurs de la Nation, c'étoit celles de toute la Grèce qui chantoient cV qui danfoient le mieux ; c'eft aufïi de que font forties les plus belles fem- mes de l'Antiquité, fi l'on en excepte Cleopatre i mais ces fortes de danfes ne faifoient pas le même effet dans le cœur des étrangers, puifque ce fut un pareil fpectacle qui fut caufe du fécond enlèvement d'Helenepar

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iï% Histoire de la MusiQtrs., "Paris , qui a caufé la ruine de Troyes, & qui a coûté tant de fang aux Grecs pour les venger de cet enlèvement, &c pour reparer l'honneur de Mene- laiis qui étoit le mari d'Helene, 8c frère du Roi de Micene,

Paufanias dit que les Spartiates donnoient tous les ans une grande Fêce publique dans le Carnéon , qui étoit un Temple confacré à Apollon, dont la Mufique faifoit le principal divertiffement $ que l'on donnoit le plus beau prix au Mufîcien qui réuf- fiflbit le mieux, foit pour le chant, ou pour les Inftrumcns. Timothée Mufîcien d'Alexandre, y vint un jour delà célébration de cette Fête, dans l'efperance de remporter le prix. ; ] il s'ingéra d'ajouter quatre cordes à fa lyre , qui n'en avoit jamais eu que fept, par rapport aux fept Planettes, dont les mouvemens font aulîi har- monieux que differens , fui van t l'opi- nion des anciens Philofophes; mais l'un des Ephores, ou Juges de ces fpe- dacles, s'étant apperçû âc ce chan- gement, fe faifit de fa lyre qui fue expofée en public, Se apendue iansie

ÏT DE SIS EFFETS. 12$

Temple d'Apollon comme une victi- me , outre une grolle amende que Timothée paya , pour apprendre aux autres Mufîciens à refpeâer la feve- tké de la diicipîine des Lacedema- niens pour la Mufique.

Ils écoient il jaloux des méthodes iîmples 5c uniformes de leurs A yeux, qu'ils avoient toujours fuivies; que c'écoit un crime parmi eux , que de vouloir les altérer par des raflnemens nouveaux.

Plutarque allure encore qu§ l'E- phore Emerepès coupa deux cordes de neuf, que le Mufîcien Phrynis avoità fa lyre,enluidifant:Ne viole point la Mufique de nos Ancêtres -, 8c que dans une fête appellée Gala- redia confacrée à Diane, les femmes de Sparte habillées en ChafTeufes, difputoient à qui chanteroit le mieux les louanges de cette DéelTe.

Athènes, Thebes, Corinthe, Argos & Delphes, qui ont paflë pour les plus fameufes Villes de la Grèce , a- voientaufîi leurs fêtes publiques,dans lefquelles les plus fameux Mufîciens de la Grèce faifoient paroître leurs

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ii<f Histoire di la Musique, tàlcns , pour établir leur réputation, ôc dans i'efperance de remporter les prix deftinez pour le chant & pour les înftrumeris.

Lucien y llv. i. fol. 397. ^it qu'un fameux joueur de flûte nommé Har» wenide , ôc difciple de Timothée , dont nous venons de parler, lui de- manda comment il pourvoit faire pour remporter le prix deftiné pour la Mu fi que dans une fefte publique à Athènes. Timothée lui reprefenta les difficultez de cette entreprife , entr'autres , que ceux qui décident ordinairement dans les fêtes, Ôc les fpe&acles, font fouvent ceux qui ont le moins de connoitfance ; que ce- pendant ce font les plus entêtez , ou les plus opiniâtres , ôc qu'ils crient le plus fort, comme ceux que Ton appelle aujourd'hui les petits Maî- tres de TOpera. Harmonide fit fes reflexions fur ce confeil, ôc crut rem- porter le prix, en le prenant d'un ton plus haut qu'à l'ordinaire fur fa flû te ; mais dès la première fois qu'il monta fur le théâtre pour fe faire entendre, il y expira, après avoir

ET DE SES EFFETS. I2J

joué un air fur un ton fuperieur ; cec exemple doit apprendre au Musi- ciens comme aux autres, à ne rien entreprendre au-deiîus de leurs for- ces : c'eft ce qu'Efope nous a fait entendre par fa Fable de la Gre-. nouille, qui voulut fe comparer au Taureau. L'hiftoire d'Amphion nous fait voir encore l'ambicion expofe les grands Muficiens.

Pline prétend qu'Amphion étoit fils de Jupiter a & d'Antiope , répu- diée par fon mari Lucus, Roi de la fameufe Ville de Thebes , qu'on dit avoir eu cent portes , & qu'il fut nourri parmi des Pafteurs -y qu'en- fuite Mercure lui apprit à jouer du luth , &c d'autres Inftrumens , par l'ordre de Jupiter, dont il profita bien que la fable dit qu'il contraignit par la douceur de fon harmonie les bêtes à le fuivre, c'eft-à-dire , des hommes féroces.

Antimenides au premier livre de fes Hiftoires , dit que les Mufes fi- rent encore prefent d'un luth à' cet Amphion, dont il jouoitavec tant de perfection qu'il animoit les pier-

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116 HlSTO IRE DE tA MuSlQUE3

res , de que ce luth enchanté fut err partie caufe de fa grande réputation dans l'Art de la Mufique ; il demeu- roit alors dans un petit Hameau près de la féconde Ville de Thebesr laquelle étoit bâtie fans murailles; les nouveaux Thebains entrepri- rent de la clore par le fecouis d!Am- phion , qui fe promenoit autour de la Ville en jouant de fon #uth , dont l'harmonie avoit tant de puif- fance & tant de charmes , qu'elle attiroit les pierres, lefquelles ( dit la Fable) s 'arrangeaient d'elles-mêmes très-artiftement pour la conftrudtion des murs de cette Ville j mais il de- vint n fier & (1 préfomptueux de la perfe&ion de fon Art, qu'il ofa dé- fier Latone & fes enfans à jouer des Inftrumens, quoique fils , 5c inrtruits dans la Mufique par Apollon, d©nt ils furent fi irritez qu'ils le tuèrent à coups de flèches, Se envoyèrent la pefte à Thebes qui fit mourir toute fa famille par la puilTance d'Apol- lon.

Paufanias raporte qu'après plufieurs batailles perdues par ces Thebains

ÏT DE SES EFFETS. 1 lj

é'ontre Alexandre , il fit rafer la Ville -de Thebes rez pied , rez terre ; mais comme cette Ville avoit été bâtie par les accords du luth enchanté d'Amphion ,. elle ne fe pouvoir dé- truire qu'au Ton de quelque Infini- ment, ce qui obligea Alexandre de faire venir Ifmenias fameux Joueur de flûte , pour jouer des airs trilles & languifïanspour en faciliter la dé- molition. Amphion fut le premier -qui dédia urr Autel à Mercure, en ieconnoiflance des infini 61 ions qu'il lui avoit données : il étoit aufll grand Philofophe, qu'excellent Muficien,

L'explication de la fable d'Am» phiou, dit que les habicans de The- bes 3 écoient fi charmez de l'harmo- nie de fort luth êc de fa voix_, qu'ils travaillèrent gratuitement à la con- ftruclion des murs, pour avoir feu- lement le pîaifir de l'entendre , 8c qu'ils fe fournirent avec plaifir à fon obéiiïance. Mithol, liv. S. ch. 15.

Thamyris fils de Philammon , 3c delà Nymphe Agriope, natif de Thrace5fut encore un Muficien com- parable à Amphion j puifqu'il reçut

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n8 Histoire de la Musique, en naiflant tous les avantages de la nature & un efprit accompli , fur- tout pour la Mufique & pour la Poe- fîe. Plutarque dans Ton livre de la Mufique , dit que fes Vers avoient tant de grâce , qu'il fembloit qu'ils fufTent cornpofez par les Mufes ; mais que tous fes beaux écrits ont été perdus par l'Antiquité des tems j c'eft ce qui a donné lieu aux anciens Philofophes , qui en ont parlé dans les Fables, de dire qu'il a été privé de la vue. Il polîedoit la Mufique dans la dernière pgrfe&ion j l'excel- lence de fa voix jointe aux doux ac- cords de fa harpe, le rirent admirer de tous les Rois de la Grèce, ôc fur- tout d'Euryte Rai des Echaliens, ce qui lui donna tant de préf©mption, qu'il ofa même défier les Mufes fur la Mufique, lefquelles il rencontra en fon chemin allant à Dory, ÔC leur proposa de chanter contre elles, à condition que s'il les vainquoït, elles s'abandonneroient toutes à lui pour en jouir à fon plaifir; ôc que s'il étoit vaincu il fe rendroit à leur diferetion : cette témérité lui coûta

ET DE SES IÎFETS. I 2 9

cher , car il fut vaincu, & fur le champ les Mufes le privèrent de la vue, de la voix & de la mémoire, ce qui lui caufa un oubli generalfde tout ce qu'il fçavoit de la Mufique, & de la Poe fie ; de forte qu'il fe vit pour punition de fa témérité, privé - 2e toutes les perfections qu'il avoit reçues de la nature, ce qui donna lieu au Proverbe Grec, de dire con- tre ceux qui font des entreprifes té- méraires , Thamyris eft fol. Cette Hiltoire doit encore fervir d'exem- ple aux Muficiens, comme aux au- tres qui fe prévalent de leur fçavoir; l'orgueil étant anfîi défagreable à Dieu , qu'infuportable aux hommes. Iliade d'Homère , liv. x. & Mithol , liv. 6. chu i 4.

Orphée, fuivant l'opinion des An- ciens, fut encore plus eftimé pour la Mufique ; il étoit fils d'Apollon & de Caliope , natif de Thrace ; il a palTé pour un des plus excellens Muficiens, cV des meilleurs Poètes de fon tems. Horace dit que fa mère le perfe- ctionna dans l'Art de chanter; par- ceque Caliiope a pafTépourla meil-

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130 Histoire delà Musique, leureChantcufe de la Grèce \ êcl'ou tient même qu'elle a beaucoup con- tribué à la perfeét-ion du chant. Les Grecs ont eu une grande vénération pour Orphée, ils prétendent que c'efî: le premier qui s'eft fervi du luth à fept cordes par raport aux fept Pla- nettes. Lucien aflure que ce fut Or- phée qui donna au ffi aux Grecs les pre- mières lumières de l'Aftrologie , fous le voile de plufieurs rnyfteres; c'eft pourquoi ils ont fait de fa lyre une confteliation de fon nom , pour im- mortaliferfes vertus. Virgile & Ovi- de difent qu'il jouoit de la harpe avec tant de perfection , que les animaux le fuivoient pour l'entendre, qu'il animoit par la force de la Mufique les chofes les plus infenfibles , qu'il defeendit aux Enfers pour avoir fa femme Eurydice, qu'il fçut fléchir Pluton &: Proferpîne par la force de fes chants triRes êc lamentables, qui exprimaient bien fa douleur, qu'ils lui accordèrent fa femme, à condi- tion qu'il ne l'envifageroit pas-, & ne regarderoit point derrière lui , jufqu'à ce qu'il fût remonté fur terre*

ET D E S ES E FF E TS. I3I

mais il ne put refifter à l'impatience amoureufe de la voir , ni de regarder fi elle le fuivoit , ce qui fut caufe qu'Eurydice retourna aux Enfers ; il en conçut une (1 grande douleur , qu'elle lui caufa un dégoût pour tou- tes les femmes ; il s'appliqua même à perfuader les habitans de Thrace, de Ce dégager de la paillon qu'ils avoientpour les leurs, & d'attacher leur affection à l'autre fexe : ce qui irrita fi fort les femmes de Thrace, qu'elles concertèrent ener 'elles de l'afTafîiner un jour des fêtes Bacha- nales , elles le déchirèrent par mor- ceaux; dont chacune emporta fa part. On prétend qu'il fut un des premiers Philofophes- de l'Antiquité qui s'at- tacha à civiiiier les hommes en leur donnant des préceptes convenables à la focieté humaine. Pline aflûre qu'Orphée entendois: le langags des animaux ; Plutarque au banquet des fept Sages , dit qu'il s'abftint toute fa vie de manger de la chair, & que Platon appelloit la vie Orphique, ^1 parlant de ceux qui ne vivaient J que de végétaux,

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151 HlSTOIREDE LAMuSIQUE,

Paufanias , dit qu'un fameux Egyp- tien l'a afluré qu'Orphée & Amphion ont été de fameux Mages d'Egypte. Métdtnorpk. d'Ovide 3 tom. 1. Lucien, tom. 1. Plme , nm. 1. liv. 7. ch. 56.

Les Syrenes ont tant fait de bruit dans l'Antiquité, par rapport à la Mua" que, qu'il eft peu d'Auteurs qui n'en ayent parlé , ôc qui n'en ayent formé des fictions chacun félon fo'n imagination j la plus commune opi- nion eft, qu'elles étoient des Nym- phes qui habitoient les côtes de Na- ples , ôc de Sicile, qu'elles arrêtoient les vaiiFeaux des Voyageurs qui paf- foient fur leurs côtes, par la dou- ceur de leur chant, & la force de leurs Inftrumens ; les unes en }ouant du luth ôc de la harpe, ôc les autres de la flûte , elles formoient un concert très - mélodieux ; mais Ovide dit qu'elles étoient des monftres, dont le haut du corps étoit en façon de filles, 8c le reite en queue de poif- fon, qu'elles arrêtoient les Navires par leurs voix claires & fonnantes, qu*el!es endormoient les pafiTaffs , pour les dévorer après > ôc qu'elles

ET DE SES ETFETS. I$$

étoient de la compagnie de Profer- jpipc lorfque Plucon l'enleva. Chenle & Cîerac , anciens Auteurs Grecs, difent qu'elles s'appelloient Aglaop, piïînoé, Thelxiop , Se qu'elles étoient filles de îa Mule Melpomenë. Stra- wàn 3 au premier livre de pi Gc< grtphîe ^ dit eue la Ville de Naples eut jadis le nom de Parthenope, autre fameuie Syrene qui mourut fur les côtes âc la Mer. Orphée, dit dans îa defert- ptiondu voyage qu'il fît avec les Ar- gaunotes , allant a la conquête de la Toifon d'or , qu'il eut recours à fon luth,&rquf; par Ton chant fupeiieur, il garantit la Flotte des enchante- mens de la Mufique des Syrenes , ôc que fe voyant déchues par de leurs mauvaifes intentions, elles en devin- rent muettes, & qu'elles jetterent de dépit leurs Inftiumens de Mufique dans la Mer.

UHfTe , à fon retour de Pembrafe- ment de la fameufe Ville de Troyes, évita les dangereux artifices des Sy- renes , par le confeil de Circé , qui lui dit de boucher les oreilles de Tes Compagnons , de des Pilottes avec

ï$4 Histoire delà Musique, «le la cire ; il fe fit même attacher ai gros mâts de fon Navire avec des cordes , pour ne pas fuccomber aux appas des chanfons qu'elles chan- t oient à fa louange, comme du plus fameux Héros des Grecs ; elles a- voient l'adrefTe d'attirer les paffans en vantant leurs hauts faits , 8c en flattant leurs paillons , comme il pa- roî: par les Versfuivans. Viens- ças viens, grand honneur des Héros

de la Grèce , Vlijfè , dent les vertus retentirent en ces

lieux , Sec.. Elles eurent tant de regret de fe voir fruftrées de fi braves gens , qu'elles fe précipitèrent dans la Mer , 6c furent depuis converties en écueih Mythol, fol. 614..

Ifidore écrit que les Syrenes n'é- toient pas véritablement des mon- ftres , mais "bien au contraire qu'elles étoient de belles Courtifanes , qui habitoient fur le bord des côtes de Sicile Se de Naples, qu'elles atti- roient les Voyageurs par la douce mélodie de leurs chanfons & de leurs Inftrumdns , & que les ayant à leur

!T ®E Slî EFFETS. Ij$

ciifp^fuion , elles les retenoient fi long-terns , qu'à la fin ils tomboient dans la privation de toutes les eommoditez de la vie 3 &r mou- roient d'épuifemens ; c'eOpourquoi l'on difoit que tous ceux qui navi~ geoient fur ces côtes, faifoient nau- frage.

Néanmoins H§race au lïv, i. de/es Efitres , dit que les Syrenes n'étoient ni Nymphes , ni monftres , ni cour- tifanes -, mais que les anciens Poètes Se les Ph.iloioph.es , les Mages Se les Hiftoriens de l'Antiquité , n'ont for- mé ces fictions, que pour nous ap- prendre à nous garantir àes paffions vicieufes ,. qui font les éciieils des hommes , pat les enchantemens de la Mufique..

Pline dans [en Hifteîrt naturelle, Uv, 9. chtip. 5. dit , qu'il y a véritable- ment des poiiïbns appeliez Syrenes, que les Anciensont nommé Néréides, qu'elles ont le corps moitié femme, moitié poiïTon , qu'elles font âpres à Tapas Se écaillées y Se que les ha- bitans qui font fur les côtes elles paroifTent ordinairement, en ont oui

J36 Histoire de la Mt/siqjje , même fe plaindre5comme d'une voi: humaine en mourant ; Ton voil aufïile bras d'une Syrene dans la Bi- blioteque de fainte Geneviève , di moins au dire des Religieux ; les opi nions des Auteurs font encore fort partagez fur ce qui regarde le Dau« phin, touchant la Mufique.

Arion, natif de l'Ifle de Lefbos s'acquit une grande réputation pai l'excellente manière de jouer de la harpe qu'il joignoit à la douceur de fa voix -y il alloit fouvent dans les fa meufes Villes de la Grèce, dont i rapportoit de grands profits de fon jeu ; 5c Bo'ece , livre premier, chap. 1, de la Mufique j dit qu'il guérit d'une maladie populaire un grand nombre d'Ioniens, ôc de Lefbiens , parles effets de fa Mufique ; il faifoit auffi des Vers , ce qui étoit commun à tous les Muficiens de l'Antiquité. Il fut très-confideré de Periander qui regnoit à Corint he , & fit voyage en Sicile, il gagna considérablement à jouer de la harpe 6V du luth : étant à Orante il fit marché avec des Ma- riniers pour le ramener à Corinthc ;

ET DE S ï S EFFETS. I$7

mais quand il fut en pleine Mer, les Mariniers voyant qu'il avoit beau- coup d'argent , complottercnt de le jetter dans la Mer. Arion le dé- fiant de leur mauvaife volonté , tâ- cha de les fléchir par fes paroles , ôc par les airs les plus tendres qu'il joua fur fon luth : fes plaintes furent inu- tiles à leur égard ; mais l'harmonie de fon chant attira une bande de Dauphins autour de fa barque, dont il y en eut un qui le reçut fur fon dos lorfque les Mariniers le jetterent dans la Mer , & qui le tranfj&rta au Cap de Matapan en Morée , & y ayant pris terre, il alla à Corinthc faire fa plainte à Pcriander, qui le garda dans fon Palais jufqu'à ce que les Mariniers fu(Tent arrivez au port de Corinthe, pour y décharger des balots qu'ils avoient ernbarqaez dans leur vaiifeau à Otrante. Periander donna ordre de les lui amener pour les confronter avec Arion ; étant ar- rivez il demanda à ces Mariniers s'ils n'avoient point vu Arion en Sicile, Se s'ils ne fçavoient point comment il fe portoit & ce qu'il y faifoit ; ils

ï$"8 Histoire be la MusiqijE3 Paiîurerent qu'il fe portait bien- ,. qu'il y faifoit bonne chère, & qu'il y gagnoic beaucoup d'argent: après leur déclaration il fit paroître Arion, dont ils furent fortfurpris, ils avouè- rent leur crime j Periander leur fît rendre tout ce qu'ils avoient pris à Arion, confïfqua encore leurs balots Se le vaifïèau à fou profit , & les con- damna à la mort.

On trouve bien des Auteurs qui parlent de cette Hiftoire , comme fi- elle était véritable; mais ils ne dï- fent pîs de quelle manière Arion a fini fes jours,iîs tirent néanmoins une morale de cette avauture, qui fait voir que les mauvaifes a étions, ns demeurent jamais impunies > tant cachées qu'elles puilTent être.

Lucien au dialogue des Dieux Ma- rins , fait encore parler ce Dauphin avec Neptune, fur l'avanture d'A~ rion , & lui fait dire comment il le fauva ; Neptune loue le Dauphin de l'amour qu'il a pour la Mufîque. Marfias fut encore un fameux Joueur d'inftrumens, natif de la ville de Cekneen Phrigie, fils d'Hyagnis

ET DE SES EFFET?, IV?

êc des premiers qui compofa les me- sures ôc les accords de Mufiquc à la louange des Dieux , que les Grecs chantoient en leurs Fêtes folemnel- les. Quelques Auteurs ont dit que Marfias étoit favorifé de Cybelle , ôc qu'après avoir beaucoup voyagé, il vint trouver Bacchus à la ville de Mille il regnoit alors y il en reçue beaucoup d'honneur ôc d'approba- tion, àcaufe de fes belles inven- tions, ôc notamment de Ton grand fçavoir dans la Maftdue , de Ton ex- cellence pour la harpe ci nom* le fi- fre. La Fable dit qu'il trou/a cet in- finiment , après que Minerve l'eut jette 3 fur le reproche que lui firent les DéefTes de la difformité de Ton vifage lorsqu'elle en jouoit , ce fifre avoir été fait d'un os èm, cuilTe de Cerf par Mercure, dont Marfias fçut fi bien fe fervir3 qu'il furpaila tous les M.uficiens de fon tems, Il ofa mê- me défier Apollon d'en venir à l'é- preuve de leur Mufique , à condi- tion que le vaincu demeureroit h diferetion du Vainqueur , ils convin- rent déjuges qu'ils prirent à Nifïcj

140 Histoire de la Musique, Marfias commença par jouer du fi- fre de Minerve fi mélodieufement, qu'il donna de l'admiration à tous les aiïiltans, aufîi bien que par le jeu de la harpe; mais ayant oublié à mettre dans fa compofition avec Apollon, qu'ils ne pourroient fe fer- vir que des Inftrumens, il fut vain- cu ; parce qu'Apollon fçut joindre fa voix aux accords de fa lyre. PJutar- que au livre de la Mufique, dit que Marfias étant vaincu par Apollon, il l'attacha à un arbre & l'écorcha tout vif \ &" Ovide dans fon fixiéme livre des Métamorphofes , dit que Marfias étoit un Pafteur fort fçavant, de aufîi arrogant que téméraire, qui ofa attaquer Apollon, lequel confer- ya toujours un reflentiment contre ceux qui faifoient métier de jouer du fifre, jufqu'à ce que Sacade grand Muficien , l'eut appaifé par des hym- nes qu'il chanta à Delphes , en fa- veur d'Apollon. Cette hiftoire nous apprend combien il efl dangereux de vouloir nous comparer à nos Maî très. Diodore rapporte qu'Apollon fut fi repentant d'avoir puni fi fev*

1T SE SES EFFET S\ I4Ï

rement Marfias, qu'il fut long tems fans vouloir entendre parles de la Mafique , Ôc qu'il en cafïa Ça lyrç de dépit, pour nous apprendre que la vengeance doit être méprifee des grands cceurs.

Ifmenias natif de Thebes , fut en- core un excellent Muficicn , 6c fa- meux Joueur de flûte , ce fut de lui dont Alexandre fe fervit pour jouer des airs plaintifs/, pour faciliter la dé- molition de la féconde ville de The- bes, donc les murs (comme je l'ai déjà dit) avoientété bâcis au fon du luth d'Amphion , fins quoi elle n'au- roit pu êcre démolie, iuivant la Fa- ble.

Plutarque dit qu'îfmenias fut fait prifonmer de guerre par Athian, Roi des Scytes , $c qu'il joua de fa flûte devant ce Prince ; mais voyant tous fes Courtifans dans l'admiration , il leur dit qu'il piéferoit le hanniiïè- ment de fon cheval au ion de tous les inftrumens d'ifmenias ; ce Prince palfoit au(îî pour le plus féroce des Scytes , & comparable au Tigre, qui eft le ieul de tous les animaux que

14.2. Histoire bi la Mi;siqj7E9 la Mufique met en fureur, au dire de Pline.

Pline, rapporte encore qu'lfme* nias portoit à les doigts de fort belles bagues de pierreries , fort curieufes 9 dontilavouîaconnoiilànce j& qu'é- tant dans Tlfle de Chypre, il trouva chez un Marchand une érneraude gravée , reprefentant la Princefle Amymoné, 1 une des cinquante filles du Roi Danaiis j le Marchand lui fit fix deniers d'or qu'il lui donna auffi- tôt , le Marchand en fut fi étonné , qu'il lui en rendit deux j mais Ifme- nias s'en plaignit, difant qu'il dimi- nuoit le prix de fa pierre : ce fut lui qui apporta la coutume , que les Joueurs d'inftrumens feroient diilin- guez félon les pierreries qu'ils por- reroient, ce qui obligea Dionyfo- dorus fon contemporain, & grand Joueur de flûte, d'en porter de mê- me. Nicomacus étoit aufli en grande réputation parmi les Muficiens ôc Joueurs de flûtes, ôc fort riche en pierreries ; les Muficiens étoient con- nus dans ce tems-là, par la valeur des bagues qu'ils portoient aux doigts,

:E T © E SE S EFFETS. 14$

ou bien attachées comme des mé- dailles à leurs vêtemens :c'ell ce que nous voyons encore aujourd'hui pra- tiquer par lestOperareurss qui ven- dent leurs drogues dans les Places publiques.

Quoique j'aye beaucoup parlé de Pychagore dans le troifiéme Chapi- tre , je ne puis me difpenfer d'en par- ler encore dans celui- ci par rapport àlaMufique des Grecs. Je dirai donc que Pychagore a inventé beaucoup de caractères pour la compofitiondc leur Mu fi que ; <k que c'eil de lui que l'on tient l'ufage d'endormir les Sou- verains au Ton des Inftrumens 3 pour leur procurer un fommeii agréable ; l'on voit dans fa vie écrite par le Phi- iofophe Jamblique , que ce grand Muficien avoit compofé un inrtru- mentdeMufique avec des cordes at- tachées à une muraille, qui rendoit une harmonie inimitable 3 dont ce Philofophe donne la defeription ; il dit encore que Pythagore compofoit des chants ou des airs , pour appaifer les parlions violentes , comme un Médecin compole une potion cor^

144 HisTéifci di la Musique , diàle, pour la guénfon d'un malade, fuîvant la nature du mal, Pythagore étant en Sicile, trouva de nouveaux tons de Mufique, en paiïant près d'une forge, il entendit les For- gerons qui battoient à grands coups de marteaux le fer chaud fur l'en- clume, qui rendoit pat leur batte- ment des tons harmonieux ; ïi fe van- toit d'entendre la fymphoniede< Or- bes celeftes. Ce fut en Italie ©ù ce fameux Muiîcien perd't la vie dans une ledition populaire ; mais avant de quitter la Grèce, il compefa des Préceptes en Vers Grecs qu'il mit en chant , pour fervir d'inftruéfoon à fes difciples, qui Jes ebantoient foir Se matin, Se dont la morale fut trou vce fi belle par les Grecs, qu'ils les nommerenr les fers dorez, dt Pytha gore -, on les chantait fouvent à caufe de leur excellence dans les fpe&acle de toutes les villes de la Grèce , apre le départ de Pythagore.

Comme ces Vers ont fait l'admi- ration des Grecs, je crois devoir en rapporter ici la traduction que M. Dacier en a faite e* Verfets Fran- çois,

ET DE SES EFFETS. I45

cois , qui ne taillent pas d'avoir leur beauté, pour la règle des mœurs; quoi qu'ils ne foient pas en Vers , je n'-en changerarpoint le titre.

Vers dorez de Pythagore.

Honore premièrement les Dieux immortels, comme ils font ordon- nez Se établis par la Loi.

Refpede le ferment avec toutes fortes de Religions, honore enfuite les Héros pleins de bonté & de lu- mières.

RefpecTre audî les démons terre- ftres , en leur rendant le culte qui leur eft légitimement du.

Honore audî ton père , ta nicre , & tes plus proches parehs.

De tous les autres hommes , fais ton ami de celui qui fe diilingue par fa vertu.

Cède toujours à fes deux avprtif. femens , ôc à fes actions honnêtes ÔC utiles.

Ne viens jamais à haïr ton ami par une légère foute , autant que tu le peux : or la puilïance habite près de la neceiîité.

G

1^.6 HlSTOlREDE LA MUSÎQUE,

Sçache que toutes ces choies font ainfi, accoutume-toi à furmonter & à vaincue tes partions-

Premièrement , la gourmandife, la parefle , la luxure Ôc la colère.

Ne commets jamais aucune action honteufe avec les autres , ni en ton particulier 5 de fur- tout refpe&e-toi toi- même.

Obfèrve la juftice dans tes actions , & dans tes paroles.

Et ne t'accoutume point à te com- porter dans la moindre chofe 3 fans règle &c fans rai (on.

Fais toujours cette réflexion , que par la deftmée il eft ordonné à tous les hommes de mourir.

Que les biens de la Fortune font incertains ; Se que comme on peut les acquérir, on peut auiTî les per- dre.

Pour toutes les douleurs que les hommes foufFrent par la divine For- tune.

Supporte doucement ton fort, tel qu il eft, & ne t'en fâche point.

Mais tâche d'y remédier autant "qu'il te fera pofïible.

ET DE SES EFFETS. I47

Penfe quela deftinée n'envoyé pas îa plus grande porcion de fes mal- heurs , aux gens de bien.

Il fe fait parmi les hommes plu- sieurs fortes de raifonnemens bons & mauvais.

Ne les admire point légèrement, & ne les rejette point non plus.

Mais Ci l'on avance des faudetez, cède doucement, & arme- toi de pa- tience.

Obferve bien en toutes occafïons ce que je vais te dire.

Que perionne, ni par fes paroles, ni par fes actions, ne te féduife ja- mais.

Ec ne te porte à dire ou à faire ce qui n'eft pas utile pour toi.

Confulte & délibère avant que d'agir , afin que tu ne fade pas des actions folles.

Car c'en: d'un miferable de parler & d'agir fans raifon,& fans réflexion.

Mais fais tout ce qui dans la fuite ne t'affligera point, & ne t'obligera point à te repentir.

Ne fais jamais aucune des chofes que tu ne feais point.

G ij

148 Histoire de i.a Musique ,

Mais apprends tout ce qu'il faut fçavoir -, par ce moyen eu mèneras une vie très-délicieufe.

Il ne faut nullement négliger la fanté du corps ; maïs on doit lui don- ner avec mefure le boire & le man- ger , &: les exercices dont il a befoin.

Or j'appelle mefure ce qui ne l'in- commodera point,.

Accoutume-toi à une manière de vivre propre & fans luxe.

Evite de faire ce qui attire l'envie.

Et ne dépenfe point mal à pro- pos, comme celui qui ne connoît point ce qui eft beau &c honnête.

Mais ne fois pas non plus avare Se mefquin ; la jufte mefure eft ex- cellente en toutes chofes.

Ne fais que les chofes qui ne pour- ront te nuire , Se raifonne avant de les faire.

Ne laifTe jamais fermer tes pau- pières au fommeil après ton cou- cher , que tu n'aye examiné par ta raiion toutes les actions de la journée.

En quoi ai- je manqué? Qu'ai- je fait ? Qu'ai - je obmis de ce que je devois faire ?

ET DE SES EFFETS. I49

En commençant par la première de tes actions , continuer ainfi de fuite. Si dans cet examen tu trouve que tu aye fait des fautes, gronde- t'en feverement toi. même ; & fi tu as bien fait, réjouis-t'en.

Pratique bien toutes chofes , mé- dites-les bien, il faut quetules aime de tout ton cœur.

Ce font elles qui te mettront dans Ja voye Divine, j'en jure par celui qui a tranfmis dans votre ame le fa- cré quartenaire.

Source de la nature , dont le cœur eft éternel;

Ne commence point de mettre la main à l'œuvre, qu'après avoir prié les Dieux d'achever ce que tu vas commencer.

Quand tu te feras rendu cette ha- bitude familière , tu connoîtras la conftt'tution des Dieux immortels, & celle des hommes.

Jufqu'où s'étendent les difFerens êtres , & ce qui les renferme, & qui les lie.

Tu connoîtras encore , félon la juftice, que la nature de cet Univers

G iij

ijo Histoire de ia Musique, eft par tout femblâble.

De forte que tu n'efpereras point ce qu'on ne doit point efperer , Se que rien ne te fera caché dans.le monde.

Tu connoîtras aufïï que les hom- mes s'attirent leurs malheurs volon- tairement, St par leur propre choix* Miferables qu'ils font , ils ne voyent, ni n'entendent que les biens font près d'eux.

Il y en a très-peu qui fçaehentfe délivrer de leurs maux.

Tel eft le fort qui aveugle les hom- mes, & leur ôte l'efprit ; femblables à des cylindres , ils roulent ça Se là, toujours accablez de maux fans nom* bre.

Car la funefte contention née avec eux, Se qui les fuit par tout, les agite fans qu'ils s'en apperçoivent.

Au lieu de la provoquer Se de l'ir- riter, ils devroient la fuir en cédant. Grand Jupiter, Père des hommes, vous les délivreriez tous des maux qui les accablent ,

Si vous leur montriez quel eft le démon dont ils fe fervent.

ÏT I>E SIS EFFETS. I5Î

Mais prends courage , la race des hommes eft divine.

Lafacrée nature leur découvre les myfteres les plus cachez.

Si elle t'a fait part de Tes fecrets, tu viendras aiiément à bout de tou- tes chofes que je t'ai ordonnées.

Et guérilïant ton ame , tu la déli- vreras de toutes fes peines , & de tous fes travaux.

Mais abitiens toi des viandes que nous avons défendues dans nos pu- rifications.

Et dans la délivrance de l'ame, fais- en le jufte difeernement , 8c exa- mine bien toutes chofes.

En te lailTant toujours conduire par l'entendement qui vient d'enhaut , Se qui doit tenir les refnes.

Et quant après avoir dépouillé ton corps mortel, tu arriveras dans l'air le plus pur.

Tu feras un Dieu immortel, in- corruptible, & que la mort ne do- minera plus.

Ces fortes de Vers fe chantoient auflï à table après le repas , ou dans les enu'a&es des Comédies des An-

G iiij

iji Histoire di la Musique,

ciens , accompagnez de la lyre ou du luth. jipollonÏHS , Uv* i. ch,\$.

^7* <& Pyihagore de M. Dacier.

Les Athéniens environ Tan 3110 du Monde, voulurent imiter les Tra- gédies des Egyptiens, qui conilftoient en chœurs de Mulique très - nom- breux , ôc de troupes de Danfeurs , qui chantoient auiîi des hymnes en danfant des dan Tes réglées -, ce qu'ils firent même avec un appareil fi fom- ptueux , que la Republique faifoic pour cela des fonds annuels, prefque au/îi considérables , que pour l'en- tretien de la Guerre ; cette grande dépenfe attira bien- tôt à Athènes, tout ce qu'il y avoir de plus excel- lent dans la Grèce, foit pour la Mu- lique , la Poëfle & la Danfe , à caufe des prix qui étaient deftinez pour les beaux Arts à chaque reprefentation, outre la gloire & les honneurs qui y croient attachez , aufquels ceux qui en faifoient profefïîon étoient en- core plus fenfibles ; ces fortes de fpe- cracles s'établirent auffi dans les fa*

ET BE SES EFFETS. Ï55

meufes Villes de la Grèce, excepté celle de Sparte , les Lacedemoniens étant ennemis de la nouveauté -, ce qui rendit les Muficiens, les Pcëtes & les Danfeurs très- recommanda- blés dans ce tems-là, dans Athènes. Mais cette Tragédie commença à changer de forme environ Tan 3510 du Monde, au rapport de Cajfieàore, liv. 4. de Dlogene Laërce , Uv. 3. qui difent qu'un nommé Thefpis, Poète Tragique, natif de la Ville d'Icarie, fut le premier Inventeur des inter- mèdes, en introduifant le Pifode dans les Tragédies des Grecs, qui étoit un fujet détaché de la pièce, au- quel les Poètes ont donné le nom. d'Apologue, qui Te déclamoiten Vers par un feul Auteur, pour donner le tems aux chcears des Muficiens, & aux Danfeurs de fe repoîer, & pour amufer les Spectateurs pendant Pin- termedej outre que les fujets de ces Tragédies ne confiftoient ordi- nairement qu'à chanter des hymnes en l'honneur des Dieux, des Canti- ques fur les Myfteresde la Religion* des faits mémorables des Héros de

G v

r/4 Histoire de la Musique,

l'Antiquité, & quelque précepte de Morale, comme celui que j'ai rap- porté de Pythagore, qui écoient quel- quefois ennuyeux au Peuple.

Enfin la nouveauté de l'Epifode plut fort aux Grecs , que par la fuite vEfchyle Poète fatyrique, y in- troduifit deux Acteurs , aufquels il donna des mafques , Ôc des habits convenables au fujet fatyrique, qu'ils déclarnoient avec des geftes contre la corruption des moeurs de quelques Athéniens ; Se quelque tems après Sophocle , l'un des plus fameux Poè- tes de la Grèce , en fit paraître ufi troifiéme, Se fit peindre audïdes dé* corations de Théâtre, fuivant le fu- jet des Epifodes, ce qui mit la Tra- gédie dans une plus grande perfe- ction ; de forte que par fucceflion de tems ces Intermèdes ou Epifodes , l'emportèrent fur l'ufage des chœurs de Mu que ôc fur les Danfeurs, dont les anciennes Tragédies des Grecs écoient compofées, les Epifodes étant même devenus le modèle des Co- médies en cinq Actes, de maniéré que les chœurs de Mulkfue Se les

ET DE SES BFFETS. I$$

danfes furent contraints, comme le dit encore Àihtnêe % liv. 4. de pren- dre chez les Grecs, la place des pre- miers Epiiodes , 8c des intermèdes dans les ipect-acies, comme nous le voyons pratiquer aujourd'hui y Ton peut juger par que ce font les pre- mières Tragédies des Ergyptiens & des Grecs, qui ont donné aux Ita- liens les premières idées pourlacom- pofitioa des Opéra , qui partent pour les chef-d'ceuvres des Spectacles.

Je ne finirois point ce Chapitre, fi je voulois rapporter tout ce que j'ai recueilli dans les Auteurs tou- chant la Mufîque des Grecs : j'aime mieux l'abandonner pour me con- former aux préceptes d'Horace , Se crainte d'ennuyer le Lecteur fur un même fujet.

Je me contenterai feulement de dire que la feience ou l'art de la Mu- (îque , dont les Grecs attribuent l'in- vention à leurs faufte* Divinitez , n'a eu pour origine que des hommes qui ont excellé.

Quoi qu'il en fôit, la Mufîque eH fi univerfellement connue , qu'il n'y

Gvj

jj6 Histoire de la Musique, a point de Peuple, fi fauvage qu'il puiflTe être , qui n'aie l'ulage du chant & des Inlfrumens particuliers, dont ils fe fervent dans les réjouif- fances. Les Nègres de la côte deGui- née, ont une eipece d'orgue fe m b la- bié à celle de Barbarie. M. H. . . . Lieutenant de Vaiifeau, qui a fait les voyages de long cours dans les Indes Orientales cV Occidentales, m'a aflûré avoir trouve la Mufique établie dans tous les lieux il a pris terre ; mais fort différente de celle qui fe pratique en Europe. Prefque tous les Peuples des Pays lointains , n'ont connoiiïance que des quatre tons principaux de la Mufique, com- me dans fon origine , ce qui prouve abfo'umcnt que les Grecs ne font point les Inventeurs de la Mufique, comme ils le prétendent.

L'on trouve encore dans la vie de Tamerlan du fieur de Sainâyon, que les Perfes de la Province de Chou- varfam, font nez avec la Mufique, puifqu'on nous alïure que les enfans dans le berceau , foit qu'ils crient, ou qu'ils pleurent, ils ne le font qu'en

ETBESES EFFETS. I57

Mufique y mais on peut demeurer d'accord que la première perfection de l'Art de la Mufique vocale , & inilrumencale, vient des Grecs.

Si Ton. s'en rapporte a Julien Pol- lux Auteur Grec , qui étoit aufïi Poè- te & Muficien Tan 2.00 de Jefus- Chrift , qui die que les anciens Grecs firent iervir leur Mufique à neuf em- plois d:frerens3 & que c'eit de ces emplois qu'ils formèrent les noms des Mutes, dont Calliope, à caufe de fa belle voix & qu'elle prefide aux Poèmes, eut le premier emploi j le fécond, ils s'en fervirent pour chanter les louanges des Dieux , & pour leur faire des prières , ou des actions de grâce ; le troifiéme , pour déveioper les myiteres de leur Théologie, & la généalogie de leurs Dieux , à la- quelle ils donnèrent le nom d'Hyr»- nes , qui étoient d'un caractère graTC & fuWime comme nos chants facrei j le quatrième , étoit employé a dé- crire les choies naturelles , le cours des aftres & des faifons , la culture des champs &: des jardinages. & le foin des troupeaux , le cinquième, à

ijS Histoire de la Musique , chanter les louanges des Héros, & à honorer leurs triomphes 3 le (ïxié- ine, à pleurer leur mort, 8c aux la- mentations des accidens de la For- tune ; le feptiéme , à reprelemer les grandes actions & les évenemensde l'hiitoirej le huitième, à fe délafter en exprimant les tendres paillons, les mœurs, les amours de leurs Dieux, ou les galanteries des Héros, des ornernens de leurs fêtes Se réjoui f- fànces publiques des noces , des naiiîances, Se des feftifts; enfin le neuvième fut employé aux divertif- femens champêtres des Bergers 8c des Bergères dans les jeux folemnels : on peut juger par que nous devons aux Grecs les expreflîons du chant pour la nature de chaque chofe.

Les anciens Poer.es & Muficiens , difent que ce fut Orphée qui chanta le premier des hymnes , des Canti- ques à la gloire des Dieux , 8c des préceptes pour la règle des mœurs 5 un autre de même nom chanta les facrifices ; Pindare loua les Héros $ Jopas chanta les cours des aftres, Tordre des tems 8c des faifons -7 He-

I T DE SES EPFITS. 15^

fiodela théogonie ou généalogie des Dieux i Homère , des évenemens hi- ftoriques des Grecs &: des Troyens 9 quoiqu'il fût aveugle \ Linus chanta les lamentations funèbres & celles de la Fortune > Theocrite fie cb -merles Bergers & les Bergères Therjterdre les réjouidances publiques ; Echile & Euripide exprimèrent les gran- des actions; Ariftonhanc Pnnce des Poètes comiques de la Grèce, em- ploya fa Mufe à faire des chants pour difputer des prix aux Jeux Olympi- ques ; Anacreon fut eitïmé pour les chanfons Bachiques.

Tous ces grands Muficiens avoient leur caractère différent pour la com- pofîrion du chant & pour l'exécution,, comme pour les Initrumens Se pour la Poefie ; on peut juger par la juf- qu'où les Grecs ont porté la connoiC lance & la perfection delà Mufique.

Pau/amas yStrabon, Diogene Laeree 9 Suidas j Athée t & Ovide, u

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itfo Histoire de la. Musique,

CHAPITRE VII.

De Vinflituvon des Jeux Olympiques chez les Grecs , & des prix deftinez. pour % la. Mufique.

IL n'eft point dans l'Antiquité de Fêtes publiques qui ait fait plus d'éclat dans le Monde , & dont la cé- lébration ait été plus autentique que celle des Fêtes Olympiques , établie par Hercule dans toute la Grèce à la gloire de Jupiter Olympien 3 ea reconnoitïknce du fuccès de ces fa- meux travaux (1 connus dans l'Anti- quité, qu'il n'eft point d'Auteur qui n'en ait fait mention.

Ces Fêtes , difent Hérodote, Stra- bon & Paufanias , avoient coutume 4e fe célébrer tous les cinq ans pen- dant les cinq derniers jours de l'an- née, en mémoire d'Hercu!e& de ces quatre Héros ; fçavoir, Peonée , Epi- aiede, Jafîs, 8c Dide, qui étoieuc venus de l'ifle de Candie, pour ac- compagner Hercule dans fes con-

£T DE SES EFFETS-. 1 6t

quêtes. Les mêmes Auteurs afTûrenE que le TYmple d'Olympe fut dédié la première fois à Saturne , par les hommes qui vivoient du tems de l'âge d'or, lequel pafïoitpour le pre- mier Temple dn Monde , & dont le culte s'écoit aboli par la fucceflion des tems.

Néanmoins d'autres Auteurs qui ont tâché d'aprofondir l'Antiquité , comme Varron, Scaliger, Ciuflus, ont prétendu que les jeux Olympi- ques (e celebroient de quatre ans en quatre ans -, mais il eft très- certain qu'ils ont été confiderabies . qu ils ont fait datter les années par le nom- bre des Olympiades , & fervi d'Epo- que dans une bonne partie du Mon- de , du moins jufqu'à la naitïancede Jefus Chrift , qui eft celle dont on le fert aujourd'hui parmi toute la Chrétienté.

Les Hifloriens ne s'accordent pas encore fur le tems de l'etabliflement de ces jeux. Sttabon & Paufanias lui donnent des dattes différentes, je me fuis tenu à celle d'ïph-tus, qui die qu'ils furent inftituez l'an du Moade

i£i Histoire de la Musique,

J2.7 S , joint qu'elle convient mieux nos Epoques. Noël le Comte qui en paile dans fa Mythologie, dit qu'il y a eu deux cens trente-cinq reprc- fentations de ces jeux, ôc que ce fut en la quarante huitième que Ton y reçut les Muficiens & les Comédiens, au(quels on deftina aufïï des prix, comme pour ies autres Arts qui ex- cellaient dans ces fpectacles.

Philoitrate, dans la vie d'Apol- lonius, dit encore que ces jeux étoient fi célèbres par toute la Grèce , qu'ils attiroient des Peuples de toutes lei parties du Monde, les uns pour y difputer les prix , & d'autres par h curiofîté du fpeéfcacle ; l'on peut mê- me croire que l'inftitution des Jeux Olympiques a fervi de modèle auj autres Nations , pour l'établiilement des Fêtes publiques»

Ces jeux fe celebroient dans une plaine 5 fur les bords du Fleuve d'Aï- phée , près de la Ville d'Olympie leur première inftitution ne confiftoil qu'en jeux d'exercice -, fçavoir la cour- fe , le faut , la lutte du corps , les au- tres à fe battre à coups de poings , &

ÏT DE SES EFFETS. l6$

à coups de greffes corroyés de cuir de Bœuf, à darder le javelot, Se le difque , ou le palet ; il falloit pour cela de la force du corps 6c de l'a- dreile. Achenée dit, qu'un nommé Lorockus y fut couronné le premier pour le prix de la courfe^l'on y ajou- ta depuis les courfes de chevaux Se des athlètes, les comédies, les con- certs , Se quantité d'autres jeux , les femmes furent auiTi admifes pour la Mufïque, Se la courfe des cha- riots.

On y établit des Héros, ou Juges que Ton appelloit Hdlcnodi^ues^ pour la diftribution des prix , qui conlî- ftoient feulement en des couronnes de Palmier, ou d'Olivier fauvage 'y les Grecs érigeoient quelquefois des ftatues dans les Places publiques aux Vainqueurs ; il étoit permis aux au- tres Nations d'y venir , pour faire preuve de leur adrerTe, comme de leur force de corps , ou de leur fea- voir dans l'Art de la Mufique, pour les pièces de théâtre ou de comédie ; la Poëfie Se la Pro'fe , dont Hérodote remporta le premier prix pour fon

1^4- Histoire de la Musique, Hiftoire compofce en neuf Livres, qui fut trouvée h belle , qu'on la nomma les neuf Mufes, elle contc- noit ce qui s'eft pa(fé de plus mémo- rable dans le Monde, depuis Cyrus jufqu'à Xerxes, qui font deux cens quarante ans ; ces prix avoient tant" d'appas , & attiroient tant de gloire aux Vainqueurs par toute la Grèce, fur- tout aux athlètes, qu'il s'en eft trouvé qui donnoient de greffes fouî- mes à leurs adverfaires , pour fe bif- fer vaincre ; mais ils étoient condam- nez à de grollès peines, quand les Juges s'en apperce voient.

Plutarque nous apprend que Ci- rifque fille du Roi Archidame , fut la première de fon fexe qui remporta le prix de la courfe du chariot à qua- tre chevaux, dans la dix- neuvième Olympiade ; cette victoire donna tant d'émulation aux Dames de la Macédoine, qu'elles rirent drelTer des chevaux pour cet ufage ; mais ayant caufé quelque defordre dans les jeux, il leur fut défendu de s'y trouver à l'avenir, foit dégu;fées ou autrement, fur peine de la vie : malgré cette dé-

ÏT DE SES EFFETS. l6$

fenfe, une nommée l'Herenice veu- ve d'un Olympiatique, prit Tes vête- mens & fes armes ordinaires, pour y combattre en athlète ; elle fat foupçonnée d'être une femme après avoir combattu, ce qui obligea les Juges d'ordonner qu'elle fût vihtée; & ayant été reconnue, on délibéra de fofl fupplice ; cependant on lui fie grâce, à caufe que Ion père, fon mari, ôc Ton fils avoient remporté les prix dans ces jeux , & cet événement fut caufe qu'on ordonna qu'à l'avenir, les athlètes combattroient tout nuds auxjeux Olympiques, comme il s'eft pratique depuis.

Ce fut aux Jeux Pytiques , qu'He- fiode ce fameux Poète & Muiicien de la Grèce, maria pour la première fois fa voix avec fa lyre, fuivant les loix Se les règles du théâtre , ce qui lui fit remporter le prix de la Mufi- que.

Ces règles confiftoient à chanter des panégyriques en Vers accompa- gnez de la lyre , de la harpe, ou du luth , ou des Poèmes héroïques , des Paftorales , ou d'autres Pièces qui

iC6 Histoire be la Musique , contenaient les préceptes des mœurs, fans fe repofer, cracher, moucher, ni toufTer durant toute l'action, après quoi l'Acteur mettoit ungenouil en terre en ialuant l'alfembiée, il atten- doit la fentence des Juges, avec la contenance d'un homme qui eft en- tre l'efperance & la crainte j & quand elle écoit favorable , le Peuple bat- toit des mains -, Ci elle ne l'éto-t pas, on le lifRoit ; toutes ces règles furent même obfervées par Néron , quand il voulut monter fur le théâtre, fans quoi il eût été fifflé , tout Empereur ôc tout cruel qu'il écoit; parceque les Anciens regardoient le théâtre, comme le tableau du Monde, ou le correctif des mœurs : la faveur étoic inconnue, fur-tout aux Jeux Olympiques.

On trouve dans Plutarque beau- coup de Relations de ces jeux, dont les fpeclracles attiroient dans la Grèce toutes fortes de Nations , comme je l'ai déjà dit.

Diogene Laerce parle encore d'un Phiïofophe Scythe nommé Antichar- fis , frère du Roi de Scythie, qui vint

ET DI SES EFFETS. l6y

aux jeux 0!ympiques3pour s'initruire des préceptes des Grecs -> il iurprie toute l'afîemblée, quarîdon (eut qu'il avoit fait lui-même les vêtemens avec des nattes de jonc , & des bran- ches de genêt , ce qui fait voir que les Pbilofophes Scythes de ce tems- la , avoient l'induftriede Ce p^flerdu fecours des aunes hommes ; ils fe réduifoient d'ailleurs à ne vivre que de fruits , de légumes &c de racines, comme firent depuis nos Anacho- rètes.

Ce Philofophe étant allé de à Athènes , il fie amitié particulière avec Solon , qui lui demandant un jour s'il y avoit des inftrumens de Mufique dans Ton Pays , il lui répon- dit qu'il n'y avoit pas feulement de vignes dans la Scythie , voulant faire comprendre par cette réponfe, que la Mufique n'eft pas moins dange- reufe que le vin, quand on n'en fçait pas faire un bon ufage ; aufîi fit-il un grand reproche à un Mufîcien qui s'enyvra dans une Fête publique il avoit aflifté dans Athènes ; il blâ- mait fort les Athéniens de ce qu'ils

i6% Histoire de la Musique,

ne bûvoient que dans de petits ver- res au commencement du repas , m dans de grands verres à la fin , pour en perdre plutôt la raifon ; il leur prédit en partant, que la Mufique Se l'excellence des vins Grecs, caufe- roient la perte de leur Republique, comme il eft arrivé depuis, par les engagemens funeftes nous entraî- nent les voluptez,

J'aurois pu m'étendre davantage fur cette matière , fi quantité d'Au- teurs n'en avoient traité ; je n'en af . parlé que par rapport à la Mufique, & pour donner au Lecteur quelque notion des règles que les Anciens ©bfervoient dans ces fpeetacles, qui fe font infenfiblement abolis depuis Ja naifiance de Jefus-Chrift , par le tablifiement de fa Religion , &: par les différentes mutations qui font ar rivées parmi les peuples ; nous avons feulement confervé l'ufage des bat- temens des mains pour les applau- diflemens des fpe&acles ; celui des fifrlets a été défendu de nos jours, en faveur des Comédiens , &c pour évi- ter le defordre du parterre.

CHAPITRE

ST B E SES EFFETS. ll£

CHAPITRE VIII.

i> l'eflnïon des Chinois, fur F origine dt UnrMufique , & de quelques rela- tions de leurs Fêtes publiques.

LA Chine. paiTe pour être l'Em- pire le plus étendu, & des plus anciens du Monde ; & les Chinois pour être universels dans les Scien- ces & les Arts, Se les plus ingénieux Peuples delà Terre ; il y a même ap- parence qu'ils ont eu avant les Euro- péens, l'ufage de la Mufique5 de l'Im- primerie, & peut-être. la connoiflTan- ce des Mathématiques , & de cent au- - très choies qui ont fait l'admiration . de toutes les autres Nations .-cela efb prouvé par les relations des premiers Voyageurs , comme Marc Paul Ve- £ intien, Pinto Portugais , par celle de ^l'Ambaîïade des Hoilandois, cV par l'Hiftoire que le P. Martin Martini jefuite, nous a donné de cet Em- pire j il commence par le règne de

H

170 Histoirede la Musique, Fofïïus leur premier Empereur, fans s'arrêter à leur opinion fur laChrono» logie, que nous regardons comme fa- buleufe j ils prétendent que ce pre- mier règne a commencé près de trois mille ans avant la nahTance de Je- fus-Chrift, les Chinois attribuent à ce Prince une naïflance miraculeufe comme Ton fait ordinairement aux Legiflateurs -, ils difent qu'il eft fans Père , de même que Melchife- deck, qu'il avoit un génie divin , & quil pefTedoit toutes les Sciences, comme Moïfei ils le reconnoifTent pour Tlnventeur de la Mufique , l'on trouve dans fa vie qu'il inventa un inftrument Mufical , compofé de trente-fîx cordes pour adoucir 1 hu- meur farouche de Ces fujets , & pour les accoutumer aux honnêtes diver- tirtemens qui peuvent entretenir la focieté parmi les hommes , comme ont fait en partie les premiers Le- giflateurs des autres Peuples ; il s'en- fuit de que les Caldéens , les Egy- ptiens, les Hébreux, ni les Grecs, ne font pas fans contredit les feuls i Inventeurs de la Mufique. L'Empire i

IX DE SES EFFET!. 171

ie la Chine étoit inconnu à toutes ces Nations avant la naiffance de Je- fus Chriftj lune de fes loix fonda- mentales , défcndoit aux étrangers de mettre le pied dans la Chine fur peine delà vie, de même qu'il étoit auflï défendu aux Chinois de fortir du Royaume fous la même peine , pour éviter que pas un d'eux ne portât la connoiflance de leurs Scien- ces & de leurs Arts, chez les autres Nations : de forte que nous n'avons pu en être inftruits , que par les relations des voyageurs qui ont trou- vé le moyen d'entrer dans cet Em- pire fous la figure d'Ambafîadeurs, , environ depuis cinq ou fîx cens ans. ! Les François y ont été reçus dans ! la fuite , comme nous le voyons par les relations des voyages de Taver- nier & de Thevenot -, ils ont trouve chez ces Peuples l'ufage de la Bouf- fole pour la Navigation ; ils s'atta- chent beaucoup à l'Aftrologie , ÔC aux Mathématiques 5 c'eft par cette feience que plufieurs de leurs Empe- reurs , Mandarins & Philofophes ont fort perfectionné l'Art de la Mufi- " Hij

172 Histoire de la Musique , que depuis leur premier Empereur, laquelle e(l en fi grande vene-ration parmi eux , que tous les préceptes pour le gouvernement de l'Empire font en Vers, &: notez en belle Ma- fique , pour apprendre aux Princes du Sang l'Art de régner en les chan- tant,^ pour les mieux infirmer dans leur mémoire ; outre que l'étimolo- gie de la Mufique fignifie dans les ramilles Impériales & Royales de la Chine , la. fcience des Loix civiles & politiques , fans laquelle un Prin- ce auroit peine à parvenir à l'Em- pire ; ôc généralement parlant, ce font les Sciences qui tiennent encore aujourd'hui chez les Chinois le pre- mier rang de gloire & de perfection; ceux qui poiîedent les premiers em- plois de l'Empire, font d'une pro- fonde érudition, &c fe fervent des ; fegles de la Mufique, comme de la clef du gouveinement-

Confutius Je plus grand Philofo- phe que les Chinois ayent jamais eu, Se qui eft eltimé parmi eux , comm Socrate chez les Grecs, faifoit tant d'eftinae de la Mufique , qu'il difoit

ET DE SES EFFETS. 17$

qu'on ne la pouvoir altérer fans faire tort au gouvernement, peut-être par rapport aux loix qui en font no- tées , ou par l'opinion qu'il avoir que la Mufîque peut fervir à régler les moeurs, fuivant le fentiment gêne- rai de s anciens Philofophes -, Confu- tius vivait cinq cens vingt-deux ans avant la nai (Tance de Jefus-Chrift. Les Chinois pour rendre fa mémoire immortelle , lui érigèrent un Palais, ôc un Collège prefque dans toutes les Villes de leur Empire, oh ils mi- rent ces infciïptions en lettres d'or : An grand À-iaitre J à l'Ulnfire Rn des Lettres y an Sent , & an fage Philo- f&pbe Confinais , c'eft ce qu'on voit encore aujourd'hui ; Tes defeendans joui (lent auiîi de grands Privilèges, ce qui fait voir l'extrême considé- ration que les Chinois ont pour les Sçavans.

Ils ont tant d'émulation pour les Sciences , qu'il n'y a perfonne dans toute la Chine de fi baiïe condition qu'il foit, qui ne fçache lire, écrire, êc un peu de Mufîque. Leur grand fçavoir confiée à cou- *'■.•.". H iij

ï>4 Histoire de ia Musique , noître l'explication de cinquante, ou foixante mille caractères Hierogli- phiques , qui contiennent toutes les Sciences du Monde , ils ont aufîi des nottes particulières pour la compo- fition de la Mufique , & d'anciens Traitez fort amples & très- curieux fur fon excellence , mais ils n'ont en- core pu atteindre à la perfection de la nôtre. J'ai fçû de M. Helliot Lieu- tenant de Vaifîeau, qui eft revenu de la Chine, que la Mufique y étoit encore afîez dure, & que l'Empereur régnant s'adonnoit à prendre nos pré- ceptes pour la rendre plus touchan- te : Il dit qu'ils ont de vingt fortes d'Inftrumejis, qui nous font incon- nus , entr'autres de certaines lames de pierre fort minces qui rendent un fon harmonieux , d'autres faits avec des cordes de foye, d'airain & de laiton , & des orgues d'une façon particulière, dont ils jouent comme les Chaudronniers jouent de leurs fifïïets ; il m'aflura que la Mufique étoit fi familière dans la Chine , que Ton n'y regale jamais , que le repas ne foit accompagné d'un concert , ôc

I T D I SIS IfîlTJ, 175

que les Chinois la regardent comme lame du feftin.

Ces Peuples ont encore une véné- ration très-particulière pour l'Agri- culture , ce qui paroît par l'établif- fement d'une Fête publique appellée U Fête des Laboureurs , qui fe folem- nife tous les ans dans les Villes de l'Empire avec une grande cérémonie le premier jour de leur Printems.

Ce jour -là, l'un des principaux Magiftrats paroît au lever du Soleil couronné defleurs^nvironné de Mu. fîciens , de Joueurs d'Inftrumens , & d'une infinité de Peuple qui portent des flambeaux allumez , des bande- rolles& des enfeignes, fur lefquelles font imprimées des devifes en l'hon- neur de l'Agriculture 5 d'autres por- tant fur leurs épaules comme des chattes , des figures faites de carton, rehaufîées d'or & de foye qui repre- fentent d'anciennes hiftoires concer- nant le Labourage ; la marche s'en fait comme celle d'une proceffion^ toutes les rues font tendues de tapif- feries très riches , & embellies d'arcs de Triomphe, l'on fort de la Ville

H iiij

ij6 Histoire de la Mvsiqvs , par la porte de l'Orient, pour aller taire hommage au Soleil levant, Se recevoir de lui la nouvelle faifon.

L'on pofe tous les fimulacres de- vant le Soleil , Se Ton fait un concert à fa louange d'un nombre infini de Muficiens, Se de toutes fortes d'fn- ftrumens qui font une harmonie in- exprimable j il y a deux fimulacres qui font très-diflinguez, l'un eftune grande vache faite de terre cuite, ornée de fleurs , & parée fort fuper- bement, mais fi pefante que quaran- te hommes ont bien delà peine à la porter ; l'autre eft un beau jeune gar- çon vivant, qui reprefente le génie actif 8c laborieux de l'Agriculture, il a une jambe nue, Se l'autre cou- verte d'une efpece de brodequin , il frappe continuellement cette vache avec des corroyés, deux maîtres La- boureurs , chargez de tous les inftru- mens du Labourage, marchent im- médiatement après lui , Se cela ren- ferme une grande inftru&ion pour les gens de la Campagne. Cette mar- che fe fait depuis la Ville jufqu'au Pa- lais de l'Empereur, dans une pompe

1T B! SES IFÏËTS. I77

snagnifique -, alors tout le Corps de Mufique s'aflemble devant le Palais, Se par un concert furprenant,il don- ne des marques à l'Empereur de l'ar- rivée de ce fameux Cortège ; il fort à l'inftant de Ion Palais , vécu de fes ornernens Impériaux, pour fatisfaire aux cérémonies ordinaires de cette fête ; le Magiftrat lui prefente cette prodigieufe vache que l'on dépouille de toutes Tes parures , enfuite on lui ouvre le ventre, Se Ton en tire quan- tité de petites vaches de la même matière dont elle eft compofée, que l'Empereur diftribue à fes Miniftres, pour les avertir du foin qu'ils doi- vent prendre de l'Agriculture,& pour faire connoîtreà fesfujets, qu'ils ne doivent pas lailTer de terre en friche; on dit même qu'il laboure ce jour- , Se qu'il répand du grain fur la terre , pour leur montrer l'exemple du labourage, lequel (difent les voya- geurs ) fait fubfifter deux cens mil- lions d'ames dans ce vafte Empire , fans qu'il y arrive jamais de famine , par la précaution qu'ils ont d'avoir dans des greniers publics des bleds

H v

178 Histoire de la Musique , pour deux ans ; pendant que l'Empe- reur fait Tes diftributions , on entend differens concerts , qui font un des principaux embellifTemens de cette grande fête , laquelle finit par quan- tité de feftins& de danfes publiques. Hiflolre de la Chine , liv. S.

La fête des Lanternes des Chinois, eflunede celles qu'ils célèbrent avect plus de joye& de folemnité, le quin- zième jour de la première Lune de leur année; ils donnent à fon éta- blifTement une origine approchante de celle de Cerès , qui chercha fa fille Proferpine : Ils difentque peude tems après rétablifTement de leur Empire, un Mandarin aimé de tout le monde pour les vertus & fes rares qualités, perdit fa fille furie rivage d'un Fleu- ve; comme il Taimoit uniquement, il fortit le foir pour l'aller chercher le long du rivage avec des flambeaux Se des lanternes , le peuple le fuivit de même , en pleurant éc gémiffant à fon imitation ; mais leurs foins furent inutiles, ils ne la trouvèrent point ; quoi qu'il en foit, ils ont tou- jours célébré cette fête def uis ce

1T DE SIS I!F!T$. 179

tems-là. Comme ces Peuples font très-voluptueux, ils font bien- aifes d'avoir des occasions de fe divertir par des fpe&acles publics , la Mufique tient toujours Ton rang le jour de cette fête ; chacun dans tout l'Empire allume tant de feux & de lanternes le foir,que tout paroîc com- me un incendie univerfel du Royau- me , qui femble être animé par des concerts que Ton entend de toutes parts. Les Chinois font fi ingénieux pour la compofîtion des feux d'arti- fice , qu'ils font paroître des fufées volantes , dont les feux reprefentent tout ce qu'ils veulent, comme tou- tes fortes d'animaux, des navires*, des tours , des arbres, des feps de vi- gne avec les rai-fins, dont on diftin- gue les feuilles &: toutes les couleurs, ce qui paroît aufïï furprenant qu'a- gréable.

Ils font encore des lanternes pein- tes (1 artiftement , & d'une hauteur & largeur fi grande , qu'il y en a de vingt coudées > qui coûtent jufqu'à deux milles piftoles , pour l'Empe- reur : l'on y voit dedans des repre-

H vj

i8o Histoire ce la Musiqtte, Tentations de Comédies, des Rois, des Princes, des Mandarins s'y mou- voir avec un grand appareil, des combats d'hommes à pied , à che- val, Se d'animaux féroces, des vaif- feaux naviger, des arTemblées pour les bals , des feftins «5c des concerts que Ton entend de ces lanternes fur- prenantes, Se tout ce qu'elles repre- fentent y paroît naturel.

On trouve dans la relation de la Chine du Père Magaillans , chap. 6. une Hiftoire fort finguliere de cette fête des lanternes , il dit que les Chi- nois racontent qu'environdeux mille ans après l'établifïement de cette fê- te , un Empereur nommé Tarn s fc laifla abufer par un fameux Magi- cien , auquel il dit qu'il avoit une en- vie extrême de voir la fête des lan- ternes de la Ville de Yamcheu dans la Province de Kiamnan, qui parTè, pour être la plus furprenante , & la plus magnifique fête de tout l'Em- pire i mais cet Empereur dit au Ma- gicien qu'il trouvoit bien des diffi- cultez pour fe donner cette fatisfa- &ion , à caufe de l'éloignement de

ÏT DE SES EFFETS. î8l

deux cens lieues -, il craignoit qu'on ne le blâmât de faire la dépenie d'un fi long voyage, pour voir un diver- tiflement qui ne dure qu'une nuit. Ce Magicien lui répondit, que votre Majefté n'ait aucune inquiétude là- deiïus ; je lui promets * que fans l'ex- pofer à aucun inconvénient , je lui donnerai toute la fatisfa&ion qu'- elle peut defirer en une feule nuit, l'Empereur y confentit. Le jour de

•la fête étant venu, le Magicien fît paroître le foir à l'entrée du Palais

-de l'Empereur , des chariots Ôc des thrônes formez de nuées blanches, traînez par des Cignes ; le Roi & la Reine y montèrent, avec une partie de la Cour & tous les Muficiens du Palais, les Cignes prirent leur vol avec une vitette fuiprenante, Se en

peu d'heures ils arrivèrent au-deiTus de la Ville de Yamcheu ; le Roi & la Cour virent le fpectacle furpre-

- nant de cette fête des lanternes, pen- dant lequel les Muficiens donnèrent un concert de voix ôc d'inftrumens

aux Peuples qui les regardoient en l'air comme une troupe ceiefle j œ

181 HlSTOIB.1 BELàMuSIC^I,

concert étant fini , les Cignes repri- rent la route du Palais de l'Empe- ••-ur, il arriva à la pointe du jour, ms avoir fouffert aucun danger, our donner plus de croyance à cet- te fable, les Chinois difent encore qu'au bout d'un mois, il vint un Cou rier de cette Ville pour donner avi: à l'Empereur , que la nuit de la fête des lanternes , les Peuples av oient vi fur des Thrônes de nuées , tirez par des Cignes,une troupe celefte d'hom- mes faints, qui avoient fait un con- cert admirable de voix & d'Irrftru- mens , ce qui faifoit voir combien cette fête écoit agréable à leur Eftn Souverain , ou à Dieu.

Cela fait voir que les Chinois ont inventé des fables aufïi bien que Ici autres Payens, pour autorifer leurs fêtes folemnelles parmi les Peuples

Ils célèbrent encore une fête pu- blique en l'honneur de la Lune, ave< de grandes réjouiflànces le quinze d( la huitième Lune , la Mufique fait le principal divertifîement ; le joui de la fête chacun fe pare fort pro prement , & prépare ion feftin fui

IIDI SIS IIPITS* lS|

vant fon pouvoir , pour commencer les réjouifïànces au Soleil couchant j ils s'afTemblent par troupes avec leurs parens & amis , dans toutes les Villes, Citez & Bourgs du Royaume j on les trouve dans les rues , dans les places , & fur les terrafTes -f d'autres font dans des jardins à fe régaler au fon des Inftrumens, ôc à regarder en l'air, pour voir le lièvre, qui cette nuit , paroît à ce qu'ils difent dans la Lune -y c'en: par cette raifon qu'ils font des gâteaux pendant la huitaine, comme nous au tems de la fête des Rois ; & fur le milieu du gâteau il y a une figure de lièvre faite de pâte d'amendes , de fucre ôc d'autres in- j-grediens qu'ils s'envoyent les uns | aux autres ^ les plus riches font les iplus grands concerts cornpofez des jplus belles voix ôc des meilleurs In- iftrumens -, les pauvres font leurs fe- iilins au bruit des tambours, des tim- I baies, des baffins, des poêles & des chaudrons , pour marquer leur ré- I jottifïànce , ce qui faic dans les can- tons où font ces aiîemblées un bruit qui a a(Tez de raport à nos chariva-

:

i$4 Histoulidi la. Musique, ris ; ils en fçavent néanmoins com pofer un carillon allez mélodieux ces Peuples ayant tous quelque dif- pofition à la Mufique.

L'Empereur a un Palais appelle le Palais de U Pureté , qui eft refervé pour la folemnité de cette grande fêce publique : elie confifte en une grande Mufique , & des feftins. Re- lation nouvdle de la Chine du P,de Ma- gaillans , chap. 20.

Comme les Chinois font fort fen- fuels , ils font fort aife d'avoir des occafions de divertiiTemens par des fêtes publiques ; c'eftpourquoi il y \ en a même qui entreprennent d'en donner qu'ils appellent les Hoftdleriesy ilont les entrepreneurs gagnent qua- tre à cinq pour cent pour les avances, outre le rembourfement des frais-, de même que les Vénitiens en ufent pour- les Opéra qu'ils donnent au Public ; les Chinois en font toute Tannée une efpece de commerce..

Ils commencent par louer pour un tems , une des plus belles maifons de plaifance qu'ils peuvent trouver, le plus près de la Ville, dans laquelle

1

ET BE SES EFFETS. îSj

il Te trouve jufqu'à cent apparte- mens de Maures, de magnifiques falles pour les Comédies, les Mu- fîciens , $c toutes forces d'efpeces de Danfeurs , jufqu'à des Batte- leurs , qui forment un fpedacle très- confiderable en la Chine; ou- tre la magnificence du bâtiment, on y trouve des jardins, des canaux, des bois, des parcs, de de grandes écuries pour placer des chevaux de chalïe; il faut que ces fortes de Pa- lais l'oient difpofez pour y faire pa- roîcre toutes fortes de divertifïèmens, Ton ne laifîe rien à defirer pour les plaifirs.

L'Entrepreneur a foin de les meu- bler fuperbement, & de les garnir de tout ce qui convient pour l'exécu- tion de la feite ; elle dure ordinaire- ment un mois, quoiqu'un particulier n'y puifîe refter que trois jours , à moins qu'il ne foit convalefcent, ou que ce ne foit une femme qui relevé de couches ; elles vont pour fe ré- tablir , en payant fui vân t qu'il effc taxé par le Gouverneur de la Ville, qui a foin de régler la dépenfe de

(86 Histoire de la Musique,

'entrepreneur de la fête 3 fur le pk & les mémoires qu'il lui donne.

Comme tout ce qui eft neceffaire à la vie eft taxé à la Chine, il ne peut mettre les denrées au- demis de ce qu'elles valent, cette taxe poui le bien public fe faifant tous les anj fuivant les récoltes; cette police at mirable produit une abondance infi- nie dans ce vafte Empire ; on trouv< à ces fortes de fêtes vingt tables fer- vies magnifiquement , foir & matii à différentes heures , ôc des concerts dans toutes les falles Ton mange, Ton y fert les vins & les liqueurs les plus exquifes avec abondance , & tout ce que Ton peut s'imaginer pour les douceurs de la vie , moyennant une piftolle par jour tout au plus ; il y a encore de fort belles filles pour iervir les Dames , & des garçons fort propres pour les hommes, qui font inftruits pour ces fortes de fêtes, la galanterie n'eft pas épargnée; mais il faut que cela fe fafle avec beaucoup de difcretion , fans quoi l'Entrepreneur courroit rifque de perdre fon fond & fon profit,tout fe »

ET B E SES EFFETS, if?

io\t confifqué au profit des Hôpitaux de la Ville, & du Gouverneur qui a donné la permiflïon pour la fête ; il y a des Reglemens faits exprès que l'on lit à l'Entrepreneur pour l'obli- ger de s'y conformer j les Chinois regardent ces fortes de fêtes , com- me un amufement de politique •> on peut juger par de leurs maximes. On trouve dans les voyages de Pinto Portugais , d'amples relations de ces fortes de fêtes , ehap. 103.

La Mufîque a produit de tout tems & en tous lieux de bons & de mau- vais effets , en voici feulement deux exemples que je rapporte entre quan- tité d'autres arrivez dans la Chine.

Lieupang fut un Empereur qui ufurpa l'Empire deux cens ans avant la naiflance de Jefus- Chrift, il y eût quelques Villes qui ne voulurent point fe foûmettre à fa domination, entr'autres celle de Lu. Cet Empe- reur irrité de fa refiftance, Taffiegea avec une groiïe armée , il jura de la réduire en cendre avec tous fes ha- bkans s'ils s'opiniâtroient à foûtenir un long fiége j mais faifant la nuit

tSS Histoire de la Mustqtji, le cour de la Place pour reconnoîcr|i les endroits par il pourroit l'atta? quer le lendemain en donnant un af. faut gênerai, il entendit ungrand con- cert de voix & d'Inîtrumens , dont il fut merveilleufement (urpris^s'ar- rêtant pour l'entendre , il dit aux Officiers qui le fui voient, il faut que ces gens-la foient bien réglez, puif- qu'ils aiment ainfi la Mulique j je reconnois que leur refiitance eft un témoignage du grand attachement qu'ils ont a leur devoir, c'eitpour-. quoi je révoque mon ferment èV je leur accorderai la vie ôc la liberté j'augmenterai même leurs privilè- ges , s'ils veulent me reconnoître pour leur Souverain -y ces habitans étant informez de fes fentimens , n'ayant plus d'efperance d être fe courus , ouvrirent leurs portes , cet Empereur leur accorda tout ce qu'ils lui demandèrent, 8z l'on peut dire qu'ils trouvèrent leur faiut dan la Mufique. -

L'Empereur Chingu qui regnoi trente-deux ans avant la naifïancede Jefus-Chrift, étoicun Prince fort ef-

ET DE SES EFFETS. î 89

femme, & fi pafiionné pour la Mu- ilîque, qu'il époufa une belle Come- idienne qu'il avoit entendu chanter I fur le théâtre 5 en forte que s'étant 'lanTé furprendre a fes charmes, il 1 répudia l'Impératrice qui étoit une i PrincelTe très-vertueufe ; mais cette : Chanteufe prit dans la fuite tant de i pouvoir fur l'efprit de cet Empereur, j qu'elle l'engagea de donner une Prin- I cipauté confiderable à fon frère, qui 1 n'étoit qu'un fîmple Mu/icien , èc à 1 faire tant d'injuftices , qu'elle lui at- ! tira la haine de fes fujets ; il en mou- ; rut de regret peu de tems après.

■L'Hiftoire de la Chine eft remplie de quantité d'exemples d'Empereurs, qui ont été dépoffedez de l'Empire y pour avoir eu trop d'attachement pour la Mufîque , ce qui faifoit né- gliger les foins de l'Empire :ori peut juger par que de tout tems la Mu- fique a caufé des biens & des maux dans tous les pays du Monde ; c'eft- pourquoi bien des Philofophes l'ont comparée à une beauté finguliere > pareeque l'une féduit le cœur par le charme des yeux, Ôc l'autre féduit

x^o Histoire de la Musique, Famé par l'enchantement des oreil- les.

Je fouhaitte que la lecture de ce Chapitre , fafle autant de plaifir au Lecteur , que la recherche ma fait de peine pour le compofer , fui van t Thiftoirede la Chine que M. l'Abbé le Pelletier nous en a donné , & les relations des voyageurs que j'ai cité]

CHAPITRE IX.

De ïétablijfement de la Mafic/ue chez, les Romains, & de £ origine des Fêtes pn bliques , données aux dépens des Em- pereurs & du Sénat*

POur peu qu'on ait de teinture de l'Hiftoire Romaine, oneft per- fuadé que la valeur , la tempérance & la féverité des premiers Romains foûtenues de ces fentimens Héroï- ques, que Ton admire encore au- jourdhui , ont été les plus folides fon- demens de cette fameufe Republi- que, de même que l'abondance de: richefles provenues de tant de Ville

ET BE SEÎ ïfFETJ. I$ï

Capitales acquifes par leurs vièloi- rcs , a été la fource de la corruption de leurs moeurs , êc enfuite la caufe de la deftru&ion de cette fuperbe Republique , dont la vertu commen- ça à dégénérer après la conquête de Cartage, qui combla les Romains de richefîès immenfes. Les Confuls ôc les Généraux qui cherchoient à s'en faire honneur , s'engagèrent dans des dépenfes prodigieuies ; l'on bâtit des cirques , des théâtres, Se de fu- perbes amphithéâtres , pour donner [des fpe&acles publics, il fe palîa |bien-tôt des Scènes particulières , qui infpirerent infenfiblement la dlupié ôc la débauche dans l'ame des vertueux ôc des plus puiiTans de la Republique , dont le peuple fuit ordinairement l'exemple avec plai- fir -, de forte que la grandeur des fpe- &acles, la magnificence des fêtes pu- bliques ôc patticulieres, corrompi- renr peu à peu la feverité du Gou- vernement de cette grande Republi- que , & ont été la fource de fa de- struction.

Ce fut l'an 415. de la fondation

iy% Histoire de Musiqtje,

de Rome , que la Mulique y com- mença Ton établifTement fous le Con- fulat de Sulpicius Pelicus, par l'infti- tution des Jeux Scenicjnes. Les Ro- mains crûrent calmer par ce moyen le couroux du Ciel, qui les deioîoic par une pefte effroyable , n'ayant pu î'appaifer par la troifiéme célébra- tion de la fête pieufe du Leftifterne. Avant ce tems-là ce peuple belli- queux ne connoifloit point d'autres fêtes , ni d'autres jeux , que ceux du Cirque , l'on faifoit paroîcre la force du corps des athlètes, i'adreflTe à manier les armes des Gladiateurs , les courfes des chariots. & les com- bats des bêtes féroces, les Romains voulant imiter par ce qui fe fai- foit dans les jeux Olympiques.

Mais avant que de faire voir en quoi confiftoient les Jtux Scemques t il eft bon de remarquer que la fête du LeÏÏifiertic avoir été inftituée en- viron l'an 150. de la fondation de Rome, en faveur de l'hofpitalité, à l'exemple des Anciens ; cette fête étoit fort en vénération chez les Romains , ôc refervée pour implorer

l'affiftance

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ET DE SES EFFETS. I95

Pafîiftance des Dieux ; dans les gran- des calamicezde la République, l'on commençoit" par consulter les Li- bres des Sibilles qui étoient gardez par deux Sacrificateurs , ou Ponti- fes ; enfuite Ton faifoic des facrifices aux Dieux & aux Déefles , que Péri croyoit devoir fe rendre propices ; Ton preparoit un grand feftin corn- pofé de viandes apprêtées à la mode des Anciens , comme au tems de l'âge d'or, l'on invoquoit avec gran- de cérémonie les ftatues des Ditux, en les defeendant de leurs places j Ton dre(Tbit des lits magnifiques au- tour des tables, fur lesquelles l'on plaçoitees fratues,fuivant leurs rangs ôc leurs dtgnitez; elles étoient fervies pendant une neuvaine , avec beau- coup de refpeà ; les portes des mai- fons de Rome étoient ouvei tes à tout le monde, l'on y trouvoitdes tables drelféeséV fervies de toutes fortes de viandes , félon les faculté z de chaque Citoyen ; tous les étrangers y étoient bien venus pour y loger, boire & manger pendant la neuvaine , cha- cun cherchoit a fe réconcilier avec

I

i^4 Histoire de la Musique , les ennemis , Ton donnoit la liberté à cous les prifonniers pour dettes ; Ton fe faiioit même un fcrupule de les reprendre après , ear Ton attri- buoit leurs lîbertez aux Dieux qui avoient exaucé leurs prières , c'était en partie la caufe que Ton ne cele- broit cette fête pieafe que dans de grandes extrêmitez.Tke Livedansfa première Décade, dit quelle fut cé- lébrée la première fois en l'honneur d'Apollon, de Latone, de Diane,

de Mercure, de Neptune & d'Hêt- re i ' i-

cuie, a cauie de certains ptoriiges, comme des pluyes de fang & de pier- res que l'on avoit vu tomber aux en- virons de Rome, l'an 150. de fa fon- dation ; mais comme celle qui fut celebrée l'an 415. n'eut pas l'effet que les Romains en attendoientpour les délivrer , comme je l'ai dit d'une horrible pefle, l'on n'y fongeà prefc que plus depuis : l'on crut que l'on réuffiiToit mieux à appaifer la colère des Dieux par rinfatution des Jeux Scîmques qui éteient en uiage dans ce tems-îà chez les Grecs & chez les Tofcans. Ces Jeux donnèrent aux

ET DE SES EFFETS. ipj

Romains la première connoirTance de la Mulîque.

Le Sénat envoya en Tofcane qué- rir des joueurs de fTûce ôc des Panto- mimes pour les célébrer pendant qua- tre jours , fuivant Tordre des Ediles Curales ; ils ne confîitoient qu'à dan- fer au Ton de la flûte 3 à faire des ge- ftes & des mouvemens , iuivant Tu- fage de ces peuples ; ils ne recicoient pas même de Vers, Ton n'y voyoit point d'entr'actes , comme dans les Comédies des Grecs -, la (implicite de ces fpectacles ne laiffa pas de faire impreffionfurl'efpritdesipectateurs, & fur. tout de la jeunefH: Romaine , qui y prit beaucoup de goût $ les plus ingénieux s'aviCerent de copier ces Farceurs, & crurent pouvoir profiter de cette occafion, pour reciter des fa- tyres étudiées, & accommodées au fon de la flûte , avec des geftes êc des mouvemens qui exprimoient ce qu'- elles contenoient. Horace dit qu'un nommé Lucius fut le premier qui inventa une Comédie à Rome dont il fut aufïï l'Acteur ; elle confiitoit feulement à chanter des Vers fur le

iç)6 Histoire de la Musique , théâtre, avec quelques Joueurs de flûtes , qui accompagnoient fa voix j l'on s'avifa enfui te d'y joindre des Inflrumens à cordes , èc d'y chanter des airs en forme de dialogue ; mais par la fuite les jeunes gens laifTcrent aux Comédiens, le foin de rcprefen- ter leurs Comédies, en s'attachant à réciter enrr'eux des chofes plaifan- tes, compofées en Vers , qui furent appeliécs Exodes, que Ton inferoit dans lesentr'aetes des Comédies, ÔC d'autres Jeux qui reiTembloient à nos farces , fuivant i'ufage des Attalans & des Ofciens, peuples d'Italie de ce tems là.

J'ai cru devoir rapporter l'origine des Jeux 3c des Spectacles des pre- miers Romains, pour faire voir com- me des petites chofes on vient aux plus grandes, puifque la pompe &C la magnificence de leurs fêtes publi- ques ont fait par la fuite l'admira- tion de tout l'Univers. Voyez, U pre- mière Dèca h Tue- Live, fol. 350.

Ce fut fous le Confulat d'Emilius, l'an 560 de la fondation de Rome, que la Mufique commença à paroi-

IT 1)1 SIS IITETS. 197

tre avec plus d'éclat , & qu'elle fuc introduite dans les feftins particu- liers des Romains ; l'on fit venir de Tofcane, de Napîes & de Sicile des Mufîciens, des Muficiennes, & les plus fameux Joueurs d'inftrumens de toute l'Italie, on leur accorda mê- me quelques privilèges pour faciliter leur établilTement dans Rome.

M. Fulvius Proconful ; qui venoit de faire la conquête des peuples Eto- liens , 6c de la Cephalenie , fit fon entrée à Rome , Se dit au Sénat, qu'il avoir fait vœu de donner les grands Jeux en l'honneur de Jupiter, & de Minerve, le même jour qu'il avoic pris la Ville d'Ambrice; que cette Ville, avec les autres fubjuguées , lui avoient fait un prefent de cent mille livres pefant d'or, pour fatis- faire à fon voeu -, qu'il confentoit que le furplus des dépouilles de ces peu- ples fut mis dans le Trefor public, après avoir paru au triomphe, donc il fut honoré fous le môme Confu- lat ; de forte que l'on vit porter de- vant le char du Victorieux , cent douze Couronnes d'or, quatre- vingt

1 iij

î>v> HISTOIRE Dfe La ivltfSIQlTE,

mille livres d'argent pefant en lin- gots , cent vingt pièces antiques , douze à treize mille Philippus d'or, deux cens quatre-vingt (ta tues d'ai- rain, &deux cens trente de marbre, faites par le plus fameux Sculpteur de l'Antiquité , avec quantité de ta- bleaux & de meubles de grand prix : Voilà par commença le luxe dans Rome ; néanmoins le Sénat de l'a- vis des Pontifes ,- ordonna qu'il ne feroit employé que quatre - vingt mille livres pefant d'or, qui feroient quatre-vingt millions de notre mon- noye,pour la célébration des grands Jeux, Se que les vingt mille livres d'or reftans, feroient mis dans le Trefor public.

Quelque tems après arriva le Con- fulat de Manlius, qui revint triom- phant des Gaulois, ou Gallogres, Se de quelqu'autres peuples d'Aiie, qui produisit encore de l'augmentation dans le luxe Se la magnificence des Romains -, l'on fit venir des trois par- ties du Monde des gens expérimen- tez dans tout ce qui pouvait con- tribuer aux plaifirs , & aux délices

ETDESESE F F E T S. \&

de la vie , fur tout aux fpe&acles , & aux feftins , ce qui devoit un jour t comme dit Tite-Live, caufer la perte de la Republique. Manlius apporta des trefors immenfes , qui parurent à Ton triomphe ; entr'autres deux cens Couronnes d'or , chacune du poids de dix huit marcs a trois cens trente mille marcs d'argent en lin- gots , & de l'or a proportion > tout cela fut mis dans le Trefor public, fans compter les fommes corifîdera- bles qu'il avoit refervées pour les dé- penfes de (on triomphe & des gran- des fêtes publiques qu'il donna neuf jours durant -, il envoya chercher jufqu'en Grèce les meilleurs Mufu ciens , les plus fameux Joueurs d'in- ftrumens, 8c toutes fortes d'ouvriers pour rendre les fpe&acles , & fon triomphe le plus fuperbe qu'oneût encore vu dans Rome ; il fit compo- fer des Vers à fa louange , pour faire chanter aux foldats pendant la mar- che , de leur donna à chacun quatre cens. On peut voir dans Tite- Live la description de cette magnificence ; Manlius après fon triomphe, donna

i iiij

200 Histoire de la Music^ue, la reprefentation des jeux du Cirque, Ton voie combattre deux ou trois cens Gladiateurs , dont il en reftoit quelquefois le tiers étendu expirant fur le iable ; Ton y voyoit des Athlè- tes combattre tout nuds , êes cour- fes de chariots à quatre chevaux , conduits par des gens qui comhat- toient défias , enfuite les combats des bêtes féroces -, il y avoit dans le Cirque des places deftinées pour les Joueurs d'inllrumens, qui donnoient de l'émulation aux Combattans, ôc qui marquaient par leurs fanfares les victoires des Vainqueurs ; le Cirque étoit drefTé en amphithéâtre, il tenoit des deux à trois cens mille perfonnes, & le fpe&acle duroit tout un jour ; toutes les places y étoient libres , avant la dénomination des Empereurs, qui les diftinguerent peur les principaux de Rome , & les Che- valiers Romains -, celles du Sénat étoient marquées par des carreaux, ou des banquettes ; les Confuls & les Sénateurs avoient des chapeaux de fleurs fur leurs têtes , leurs robes é- toient bordées de pourpre 6V d'her-

ET DE SIS EFFETS. 2 01

mine pour honorer les fpe&acles , fuivant i'inftitution faite en 515 de la fondation de Rome , fous le Con- fulat de Claudius Centho.

Pendant la neuvaine que duroient les grands Jeux, le peuple paiïbit une partie des nuits à célébrer Us Fêtes Saturnales > qui confiftoient dans les feftins , les mafcarades , & à courir les rues dans Rome, avec des flam- beaux ; Ton alloit dans tous les lieux de débauche, avec une liberté pu- blique & licentieufe , fans qu'il y ar- rivât de defordres apparens j mais il s'y en glifTa dans la fuite de fi hor- ribles, que l'on fut obligé de les fup- primer, au raport de Tite-Live dans Thiftoire de Publius ; cependant c'en; de ces Fèces Saturnales , que nous te- nons les réjouilTances du Carnaval , avec la différence néanmoins qu'en France les valets n'ont pas la même liberté que ceux des Romains , qui durant ce tems^là, étoient égaux à leurs Maures.

Jufte-Lipfe, dans fou Traité des Saturnales , dit qu'elles ne duroient que trois femaines dans le mois de

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102 Histoire de la Musique, Décembre ; qu'on les celebroit tous les ans à Rome, en l'honneur de Sa- turne dès le tems des premiers Rois , Se qu'elles font auflï anciennes que les Matronales.

Après que Manlius eut donné le fpe&acle du Cirque, il donna celui des Comédies Se des concerts com- pofez de toutes (cites d'ïnilrumens ôc de voix ; enfuite les Farceurs pa- rurent fur les théâtres publics, dont les amphithéâtres tenoient autant de peuple, qu'il y en avoit aux jeux du Cirque; ces fpeclacles duroient fou- vent jofqu'à la nuit , il falloit allu- mer des flambeaux -y le lendemain la fête recommençoit par des feftins pu* blics , fur des tables que l'en drefïbit dans tous les carrefours de Rome 5 elles étoient fervies très - propre- ment, av,ec des concerts qui accom- pagnoient le repas :tout cela fe paf- ïbit fans eonfudon, y ayant des corps de garde placez à propos, pour em- pêcher le defordre.

Ainii pendant la neuvaine , on donnoit alternativement des fêtes au peuple de Rome , pour la célébration

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des grands jeux j le dernier jour étoit employé a aller dans les Temples en cérémonie, rendre grâces aux Dieux pour les vi&oires remportées fur les ennemis de la Republique.

Les fèces des Sacrifices fe celé* broient avec des pompes & des ma- gnificences (urprenantes , la Mufi- que y paroi (T'oit dans toute fa fplen- deur fous les ordres du grand Pon- tife, qui étoit la première dignité de Rome , qui. regardoit la Religion ; elle fut depuis annexée à la qualité des Empereurs Romains, pour avoir un pouvoir abfolu fur toutes chofes. Jules Cefar fut revêtu de cette gran- de dignité l'an 705 de la fondation de Rome.

Outre les fpedacles que les Triom- phateurs, ou les Confuls donnoienc au peuple Romain , le Sénat en don- noit auffî quelquefois ; les plus an- ciens étoient les Jeux Séculaires , in* ftituez par Valerius Publicola, qui fe celebroient tous les cent ans,a comp- ter dès la fondation de Rome , en l'honneur d'Apollon ôc de Diane ; c'eft pour cela que le Héraut avoit

204 Histoire delà Musique, coutume de crier, en les annonçant par la Ville. Peuples, venez, vïir Us Jâptx qu'aucun de vous na encsre vu & ne verra jamais ; il y en avoir d'autres appeliez Flettriaux , en l'honneur de Cerès , pour obtenir des récoltes abondances , & une infinité d'autres de même fondation, en l'honneur d'autres Divinitez ; des jeux funè- bres appeliez Ijlhmïcjues Se Orccnfes , à la mémoire des Morts, inftituez autant par (uperftition que par politi- que , pour amufer le peuple pendant les quatre cens foixante années que Rome le conferva en Republique, depuis le règne de Tarquin ie Super- be, jufqu'à la domination de Jules Cefar.

Ce fut alors que la Republique Romaine perdit fa liberté , & le reûe de fa première vertu, en tombant fous la domination de Jules Cefar; les Guerres civiles l'avoient h* fort afîbiblies, qu'il lui étoit ïmpcfîible de fe foûtenir. Les vi&oires que ce Conquérant remporta, fur tout celle de Pharfale, contre Pompée, à fon retour des conquêtes des Gaules ,

ET 91 SES I ! FI T S. lOJ

l'cleverent a la Di&ature perpétuel- le, qui lui donna toute l'autorité d'un Souverain , il fongea Sabord a s'at- tirer la bienveillance du peuple par des fpeétacles publics j Suétone dit que ce Dictateur donna dans Rome des feflins publics, pour lefquels il y eut jufqu'a vingt - deux mille ta- bles dreffées Se fervies dans les rues en un même jour , & dont les princi- pales étoient accompagnées de Mu- fique ; il ajoute qu'une autre fois, il fit repiefenter des Comédies fur des théâtres dans chaque quartier de la Ville , en toutes fortes de Langues, du moins en celle des Nattons qui ctoient lous la domination de fEm- pire Rom; in ; ce fut encore lui qui donna le premier fpeclacle d'un com- bat naval de trente vailteaux à trois rangs, fur le Lac de Fichin pics de Rome, au retour duquel il avoitfait contraire des amphithéâtres , capa- bles de tenir des millions d'ames ; pareeque le bruit de ces grande» fê- tes avoir attiré des peuples de tou- tes les Nations , l'on fut même obli- gé d'en faire camper une partie fous

1©6 HlSTOIKl DE LA MUSIQUE,

des tentes ôc des pavillons , placez aux environs de Rome j la prelTe s'y trouva grande , qu'une partie du peuple y fat étoufFé j il fe trouvoit dans ce tems-là à Rome, dix à dpu- me mille, tant Muliciens que Mu- fîciennes , & Joueurs à 'mftrumens , tous occupez aux représentations de ces grands ôc magnifiques Specta- cles ; mais toutes ces grandes dé- penfes étoient plutôt un effet de la politique de Cefar, que de fa pro- digalité ; cependant elles ne purent jamais lui attirer l'amitié des Séna- teurs, dont il avoit ufurpé l'autorité, puifqu'ils confpirerent contre lui, pour l'aiTaiîiner en plein Sénat l'an 709 de la fondation de Rome êc le cinquante- fixiéme de fon âge. La pompe funèbre de Jules Cefar dura deux jours, les Mudciens jetterent fur fon Bûcher tous leurs Infrrumens, & les Trophées dont on avoit cou- tume d'embellir les théâtres , pour marquer la defolation publique de fon aiTafïïnat -, il avoit régné trois ans au plus en qualité de Dictateur per- pétuel, ce qui le fit regarder comme

ET DE SES EEEETS. ICJ

un Tiran de la liberté Romaine , par ceux qui aimoîent encore l'Etat po- pulaire , ou qui expient jaloux de Ton élévation. Suétone & Fiata-sque.

Quoique le rtgne d'Augutte qui fucceda a Jules Cefar ait été encore plus floriiTant pour les beaux Arts , je ne vois pas que la Muiique s'y Toit fort diftinguée , fi ce n'eft qu'il pa- roît que les Muficiens de ce tems-Ià étoient la plupart Comédiens ; les Comédies étoient jouées avec des In- termèdes, a peu près comme nous voyons celles de Pourceaugnac , & du Bourgeois Gentilhomme , dont l'excellent Lully a joué les premiers roiies devant le Roi à Chambord en 1669.

Ce fut aufîi du tems d'Augufle, que Ton commença d'introduire le battement des mains , & les fifflets dans hs fpe$acles , pour marquer les applaudiiremens,ou le niépris des fpectateurs , dans les beaux & les mauvais endroits des pièces.

Les Muiiciens, ni les Comédiens n'ofoient reprefenter fur le théâtre, ni concerts , ni Comédies , qu'aupa-

2o8 Histoihi ©i la Musique ; ra varie elles n'eufTentété approuvées par les Ediles , qui avoient l'infpe- €tiondes fpe6fcacles. Auguftefe plai- foit plus volontiers à voir les jeux des Tournois à la Troyenne , & les courfes des chariots à la manière des Amazones , que les jeux de théâtre , à moins qu'il n'y eût d'excellens Acteurs ; il avoit lui - même rempli les premiers rolles dans des Comé- dies qu'il avoit fait reprefenter fur les théâtres ; il y menoit ordinaire- ment un petit garçon qui ne peloic pas plus de feize à dix fept livres, qui charmoit tout le monde , tant par l'excellence de fa voix , que par la rareté de fa figure, &c qui étoit regardé comme un prodige de na- ture.

Il établit des prix pour ceux qui fe diftinguoient dans tous les-fpecfca- cles , il fit encore un règlement pour les places des amphithéâtres , tant pour le Sénat, que pour le Sacerdo- ce, les Veitales, les Chevaliers Ro- mains & les Ambaffadeuis, le refte des places étoit abandonné à la dif- cretion du peuple, ôc au premier

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venu, Ci ce n'eft qu'aux Jeux des Gladiateurs & des Athlètes, il vou- loir que les hommes & les femmes futïent placez feparément ; il fit ré- tablir l'amphithéâtre de Pompée , qui contenoit cinq ou fix cens mille âmes ; iT étoit auiTi afïïdu qu'atten- tif à tous les fpectacles, parcequ'il croyoit que l'indifFrence avec la- quelle Jules Celar les voyoït , avoit contribué a lui attirer la jaloufîe cV la haine du Sénat.-, au (fi étoit~il le pre- mier à battre des mains , pour mar- quer aux Acteurs, S: au peuple fa fatisfaction ; mais il ne le faiioit que fort à propos.

Quoiqu'Augufte eût la voix aflez belle , il ne prit un Mufïcicn dans [on âge avancé , que pour reglei les tons de fa voix, &: donner plus de grâce à fes harangues, les amis particu- liers lui ayant fait entendre qu*il n'é- toit pas de fa Grandeur de fe per- fectionner dans cet Art , comme Ca- ligula, Néron , Se bien d'autres Em- pereurs ont fait depuis.

Suétone allure que cet Empereur avoit une parfaite connoiiïance des

no Histoire de la Musique, Arts libéraux, & qu'il donna jufqu'à vingt- quatre fpectacles publics en fon nom ; le triomphe il parut à fon retour de la conquête d'Egypte, fut un des plus magnifiques , par les dépouilles & les trefors qu'il rappor- toit d'Alexandrie -, il donna encore vingt trois fpectacles pour les Con- fuls , qui n'étoient pas en état de fournir à cette dépenfe *, enfin il fut fi magnifique , qu'il donna plus de cent millions d'écus à Tes foldats pen- dant fon règne , outre la paye ordi- naire.

Tous les fpe&acles, & les jeux ex- traordinaires qu'il donna au peuple, n'empêchèrent pas le Sénat de faire reprefenter annuellement ceux qu'il avoit fondez^de forte que l'on voyoic dans Rome , du moins tous les quin- ze jours , quelque fête confiderable donnée gratuitement au peuple.

Le jour de fa mort il demanda à fes amis , s'il n'avoit pas bien joue fon perfonnage pendant fon règne, ôc les pria de battre des mains, pour marquer leurs applaudiflemens ; il mourut à Voles près de Naples , le

HT DE S- E-S EFFETS. 111

Sénat & tout ce qu'il y avoit de gens confiderables dans Rome, vinrent recevoir Ton corps en ordre de pom- pe funèbre au-delà des portes de Rome , toute la jeunefle de l'un & de l'autre fexe chanta des Vers lugu- bres à fa louange en figne de deuil, l'on exécuta avec beaucoup de ma- gnificence tout ce qu'il avoit or- donné pour Tes funérailles.

Son règne fut de cinquante- Cix ans, fuivant Suétone, Ôc Plutarque; Tertullien & Théophile lui en don- nent cinquante-huit; l'on peut dire que les Muficiens perdirent beau- coup à fa mort, puifqu'ils tombè- rent fous le règne de Tibère , qui fe fit un plaifir de prendre le contre- pied de fon Predeceiîeur, & de né- gliger tout ce qu'il avoit aimé.

Ainfi fon règne fut peu favorable à ceux qui pratiquoient les Arts li- béraux, 8c encore moins aux Mufi- ciens ; il crut que les Romains qui avoient commencé de s'accoutumer, au joug , n'avoient plus befoin de cet apas pour s'y foûmettre ; il re- forma toutes les grandes dépenfes

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in Histoire delà Musique, qui fe faifoient pour les reprefenta- tions des fpecracles publics, fit re- trancher les appointemens des Mil- iciens ôc des Comédiens , employa (on autorité pour reformer le luxe, que la tranquillité du règne de Ton Pred?ce(Teur avoit rendu exceiïif ; il régla la dépenfe d^s fefôirts publics, &. celle des particuliers, comme celle des ameublemens ; il donna ordre aux Ediles de faire fermer tous les cabarets , 6V défendit aux Traiteurs & aux Pati (Tiers de rien faire de fu- perrlus ; il n'étoit pas même permis d'embraifrr fon ami dans les rues quand on le rencontroit , ni de pleu- rer fa mort quand il avoit été tué par l'ordre de Tibère; ainft Rome qui avoit pa(îé avant ce tems -là , pour être le centre de ta volupté , devint un fejour ennuyeux & lan- guitïant :ce ne fut pas tant par prin- cipe de vertu qu'il s'attacha à cette reforme , que par" avarice , l'on en jugea par un feftin public qu'il don- na dans Rome, qui ne fut que de mille tables, dont on eut foin le pre- mier jour, de ferrer les reftes pour

IT DE SES EFFETS. 2l£

fervir pendant les deux autres que la fête devoit durer. Il étoit fort atta- ché a l'Aftroiogie, & aflfez fçavant dans les belles Lettres ; mais comme il étoit également cruel . avare & dif- nmulé, il s'étoit mis en tête de s'a- proprier tous les biens des plus puif- fans de Rome, en leur lufcitant par de faux témoins, des crimes qu'ils n'avoient jamais commis, fur- tout depuis qu'il eut quitté Rome, pour vivre plus en fureté , & avec p!us de liberté dans l'ifle de Caprée \ le fup- plice de Sej-in fon favori , fût moins à regard de Tibère, une punition de fes crimes, qu'une fuite du defïein qu'il avoit formé de s'emparer de fes biens qui montoient a des fommes immenfes, & de ceux de tous les pa- rens &amis de cet accufé,dont plus de mille furent facrifiez en un feul jour ; de forte que l'Empereur ama(Ta des monts d'or par cette cruelle exé- cution.

Il étoit Ci fevere, que pour un meurtre qui arriva un jour à la Co- médie dans Rome, il envoya en exil perpétuel tous les Comédiens, les

1T4 Histoire de la Musique, Muficiens qui avoient joué îa pièce, & une partie des fpectateurs, les uns pour avoir eu part à la querc-iie , ÔC d'autres pour n'avoir pas empêché le defordre j il vouloir que l'on rue fort pailible & attentif aux fpe&a- cles ; il ne tint pas à lui de faire mou- rir tous les Magiftrats qui avoient eu l'intpeétion d'un fpectacle public qui fe fit à Fidene , petite ville près de Rome, il y eut plus de vingt mille perfonnes écralees parla ruine de l'amphithéâtre qui manqua pour avoir été trop chargé, voulant ren- dre les Infpedteurs des Jeux public; garants de cet événement malheu- reux ; le Sénat obtint leur grâce avec peine , pareeque leur mort empor- toit la confifcation des biens pour Tibère ; cependant malgré cette grande f everité , il ètoit le plus dé- bauché des Romains. Il inftitua une nouvelle Charge d'Inventeurs des Plaifîrs , dont il gratifia un Chevaliei Romani nommé Cefomtts Prifca, hom. me très- voluptueux qui employoil tout (on fçavoir à (atisfahe les paf- fîons de cet Empereur dans les de-

ET DE SES EFEE T S. lîf

bauches les plus outrées-, la Mufîque ne manquent pas fans cloute dans fon lût de Caprée , puifqu'elle eft la bafe de tous les divertiifemens $ il mourut à Mifene dans la belle mai- fon de plaifance d> Lucullus , âgé de foixante-dix hait ans , api es en avoir régné vingt trois ; on croit que fa mort ne fut pas naturelle^ Ôc qu'il fut étouffé pendant un grand accès de fièvre par l'ordre de Caïus Cali- gula ion neveu & ion fuccefï* -m, qui l'avoit accompagné dans ce voyage. Suétone remarque que pendant fa vie il ne fie la fortune que de trois

Pou quatre fameux Buveurs. La joye que le Peuple Romain re- çut de fa morty fut ii grande, qu'il n'y eut pas jufqu'aux en fans qui ne battiiîent des mains , les autres im-. ploroientles Dieux infernaux , pour ne donner place à l'ame de Tibère, que parmi les reprouvez i cependant les foldats ne laiiTerent pas d'appor- ter fon corps à Rome, on ,'ui fît des funérailles aflTez fuperbes.

Caïus Caligula fucceda à l'Empire à l'âge de vingt- cinq ans, comme

Histoire de la Musical , héritier préfomptif ; il étoit petit neveu de Tibère & hls de Germa- meus ; le peuple en fut ravi , dans l'efperance que les vertus du père l'emporteroient dans i'ame de Cali- gala , fur les vices de Tibère qui n'é- toir que Ton grand oncle ; Ton avène- ment fembla remplir Rome de tou- tes fortes de félicitez, il remit l'Em- pire fur le même pied qu'il étoit du temps d'Augufte ; il fit oublier en moins d'une année, toutes les perfe- curons que Tibère avoit exercées dans Rome pendant un long règne; mais cela ne dura guéres , car dès la féconde année de fon règne , cette Ville fe trouva encore plus perfecu. tée qu'elle n'avoit été auparavant, par la férocité de l'humeur de Cali- gula, Ôc pour foûtenir la plus excef- fîve dépenfe qu'on ait jamais vu faire par les Empereurs Romains ; il éroit auiTi prodigue que Tibère avoir été avare à putfqu'il dépenfa en deux ans pour des fpeclacies publics, & en fê- tes particulières, les foixante treize millions d'or, c'eft-à-dire fept cens trente millions de notre monnoye,

que

ET DE SES E P F E T S. H7

que Tibère avoir amafïè en vingt- fix ans, par des voyes très.odieules, fans compter le revenu ordinaire du Domaine des Empereurs ; mais les Muficiens, les Comédiens, & cous ceux qui faifoient profeffion de pa- roîcre aux jeux publics pour le di- vertifTement du peuple Romain , en eurent leur bonne part ; Ton y peut ajouter les Ouvriers employez aux embeiliiTemens des théâtres, & des amphithéâtres , pendant que ceux qui paiioient pour être riches étoient dépouillez de leurs biens , pour fur- venir aux dépenfes exceinves de cet Empereur ; ion règne finit au bout de trois ans dix mois au grand con- tentemenc de l'Empire.

. Caligula avoit eu la folie de vou- loir palier pour une Divinité j il ne vouloit rien faire en public qui ne parût extraordinaire, pour faire voir ( difoit-il ) au peuple Romain, juf- qu'où pouvoit aller la grandeur & la puiffance d'un Empereur j il com- mença par donner une liberté publi-

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que dans Rome pour tous les plaif comme il avoic une connoiflance

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21$ Histoire di la Musique, parfaite des beaux Arts, Se la voix belle, il aima fore la Muiique, 6c par conséquent ceux qui exctlloient dans cet Art , aufïl bien que les Co- médiens -, il aimoit à faire voir en particulier combien il excelloir dans l'un & dans l'autre, il n'eibit le faire en public, à caufe de l'entêtement de fa Divinité ; tous les Auteurs qui en ont parlé, difent qu'il excelioit dans tous les exercices , dont l'ufage étoit alors connu.

Il n'avoit pas moins de connoif- fance des belles Lettres ; mais il é- toit d'un goût bizare & capricieux; il propofa au Sénat de faire condam- ner au feu les ouvrages d'Homère, par deux raifons ; la première , ( di. foit-il) qu'ils étoient remplis de fa- bles ; la féconde, que Platon avoir bien eu le pouvoir de les faire banir d'Athènes, comme étant contraires aux bonnes mœurs \ mais il n'en put venir à bout, le Sénat les foûtinc malgré lui en faveur de l'Antiquité, 6c par l'eftime qu'en font les gens de Lettres ; quoiqu'à les examiner à fonds , on trouve que ce n'en: qu'un

ET DE SES EFFETS. 2 1^

ouvrage inventé par la fécondité de l'imagination de ce Poece , lequel néanmoins renferme dans ces fictions un fens moral qui peut même nous fervir de règle, pour nous conduire dans tous les états de la vie : cela parou par les fages préceptes qu'il fait donner à Achile par Chiron fon Gouverneur ', fbï î'ufage qu'un grand Prince, ou un Héros doit faire de la Mufique j on y trouve des confeils falutaires pour tout le monde, quoi- qu'à la vérité fous un fens allégori- que, qui étoit la manière d'écrire des Philofophes de l'Antiquité , 8c qui ne fe conçoit pas fans y faire une ferieufe attention.

Suétone rapporte encore que Ca- ligula ayant la folie de palier pour Apollon, il fe fie dorer la barbe pour avoir plus de relîemblance à cette prétendue Divinité ; il fe faifoit ha- biller de même , ôc dans un repas ou une efpece de fête qu'il donna, il voulut traiter toutes les Divinitez raflTemblées comme fur le Parnaffe, le feftm fut compofé de vingt qua- tre fervices, par ordre alphabétique ;

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210 Histoire de la Musique, le premier, de toutes foi tes d'ani- maux 5c de metz , dont ie nom com- mençait par la lettre A , ie fécond dont le nom commence par un B , ainfî du relie ; Se comme Apollon eft réputé le D;eu de la Musqué , il y avoit aufïï un changement de con- cert, de voix, & de tous les Inilru- mens imaginables à chaque fervice -y il voulut paroître une autre fois en triomphe comme Neptune, fur les côtes de la Mer près de Rome ; pour cet efret, il fit conftruire des fréga- tes de bois de cèdre, dont les poupes croient toutes garnies de marquete- rie , de pierreries, & de perles en- chafiees dans de l'or ôc de l'argent j les voiles en étoient extrêmement riches de différentes couleurs, cVdes plus éclatantes ; tous les cordages étoient de ioye , les Matelots ma- gnifiquement vêtus, quelques-uns reflèmbloient à des Dieux Marins , il y avoit fur les tiîlacs des galleries de treilles de vignes, & de grands orangers , ou citroniers , dans des caiiîes dorées ; le tout pour former des ailées à fe promener à l'ombre

ET DE SIS EEEETS. 221

& pouvoir goûter le frais, en voyant les côtes &" la campagne des envi- rons de Rome : il y avoit aufïï des étuves, il n'étoit entré que des eaux odoriférantes, l'on y fervoitles repas les plus délicieux accompagnez d'une Mufique la plus agréable, Se la plus parfaite que l'on pût alors entendre ; il paffoit les jours & les nuits dans ces fortes de divertifTe- mens avec les MaitreflTes & fes Fa- voris , tous les Muiîciens & les in- ftrumens de Muîique étoient de la dernière magnificence , & convena- ble à l'apareil d'un triomphe du Dieu des Mers comme Neptune.

Il donna une autre fois un fpeéta- cle public dans le Cirque compofé de mille Gladiateurs, de cent Athlè- tes', de courfes de chariots & de bê- tes féroces , qu'il faifoit combattre contre des criminels ; tou>e l'arène du parterre étoit couverte de pou.» dre d'or, déporte que l'on ne voyoit pas le fable ; tous les avant- corps de l'amphithéâtre étoient peints de ver- millon qui étoit plus cher que l'or; & pour éviter les ardeurs du Soleil,

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2ii Histoire de Musique, il étoic tendu d'une toile peinte de couleur celefte parfemé d'étoiles d'or , le fpectacle étoit animé par des Joueurs déroutes fortes d'inftru- mens $ de forte que rien ne man- quoit à la magnificence de ces repre- fentations, il donna cinquante mille écus à un particulier pour avoir bien conduit [on chariot dans les tours du Cirque.

Sa plus grande application ne con- fîftoit qu'à faire des dépenfes extra- ordinaires , car il donna un feftin au Sénat, dont la plupart des mets c- toient d'or , Se même jufqu'au pain , il faifoit diftbudre des peries dans du vin, comme Cleopatre ; un jour il donna un régal à tous les Con- fuls , Sénateurs , Chevaliers Ro- mains , & à toute la Nobiefîe de Rome , jufqu'à leurs enfans qui fu- rent aufîi de la felte , &c après le re- pas il fit diftribuer des prefens à tous les Conviez , fuivant leurs dignitez, leur nailTance , Se leur âge, ce qui lui coûta des fommes immenfes, les Muficiens ne furent pas oubliez, fur- tout fon Favori Neftor, aufïi excel-

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lent Mulicien que bon Paritswirne , pour lequel il failoic avoir une grande attention, quand il paroif- foit fur le théâtre , que fi quelqu'un l'interrompait , il écoic fàftigé fur le champ de la propre main de Call- g'da. Les dépenfcs les plus fuperflues & les plus extraordinaires ne pou- voient remplie (a vanité, il vit au/ïï bien tôt la fin de fes grands trefors, ôc rut privé du p la i 11 r qu'il prenoit quelquefois de fe rouler fur des mon- ceaux d'or; de forte qu'il falutpour continuer fes folles dépenfes, faire quantité de balfelîes & de vexations indignes d'un Empereur Romain, les- quelles formèrent bien-tôt des con- fpirations contre fa vie -, mais au lieu de reformer la Mufique , il fit encore venir d'Afie, une grande troupe de Mufîciens, de Comédiens & de Dm» feurs, pour donner un nouveau fpe- d:acle à la manière de ces pays la ; il les fie loger dans fon Palais pour les mieux inftruire en (a prefence , ayant une connoiflance parfaite de tous les Arts , dans lefquels il excel- loit pour l'exécution > ce qui fut en partie caufe de fa perte, puifque le

1 214 Histoire delà Musique,

23 Janvier, Tan 37 de Jefus-Chrift , un nommé Càffms Ton Capitaine des Gardes , lui donna un grand coup d'épée fût le col , pendant qu'il affi- ftoic a une répétition de ces Mud- ciens Afiatiques , dans une falle de Ton Palais ; il étoit âgé de vingt neuf ans , il en avoir régné trois & dix mois , dans une profefTion qui n'eut jamais d'égale \ il étoit aufîi furieux qu'extravagant, ayant toujours vou- lu palier pour une Divinité, comme je 1 ai déjà dit.

Son corps fut porté fecretementaux jardins de Lamians,& brûlé à la hâte, fans cérémonie. Le Sénat après farnorc voulut reprendre l'ancien Gouver- nement , Se rétablir la Republique ; mais quelques foldats ayant enlevé du Palais Claudius, oncle de Caliguia, qui s'étoit caché derrière une tapif- feric,le portèrent dans le Camp,& le proclamèrent Empereur, moyen- nant quinze grands Sefterces qu'il promit à chacun ; de forte qu'il fut le premier Empereur qui s'acquit la fidélité des gens de Guerre pour de l'argent. Voyel^Siietone , . Aurelim V ici or 9 & les Anndss de Tacite.

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Claudius fut donc élevé à l'Em- pire, à l'âge de cinquante ans, par le fuffràge des gens de Guerre, ce qui obligea le Sénat de le reconoîcre aufîï pour Cefar ; il Te trouva apuyé de l'autorité de Mefraline fa troisiè- me femme , &" la plus débauchée de toutes les Romaines ; elle fçut fi bien proficer de fa iimplicicé, & du pen- chant qu'il avoit pour les plaidrs, que l'Empire Romain étoit plus gou- verné par cette femme que par fou mari; Claudius tâcjia cependant de s'attirer la bienveillance du Peuple Romain, par les reprefentations des fpe&acles publics , Se fans attendre l'année ordinaire, il donna celui des grands jeux appeliez Séculaires > il établit aufïï des prix pour la Mufî- que , qu'il diftribuoit lui-même, Se des couronnes à ceux à qui les fen- tences des Juges les avoient defti- nées ; il aplaudiiïblt le premier aux Mufîciens & aux Comédiens, oour qui le peuple s'étoit déclaré en bat- tant des mains de même, quand Poc- cafîon s'en prefentoit ; mais !on plus grand plaifir étoit d'ailifter aux fpè-

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2i£ Histoire de la Musique, ttacles tragiques , & de voir la fcene eniangiantée ^ il fe privoit de man- ger, pour voir plus long-temps les combats des Gladiateurs, des gens d'Efcrimejdes Thedaliens, qui com- battoient contre des Taureaux fau- vageSj, ôc des criminels contre des bêtes féroces, tous ces fpe&acles fe donnoient fort fouvent dans le Cir- que i ils étoienc plus du goût de Claudius, que ceux du théâtre.

11 donna entr'autres un combat na* val fur le Lac Fuchin près de Rome , compofé de vingt- quatre Galères à d?ux rangs, armées de fept à huit mille hommes de chaque côté, les uns Siciliens , les autres Rodiens ; quoique ces peuples fufïent égale- ment fous la domination des Ro- mains , il voulut qu'ils combattirent comme ennemis , pour honorer les fpecrateurs qui étoient placez à l'en- tour du Lac ; mais ce qui parut de plus furprenant, ce fut un grand Triton d'argent , ou fait apparemment de bois argenté, ayant une grande con- que à la main qui fortit du fonds du Lac entre les deux Flottes ; il fonna

IT DE SES EFFETS. 11J

les fanfares , pour donner le figne du combat, avec un fon aufîî harmo- nieux , tel que l'auroient pu faire quatre trompettes bien d'accord , il refta fur la furface de la Mer juf- qu'à ce que le combat fut fini , Ton- nant des fanfares pour la Flou? qui demeura victorieufe : ce Triton ren- tra enftrte Jans le fonds du Lac d"oi\ il éroit forti, comme li c'eût été un Dieu marin.

Claudius ne fe contenta pas de donner au peuple les divertiffemens ordinaires, il en inventa de nouveaux-, entr'autres la Dédicace théâtre de Pompée, qu'il fie rebâtir coût à neuf à fes dépens , fut un des plus b aux fpedbcles, & 1? plus rempli de tout ce qui peut convenir à ia magnifi- cence des jeux de théâtre; mais quand il entra dans fon Tribunal 5 qjâ'ii "tè voit fait dreiïer dans l'^rcheftre pour mieux voir le fpc&acle , jpe rfonne ne fe leva de fa place pour le faluer, ni pour i'aplaudirde fa gen profité ; ce- pendant il ne kifïa pas de donner le fignal pour commencer , comme fi on lui avoit rendu l'honneur qui lui

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nS Histoire de la Musique , étoit dû, ce qui fit voir publiquement le mépris que l'on faifoit de fa per- fonne & de toutes Tes dépenfes.

Il donna encore au peuple un fpe- cliacle extraordinaire , qui fut un af. faut en forme de guerre , Se de pnfe de Ville, qu'il avoit fait conflruire dans le champ de Mars, les Rois de la Grande Bretagne, & d'autres avoient chacun leur attaque à dé- fendre. Claudius en étoitle General, vêtu de fa cotte-d'armes Impériale, comme devant une place de Guerre, accompagné de tous les inftrumens de Muïique Militaires, pour animer les foldats à monter à l'aiîaut , toutes les formalitez furent obfer- vées pour la prife de la Ville , quoi- qu'artificelle.

Cet Empereur fe plaifoit aufîi à donner fouvent des feltins fort fomp*- tueux d^ns fon Palais, aux Principaux de Rome, dont le nombre ctoit fou- vent d: ciiq cens perfonnes. Ces fortes de fêtes étoitnt auffi en bellies par dés accompagnemens de la plus excellente Muiique qui fut dans ce tëms-là dans Rome.

ET D E SES IFfITS. 21 J

On inettoit devant chaque convié une coupe d'or, poui boire -y il arriva qu'un jour un Chevalier Romain em- porta la lienne, de forte qu'après le repas , celui qui avoit foin de ferrer les coupes , en avertit Claudius , qui lui dit de n'en rien dire ; quelques jours après il donna encore une pa- reille fete, il en pria celui qui avoit dérobé la coupe d'or ; mais quand il fut a table, l'Empereur ordonna qu'on mît devant ce Chevalier uit goblet de terre, au lieu que les au- tres avoient la coupe d'or, ce qui fît juger que c'étoit lui qui avoit fait le vol au repas précèdent.

Cependant toutes les grandes dé- p enfes que Claudius put faire, ne pa- rent lui attirer reftime,ni l'amitié des Romains ; pareequ'il étoit fi fujet au vin, que rarement ilfortoit de table fans être yvre , de forte qu'il en avoir presque perdu la mémoire, & qu'il fe la (Toit gouverner par fa femme Meflaline, &c par Narcide &: Pofides* fes affranchis.

Mais ce qui augmenta encore le mépris que le Sénat avoit pour lui ,

230 Histoire delà Musique, ce fut le mariage que Meflahne ofa faire publiquement dans Rome avec SiVm (on Amant, pendant que Clau- dius étoit àOilie, fa maifon de plai- fance à quatre lieues de Rome , & en parfaite fantc 5 ce qui eft de plus furprenant, c'eft que lui- même y avoit confenti, & (igné les Lettres pour la coiïititution de la dot, étant apparemment yvre.

De forte que Meiîalinc pour ren- dre fes noces plus éclatantes , fit cé- lébrer dans fon Palais la fête des Bac- canales , qui étoit celle de la débau- che des Anciens.

Tacite dans fes Annales , dit que ce mariage s'accompnt avec toutes les cérémonies reqmfes, facnfices , témoins , aufpices , feftins magnifi- ques , & toutes les libertez de la femme & du mari 8c qu'elle célé- bra encore d.-ms fon Pa'ais la fête à?s Vendanges, fuivie d'une troupe de Bacchantes couvertes de peaux de Titres, & de Panthères, ayant les cheveux épars , le cothurne au nied% & le thvrfe - main , Silius étant à côté d'elle, entortillé de lierre, fau-

ÏT DE SES EFFETS. 231

tant avec fes Mena des 5 &c faifant toutes les poftures d'un Racchus, tan- dis que de tous cotez coûtaient des ruifleaux de vin doux qui fortoit des cuves, que Ton avoit placé dans les jardins, ck qui fe difptrfoit dans des boiquets, il y avoir des Sa- tyres & des Faunes qui jcuoient de la flûte , & les Bacchantes jouant des timbales, & d autres inftiumens con- venables à de pareilles fêtes, & dont l'accoropliffement confifie dans les plus grandes débauches; mais dans le tems que chacun jouillbit des I:ber- tez de cette fête, un nommé Viftms VaUm^ ami de Silius, étant monté fur un arbre, dit qu'il voyoit un ora- ge venir du côté d'Odie qui troubla toute la fête ; car lès affranchis de Claudius ayant éré avertis de ce de- fordre, firent revenir l'Empereur de fon aflbupifîement , & l'obligèrent d^ courir à la vengeance j il partit aufTi-tôtd'OfHe, & vint à Rome avec toute fa garde. Me(Taline étoit allée fe réfugier dan? ie jardin de Luculltts avec Ç2 mère, qui l'exrrortoità répa- rer fa faute , par un poignard qu'elle

i$i Histoire de la MtJSK^ui,

lui prefenta , donc elle n'eut pas la force de fe frapper ; de force que le Tribun l'ayant trouvée dans ce jardin , il lui paila ton épée au travers du corps , & tous ceux qui avoient été de la fêce furenc exécu- tez par ordre de l'Empereur -, on vint lui dire la mort de Meffaline étant à table, il l'aprit fans s'enquérir com- ment elle étoit morte, il demanda feulement à boire, &c continua fon repas à l'ordinaire , fans donner au- cune marque de joye ni de triiteiTè ; le Sénat pour reparer l'honneur de l'Empereur, fit abattre toutes les fta- tues deMefîalinequiétoient dreilées dans Rome.

La complexion de Claudiusne lui permit pas de relier long tems fans femme ; quoiqu'il eût des Maîtreffes, il époufa Agnppinefa nièce, quoi- que contre les Loix ; elle étoit veuve de Domains , & mère de Néron qui fucceda a l'Empire par les artifices de fa mère, laquelle, dit-on, era- poifonna Claudius avec des champi- gnons , après qu'il eut adopté Néron pour le faire régner après lui ; de

ET DE SES EFFETS. 2.55

force qu'après fa mort , elie fe vie enfemble mère, feeur, femme & fille d'Empereur, ce qui lui Et prendre une grande autorité dans le eouver- nement de Rome.

La mort d* Claudius fut tenue fecrete , jufqu'àce qu'Agrippine eût pris les melures neceiîaires pour l'é- lection de Nerori ; elle fit venir ex- près les Mufîciens & Comédiens dans le Palais pour abufer le peuple (ur la mort de Claudio s , qui ne fut décla- rée que le 3. Octobre ; il étoit âgé de foixantè- quatre ans, il en avoic régné quatorze ; le Sénat lui défera les honneurs divins, <3c fés funérail- les furent faites avec toute lafolem- nité & tout: la pompe polîible, -de forte que Néron parvint à l'Empire à l'âge de dix-fept a dix- huit ans, après la mort de Claudius.

Si ce Prince avbit eu autant de paf- fïon pour la Guerre, qu'il en eut pour

' la Mufiqùe, il auroiî fans doute fur- paiTé tous les Héros du Monde ; il

'ne fut pas plutôt parvenu à l'Empi- re, que fon plus grand foin fut de fe perfectionner dans l'Art de biea

234 HlSTÔIUBDE IA MUSIQUE,

chanter , de bien jouer de la harpe , & de la lyre , pour être en état de difputer fur les théâtres contre les Maîtres de l'Art, les prix qui fe di- ftnbuoient aux fpe&acles publics ; il s'en fit un (1 grand honneur, qu'il ne dédaigna pas même d'aller folli- citer les Juges prepofez àladiftribu- tion des prix , pour tâcher d'avoir leurs fufTrages, de même qu'un (im- pie Muficien l'auroit pu faire.

Il avoit appris dès fa jeunefle les élemens de la Mufique ^ il commença fon règne par faire venir loger dans fon Palais un nommé Terpus , qui paflbit pour le meilleur Muficien, Se le plus fameux Joueur de harpe Se de lyre de fon tems ; il pafloit avec lui les jours Se les nuits à jouer de ces Inftrumens, & à fe fortifier dans la belle méthode du chant ; il prit tou- tes les précautions imaginables, pour parvenir à l'excellence de l'exécution de la Mufique, jufqu'à fe priver de manger de tout ce qui pou voit être contraire à la voix, & à fe fervir de tout ce qui pouvoit l'embellir, en mangeant fort fouvent des falades

ET D! SIS EfFETS. 255

aux porreaux à l'huile & fans pain, pour rendre fa voix plus flexible; il s'appliqua une plaque de plomb à cru fur l'eftomach pour la fortifier, fuivant les préceptes de Terfus ; il fe purgeoit Couvent avec des remèdes aiTez légers, il joignoit tout cela à la difpobtion naturelle qu'il avoit à exécuter facilement tout ce qu'il entreprenoit. Suétone & Martial avouent qu'il polTedoit aflez bien tous les A rts libéraux ; de forte qu'en moins d'un an, il fe trouva en état d'ofer fe prefenter fur les théâtres «publics , & dedifputer aux Muficiens de profefïîon, les prix deftinez à la perfection du chant, avec l'accom- pagnement de la harpe 8c de la lyre ; ce fut fur le théâtre de Naples qu'il fit fon premier coup d'elTai chez les Etrangers , après avoir donne des preuves de fon fçavoir fur les théâ- tres de Rome -, il remporta la cou- ronne deftinèe pour le prix de la har- pe, qui lui fut apportée par les Ju- ges , il la dora, la fît porter comme, en triomphe à la ftatue d'^ugufte Les couronnes pour la Profe & la

1$6 HlSTOîP.EDELA MuSlQUI,

Poeiîc , lui furent auffi adjugées da confentement de fore habiles gens, qui avaient fait leurs cfForts pour les lui difpucer , au fermaient de Sué- tone, il fit ordonner pour cela une Proceffion. publique ; une partie d< ces Vers écrits en Lettres d'or furent dédiez a Jupiter , Se placez dans fon Temple au Capitale , mais Suétone dans la Satyre dit encore , que ce fut plutôt un effet de la complaifance des Juges, quoique Confuiaîres Se tirez au fort, pour être Infpe&eurs des Jeux, que Néron avoit été loi liciter pour avoir leurs fufïrages, qû< de la bonté de fa Poeïîe , Se de fa Profe.

Il fit faire un équipage aufîi pro- digieux que fuperbe , pour aller à Naples ; il étoit compofé de mil chariots, fans compter les mulets qui étoient harnachez magnifiquement, Se ferez d'argent j il y en avoit une partie de diltinguezqui portoientles inftrumens de Mufique, Se le corps des Muficiens ; de forte qu'il entra dans Naples comme un Apollon.

La première fois qu'il monta fur

ET DE SES EFFETS. 237

le théâtre, il fut ébranlé par un trem- blement de terre, dont il ne parut point étonné ; il ne ceiîa pas de chan- ter avec la même fermeté, juiqu'à ce que l'hymne qu'il avoir commen- cée fût achevée,, quoiqu'une partie des Spectateurs s'enfuirent, de crain- te d'être enfevelis fous les ruines de l'amphithéâtre ; il ne tomba néan- moins qu'après que Néron eut fini l'a&e. Il fut ii charmé des aplaudiC- femens que les Napolitains donnè- rent à (a voix, ôc à l'accompagne- ment de fa lyre, que fort fouvent il prenoitfes repas dans l'orchertre de- vant tout le peuple : il difoit pour retenir les Spectateurs qu'il chante- roit quelque belle pièce en Langue' Grecque , (î-tôt qu'il auroit un peu bu , éc l'executoit fi bien , que cela lui attira une grande troupe de Mu- ficiens , qui vinrent expiés d'Alexan- drie pour l'entendre, & qui firent en- tr'eux une efpece de concert à leur manière pour chanter fes louanges $ il en fut fi charmé , qu'il en fit venir jufqu'à cinq mille tous gens choifis, qu'il diiîribua par brigades , après

i$8 Histoire de la. Musique, leur avoir fait faire des habits fore propres & uniformes ; il leur donna des Maîtres & des Chefs , pour les inftruire dans la Mufique, & pour marquer les temps des applaudiffe- mens, par des bourdonndnens 8c des battemens de mains, tels qu'on les entend encore aujourd'hui dans nos fpe&acles, & pour ce qu'ils dévoient faire quand Néron chantoit & jouoit de la harpe ou de la lyre en public 5 quoiqu'il fût auflï libéral, ou pour mieux dire auiïi prodigue que Cali- gula , je ne fçaurois croire qu'il ait donné juiqu'a quarante mille grands Sefterces à les Maîtres d'Alexandrie pour récompenfe , comme dit Sué- tone: cela ferait une fommeimmen fe, puifque le millier de cette mon» noyé, luivant Tacite , vaut vingt- cinq mille Ecus, à raifon de vingt- cinq Ecus le grand Sefterce; quand il n'en auroit donné que quatre mille , ce feroit toû-.ours cent mille Ecus chacun -, il en avoit au moins une vingtaine pour inftruire Se pour gou- verner les cinq mille Mufîciens Aie xandrins ; outre ces gens- il avoi

:

i

IT DE SES EFFETS. 2^

encore quantité de beaux jeunes hom- mes pour le fervir lorfqu'il chantoit vêtus magnifiquement , ayant cha- cun une groffe bague à la main gau- che, pour les diftmguer comme Of- ficiers de fa Mufique. Il revint de Naples a Rome triomphant, tout le Sénat vint audevant de lui pour le complimenter j il fit lufpcndre tou- tes les couronnes , & tous les autres prix qu'il avoit remportez fur les theatrts de Naples , dans les Tem- ples d'Apollon & de Minerve, com- me des trophées & des marques de Ta gloire.

Dès qu'il fut de retour à Rome, le Peuple fut impatient de le voir monter fur le théâtre, pour donner le même fpe&acle qu'il avoit fait à Naples ; de forte qu'une partie de la populace .l'arrêta un jour comme il alioitau Sénat, & lui demanda d'en- tendre fa voix celeite ; il leur dit que puisqu'ils le fouhaittoient, il leur en donneront le divertiffement dans fes jardins , pareeque le tems de la fête Neronienne qu'il avoit inftituée avec des prix pour la Mufïquc n'étoit pas

24° Histoire deia Musique, encore échue ; mais le Peuple ne fe contenta pas de cette réponfe , non plus que les Soldats de la garde qui fouhaittoient la même choie, de ibrte que Néron fut obligé de leur don- ner cette iatisfaction fur le champ ; il commanda aufn-tôt que (on nom fût écrit au Catalogue de ceux qui faiioient profefiion de jouer de la harpe j & ayant jette ion lot dans le -vafe des forts , de même que les au- tres , il entra fur le théâtre en fon rang avec les Prévôts, & Maîtres d'Hôtels, qui foûtenoient fa harpe, fuivi des Tribuns militaires, & de fes plus grands amis -, il commença {on Prélude , & après Tavdir achevé, il fit prononcer a haute voix par Clirufe Rufus, homme Confuiaire, qu'il alloit chanter la fable de Niobé, qui dura juiqu'à la nuit, au grand contentement du Peuple $ depuis ce tems- la il ne fit point de difficulté de joue r fon perlonnage parmi les Co- médiens ôc les Farceurs , même à des fêtes particulières, entr'autres chez un Prêteur qui donnoit un million de petits SeRerces, qui font vingt

cinq

ET DE SES EFFETS. 24.Ï

cinq mille Ecus de notre monnoye , pour être partagez entre les Acteurs -, Néron ne fut pas honteux d'en pren- dre fa part, eftimant comme une cho- fe précieufe tout ce qui procedoitde la Mufîque.

Il reprefentoit un jour dans une Tragédie le relie d'Hercules en fu- reur. Dans la fuite de cette pièce pour fuivre l'Hiftoire , ou la fable, on lioit ck garottoit Hercules avec des chaînes -, mais un foldat qui éroit de garde à l'entrée du théâtre, voyant cette violence , fans fçavoir que la feinte le requeroit , accourut au fe- cours de Néron l'épée à la main pour le délivrer ; cette aéhon plut G fort à l'Empereur, qu'il ordonna qu'on lui donnât le lendemain deux cens cinquante mille Ecus. Agrippine fa mère en fut avertie, elle crut faire revenir Néron de cette profufion , en ordonnant au Treforier de faire compter cette grande fomme fur une table dans une fal'e par Néron devoir palïer, il vit en effet cette fomme. Ayant demandé pourouoi c'étoit, on lui dit que c'étoù pour le

L

14.1 Histoire he la Musique, foldat de fa garde; mais fe doutant que cela venoit de la politique de la mère, i! dit qu'il ne croyait pas lui avoir donné fi peu pour un fi grand zèle , ~& commanda qu'en lui en comptât encore autant. Après cette prodigalité, il n'eitpas furprenant fi les dons qu'il f t pendant Ton règne qui fut de 14 ans, montoientà 5^ mil- lions d'Ecus , fans les dons fecrets qu'on a trouvé après fa mort, qui alloient encore a cinq cens millions. Néron pour autorifer la paillon qu'il avoit de paroitre en public fur les théâtres de Rome , non feule- ment pour y chanter, jouer de la harpe & de la lyre ; mais auffi pour y jouer Ton rolle dans les Comédies & les Farces , obligea quantité de vénérables Sénateurs anciens, 6V de Dames de diftindlion , d'apprendre des rolles pour reprefenter des Co- médies & des Tragédies pour jeuer avec lui ; la chofe devint enfuite fort familière dans Rome ; les uns par complaifance, d'autres par inclina- tion , fuivant les exemples de leur Souverain ; jamais la Mufique ne

1T DE SES EFFETS, 245

fut plus en vogue, au dire de Mar- tial , il fuffifoit de fçavoir jouer du violon pour y faire fortune.

Néron voulut que les Veftales adiftailent aux Ipectacles des Gladia- teurs & des Athlètes, quoiqu'aufîl cruels qu'indécens ; pareequ'il vit les Religieufts du Temple de Cerès dans la Ville d'Olympe afTifter aux Jeux publics elles avoient leurs places dirtinguées : ce fut auiîi à la faveur d'un de ces fpectacles, qu'il viola dans Rome l'une des plus bel- les Veitàles de fon tems , nommée R.tbria.

Mais de tous les fpectacles que donna cet Empereur, il n'en eft point qui lui ait fait plus d'honneur, ni qui ait été mieux reçu du Peuple, que celui Tyridate Roi d'Arménie parut furie théâtre de Pompée, dans la plus grande foumiffion qu'un Roi vaincu puilfe fe trouver ; il pofa fon Sceptre. & fa Couronne au pied du Thrône de Néron , il étoit affls 8c orné de fcs habits de Triomphe, déclarant tout haut qu'il venoit iou- mettre fon Royaume & fa Perfonne

L ij

244 Histoire de la Musique, à la difcretion de l'Empereur Ro- main j la harangue refpe&ueufe de ce Roy fut encore répétée hautement au Peuple par un Prêteur fur le théâ- tre ; après quoi Néron , du confen- tement du Sénat, releva Tyridate , lui mit une Couronne fur la tête , Ôc le plaça fur le théâtre, lui donnant la droite à Ion côté pour voir la Co- médie ; elle écoit accompagnée de la plus fuperbe Mufîque qu'on pût imaginer ; le théâtre avoit été par- femé de poudre d'or, pour le rendre pîus éclatant, & fermé par en haut de toile peinte en couleur de pour- . pre, pariemée de toiles d'or, pour empêcher l'ardeur du Soleil. Néron parut Ci gracieux au Peuple Romain dans ce fpe&acle, que d'une com- mune voix , il fut proclamé &" falué Empereur de tous les affiftans , Se ce jour fut appelle le jour d'or , pour ho- norer fa mémoire.

Il donna quelques jours après la reprefentation des trois grands jeux qu'il avoit inftitué pour l'éternité de l'Empire, il remporta en la pre- fence de Tyridate, les prix de Mu.

ET DE SES EFFETS. 24J

fique pour le chant a pour les jeux de la harpe & de la lyre.

Tyridace fe fentit beaucoup de la prodigalité de Néron, puifqu'il lui donna vingt mille Ecns par jour pour fa dépenfe pendant les neuf mois qu'il refta dans l'Italie ; & quand il en partit, Néron luj fit encore uri prêtent de deux millions cinquante mille Ecus , de forte qu'il retourna dans l'Arménie plutôt en Vainqueur qu'en vaincu. .

Après le départ de ce Prince , Né- ron fe difpola pour aller en Greice, exprès pour y difputer des prix de Muiique, &" de Comédies fur les théâtres d'Athènes, de Thebe.s , de Sparte ôc de Corinthe ; il fit faire un équipage plus fuperbe que celui qu'il avoit eu en allant à Naples pour ui\ pareil fujet ; il mena encore quatre ou cinq mille perfonnes inftruites pour les aplaudiiïemens , qui fe pla- çoient parmi les Peuples fur les am- phithéâtres , pour les animer à bat- tre des mains fuivant leur exemple-; il avoir outre ces gens une garde conilderable qui gardoitles barrières,

Liij

,

1^.6 Histoire delà Musique, de qui faiioient faire lilence quand le fpe&acle étoit commencé, perfonne n'eût ofé l'interrompre ni forcir de fa place, pour quelque necefïïté que ce pût être, fur peine de la vie ; de force qu'après le fpedacle on trou- voit fouvent des femmes enceintes, des vieillards , 3c des jeunes enfans , qui étoient expirez dans leurs pla- ces. Vtfpafîen, qui depuis fut Em- pereur , eut bien de la peine à fauver fa vie -, pareequ'il fut foupçonné d'avoir dormi à un de ces fpedtacles, pendant que Néron chantoit.

Il avoit la précaution de corrom- pre les plus fameux Muficiens & Co- médiens , pour être plus fur de rem- porter les prix deflinez pour ces jeux, & n'ayant pu venir à bout de feduire un Ephore d'Athènes , qui chantoit mieux que lui ,il le fit aiïafîïner : de forte qu'il ne lui fut pas mal-aifé de remporcer les couronnes Se les au- tres prix deilinez pour la Mufique& la Comédie par toutes les Villes il joua pendant trois mois -, il fit mê- me abattre toutes les Statues de ceux qui avaient remporté ces fortes de

1T I>E SES I FfETS. 147

prix avant lui , pour en éteindre la mémoire dans toutes les Villes de la Grèce, & fit mettre la tienne en leur place^de forte qu'il revintde ce voya- ge triomphant comme un Cefar, fai- fant abattre les murailles des Villes par il paiToit ; le Sénat & le Peu- ple de Rome vinrent au-devant de lui le recevoir comme le plus grand Conquérant du Monde ; il étoit mon- té «fur un char de Triomphe tiré par quatre. chevaux blancs à la manière des Vainqueurs ; Ton porta en Pro- cefîïon folemnelle une partie de ces couronnes , & des autres prix que Ton mit en fuite dans les Temples & dans le Trefor public ; il donna pour recompenfe à tous les Juges des Vil- les , il avoit joué, le titre de Ci- toyens Romains 3 avec de greffes fommes d'argent , & il affranchit toute la Grèce, dont il publia lui- même les immunitez dans Rome ; & à la reprefentation des Jeux Ijlhmievs, il donna à Menecrate Joueur de lyre, & au nommé Spicile Gladiateur, une grande partie des patrimoines & des maliens de plufieurs perfonnes con-

L iiîj

i4§ Histoire de la Masiqui, fiderables de Rome, pour lui avoir plu dans un fpectacle ; il étoit cepen- dant fort dangereux de le furpalïer , puiique' Suétone, dit que l'une des raifons pour lefquelles il fit empri- fonner fon frère Britannicus, fut qu'il avoit la voix plus belle que la fien- ne ; Paris fameux Comédien , le fuc auiïi, parce qu'il lui portoit ombra- ge dans les jeux de théâtre -, il fit af- fadi ne r fa mère Agrippine, empôi- lonner fa tante , ôc fit mourir Sene- c|ue fon Précepteur 6c plufieurs ri- ches Sénateurs, pour jouir de leurs grands biens qu'il vouioit employer à fes folles dépenfes. Petronne parle d'une fê:e des plus fuperbes qu'il fie donner fur le Golphe de Bayes ; il y avoit fur les rives des cabarets dref- fez , Ton goûtoit toutes fortes de voîuptez gratis. Néron étant fur un grand Vaiffeau des plus magnifiques qu'on put imaginer, Trigellin fon Favori fit venir pour cette fête de toutes les parties du Monde , tout ce qu'on pouvoit trouver de plus rare en gibiers & en poiilons ; il y avoit fur différentes Galères éclatantes

ET DE SES EFFETS. 249

d'or, tout ce que Ton peut imaginer pour former les plus magnifiques concerts, tous les Mufici, ns y étoient auili fuperbemenc vêtus, que leurs Inftrumens étoient briîlans de mar- queterie, d'or, de nacres de perles, & d'yvoire.

Il eft encore parle de Ton fuperbe Palais appelle la Maljon d'or% il y avoit des falons pour les feftins , qui tournoient comme fur un pivot , pour jouir des vues différentes ; l'on y voyoit des tribunes pour placer la Mufique, qui étoient enrichies de Pierreries, de nacres de perles, de d'yvoire -, les plafonds étoient per ez comme des arofoirs , pour répandre les eaux de fenteurs, ôc parfumer les conviez comme par une rofée.

Toutes ces grandes dépenfes enga- gèrent Néron à faire quantité de ve- xations aux plus riches de l'Empire Romain , ce qui lui attira la haine publique , & donna lieu de confpirer contre lui ; il fit mettre le feu à di- vers quartiers de Rome pendant une nuit, monta fur une Tour pour en voir l'effet, vêtu en habit tra-

L y

2fo Histoire de la Musique , gique , pour chanter avec fa lyre le Poe me de l'embrafement de Troyes ; & il attribua la faute de cet incendie aux Chrétiens , qu'il fit périr par d'horribles fupplices. Toutes ces cruautez firent à la fin ouvrir les yeux au Sénat, ,Sc aux Gouverneurs des Provinces, entr'autres à Vindex, qui avoit une Armée confiderable dans les Gaules, &: à Galba, qui en avoit une autre en Efpagne -y ces deux Généraux de concert avec le Sénat y n'hefîterent plus à déclarer Néron ennemi de l'Empire , & le condam- ner d'être puni félon l'ancienne cou- tume -, c'eft-à dire , à être conduit par le Boureau dans une Place de Rome , l'on lui mettrait le col entre les deux branches d'une four- che , après quoi il feroit fouetté juf- qu'à la mort ; mais l'avis qu'il en reçut, l'obligea de fefauver a la hâte de Ton Palais, n'ayant 'qu'une robe fur lui, après avoir envoyé chercher Splcillus y pour le prier de venir lui palTer fon épée au travers du corps ; ce Gladiateur ne sTétant point trou- vé, F'kron s'écria, qncif Ni

IT DE SES EFIETS. 2jl

ami y ni ennemi pour rnoter la vie , de forte qu'il fut obligé de fuivrc un affranchi, qui le fie palier par un chemin dérobé, pour aller fe cacher dans une Métairie à une lieue de Ro- me ; il y fut trouvé par un nommé Epaphrodite, Chef d'une Cohorte qui le ch^rchoit de la part du Sénat y dès qu'il entendit le bruit des gens de Guerre, il fe donna en tremblant un coup de poignard dans la gorge, après avoir die a Sporus : Ah quel Joueur de harpe meurt aujearahm ; il regreta plus la Mufique en mourant que l'Em- pire y il avoit époufé publiquement ce Favori comme une Impératrice, & un nommé Doryphore, ou Pytka- gore fon affranchi, dont il voulue pafler pour fa femme dans toutes les rormalitez, fe couvrant la^tête d'un voile , comme les épouies avoient coutume de faire le jour de leurs nô^ ces y de forte qu'il paffa publique- ment dans Rome pour êcre la fem- me ôc le mari de ces deux Ganime- des -, il avoit auparavant fait mourir Octavie , l'une de fes premières fem- mes dans les fers , Se tué Poppea d'un

Lvj

25* Histoire de la Musique , coup de pied, quoiqu'enceinte, pour lui avoir reproché qu'il pallbit fa vie parmi les Muficiens & les Co- médiens iur les théâtres-, car fou- vent il y mangeoit en public avec les hommes & les femmes les plus dé- bauchées de Rome. Il avoit inventé quelque tems auparavant fa moit, un Orgue Hydraulique, dont il de- voit donner le fpeclacîe dans une fête extraordinaire qu'il avoit ima- ginée pour ce fuiet : je ne finirois pas fi je voulois raporter tous ces vices. Ilmouruc à l'âge de trente deux ans, le plus pafïïonné de tous les hommes pour la Mufîque, après en avoir ré- gné quinze, & diffipé tous les Tre- fors publics ; enfin le jour de fa mort fut regardé comme un grand jour de fête par tout l'Empire Romain ^ &: le Peuple de Rome qui languitToit depuis long-tems dans la fervitude, courut aufïï tôt qu'il l'eut appris par toutes les rues avec1e bonnet fur La tête; qui étoit la marque de la liber- té ; Eglogue Se Alexandre fes nourri- ces , eurent foin de fes funérailles qui coûtèrent au plus vingt mille Ecus.

IT'DI SES !THTS. 2JJ

Je finirois ce Chapitre par le règne de Néron , qui fut le dernier de la race des Cefars, Ci Galba Ion fuccef- feur, ne me fournilîoit encore ua fujet de parler par raport à la Mus- qué , Ton règne ne fut que de fept mois ; parcequ'il fut ailaiTiné par les foldats de fa garde , à caufe de fa trop grande avarice , d'autant plus iniuportable aux Romains qui for- toientde fous la domination du plus prodigue des Empereurs, outre qu'il avoit foixante dix ans quand il fut pro- clamé Empereur , Se point d'enfans. La première preuve qu'il donna au Peuple Romain de fon avarice, ce fut les pleurs que Suétone dit qu'il verfa,à caufe d'une trop grande dé- penfe faite pour un feftin qu'il avoir donnéau Sénat. Plutarque dit encore que Galba ne donna pour rt compenfe que cinq deniers à un fameux Joueur de flûte nommé Cœrms^our: avoir joué pendant fon foupé , quoiqu'il l'eut entendu avec bien du plaifir ; ces cinq deniers pouvoient valoir cinq pièces de trente fois de notre monnoye ,au lieu que Néron lui auroit donné cinq

254 Histoire de la Musique, mille Piftoles dans une pareille oc- cation.

Les Muîiciens & les Comédiens

trouvèrent le règne de Galba bien différent de celui de Néron, puis- que fur une Requête prefentée par trente Chevaliers Romains, i) fit ren- dre un Arrêt du Sénat, par lequel il leur fut permis de rentrer dans leurs biens , maifons, terres & héritages, que Néron avoit donné fans droit ni raifon , comme une confîfcation à fes Miliciens Se Comédiens, à con- dition néanmoins que ceux qui les avoient mangez & diffipez, n'en fe- roient pas inquiétez -, cependant ce fut Galba au dire àz.Sttetone a tiv. 7. qui fît voir le premier au Peuple de Rome, des Elephans qui marchoient fur la corde en cadznce au fon des Inftrumens , dans une fête qu'il don- na-en l'honneur de la DéefFe Flore, inftituée en faveur du Printejms*

Comme depuis la mort de Galba , les Armées Romaines étoient deve- nues les maîtreiîes de l'Empire, par la licence qu'elles fedonnoient d'élire des Empereurs à leur choix -, Rome

ET DE SES EFFETS, 2f|

ne fut plus qu'un théâtre de fpe&a- cle de fan g & de carnage , eau fez par les Guerres civiles, ce qui m'oblige de finir ce Chapitre, auquel infen- fïblement j'ai donné plus d étendue que je ne peniois par raport à la Kiu- iîquc ; ce que j'en ai dit pourra ne an* moins (eivir encore de quelque ii"u ftru&ion pour PHiftoire Romaine à ceux qui n'en ont pas la eonnoiiîan- ce , depuis la fondation de Rome juf- qu'a 1 Empereur Galba , l'an foixan- te-dix de notre falut, fuivant ce qu'en ont dit PetroM t ? lut arque , Suétone & Ttic'te»

CHAPITRE X.

De l'ètablijfrmerit de U Mufique & des

SpettacUs en Wtefflg 3 depuis les

■premiers Gaulois, jupjH a preftnt.

DE toutes les Nations qui ad- mettent le Déluge univerfel, il en eft peu qui puirTe prouver avoir çu connoiffancede la Mufique avant les Gaulois ; & II nous en croyons

ij6 Histoire de la Musique, les Auteurs qui ont écrit des Anti- quitez des Gaules, comme Diodore de Sicile, Grégoire de Tours & Fau- chet, on doit demeurer d'accord que les Gaulois l'ont poffedé dès l'an 2140 du Monde ; 6c que Bardus leur cinquième Roi , établit dans les Gau- les des Ecoles publiques de Mufique en ce tems-là, dont il donna la ge- flion à une Se6te de Philofophes , Poètes Se Muficiens , tirez des Drui- des, aufquels les Gaulois donnèrent le nom de Bardes, à caufe du Roi Bardus.

Dupleix dans Tes Mémoires des Gaules, dit qu'ils s'établirent à Mont- bard ; ils ne s'en tenoient pasaufeui foin de l'éducation de la jeuneffe, ils avoient encore celui de fuivre les Armées des Gaulois, marchant or- dinairement à la tête avec la harpe à la main , ou le pfalterion , & la viole, dont ils fe fervoient pour ac- compagner leurs voix , chantant des Cantiques Se des Hymnes, qui con- tenoient les hauts faits des anciens Héros , & les vertus des Gaulois, pour animer l'Armée quand elle

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étoic prête à combattre 5 ou 'bien pour adoucir l'ardeur des Généraux, & la fureur des foldats, en leur in- fpiranc des fentimens qui les exci- toient à jouir des douceurs de la Paix par de nouvelles alliances ^ de forte que les Armées fe feparoient fouvenc fans combattre, laiffant le foin des Traitez de Paix à ces Bardes , qui fçavoient fi bien concilier les efprits par les effets de la Mulîque ôc de la Poe fie , que les deux Armées fe reti- roient fouvent avec autant de fatis- fa&ion, que fi elles avoient rempor- té la victoire. Antiq. de Fauchet, liv, i. chap. 4..

Les Druides , comme Prêtres des Gaulois, étoient chargez du culte de la Religion & des Loix pouc le gou- vernement des Peuples ; pareeque les Rois avoient de grandes défé- rences pour eux , étant regardez dans les Gaïles comme des Hom- mes divins ; ils firent leur première (habitation dans des Hameaux fnuez près de la Forêt de Dreux.

ils aflïftoient encore aux combats des Gladiateurs , & à ceux des Mir-

Z5& Histoire de la Musique, millons, inventez par PitUims , ou les Spectateurs faifoient chorus aux chants des hymnes, fiances & chan- fons , que les Mufîciens chantoient pour animer les Combattans, &: pour la gloire des Vainqueurs. Strtbon, liv. 4.

Ils employoient auffî la Mufique au culte de la Religion , fur- tout aux funérailles des Grands Seigneurs, dont les Pompes funèbres ctoient d'une magnificence qui égaloit celle des Romains ; elle fervoit aufïï à ani- mer les efclaves des Rois , des Prin-< ces, Ôc des Grands Seigneurs, à fe jetter dans le bûcher de leurs Maî- tres, & à diffiper les horreurs & les cris des victimes que Ton facrifioft; à la gloire de Saturne, pour le ren- dre favorable aux Mafnes des Dé- funts , ce qui coûtoit autant de fang que de richeffes , puifquc l'on con- fommoit dans le Bûche*, tous les ef- fets de ces Grands Seigneurs qui pou voient être combuftibles , dont les Druides tiroient après la cérémonie des profits confiderables par l'or & l'argent, qui fe trouvoient fondus

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dans les cendres. Cette diflipation de biens étoit fundée fur l'immortalité de l'âme , que les Druides a voient bien perfùadée aux Gaulois , qu'ils prêtcien|gmême leur argent à con- flitution pendant leur vie, à condi- tion de rendre le fond dans l'autre Monde -, ils croyoïent y retrouver aufîi tous les tretors que l'on jettoit dans leurs bûchers. Il y a bien des Auteurs de réputation qui préten- dant que les Druides furent obligea d'inventer ces prêts par un principe de Religion , ôc pour mieux perfua- der aux Gaulois l'immortalisé de l'a- me, ce qui fubfifta dans les Gaules jufqu'en Tan 592.0 du Monde, auquel tems les Romains commencèrent à s'en rendre les Maîtres , & dont 'Ju- les Cefar acheva la conquête après. une guerre de vingt-cinq années, ré«* duifant tout ce vafte Empire fous les Loix Romaines, lequel fut partagé en dix- fept Provinces gouvernées par des Confuls & par les Généraux d'Armées , pendant i'eipace de plus de cinq cens ans , ce qui abolit en- tièrement la Religion, les Loix des

2<jo Histoire de la Musique,, Gaulois , changea les mœurs Se la Langue Gauloife par fucceffion de tems ; ce qui fut même caufe que les Druides <k les Bardes allèrent s'é- tablir chez d'autres Natiél&s , ainfi qu'on le voit dans les Commentaires de Cefar.

Ammian Marcellin Se Suétone, prétendent que ce fut fous le règne de l'Empereur Claude , que les Drui- des quittèrent les Gaules , en leur défendant fur peine de la-vie, l'ufa- ge des funérailles des Gaulois ; toute leur feience confiftoit dans la mé- moire, ils ne foufFroient point que Ton écrivit dans leurs Ecoles, il faloit aller pendant vingt ans pour être initiez dans les myiteres de|la Religion : la Théologie, les Loix, la Mufique Se la Poefie étoient leurs études principales , au lieu que les Bardes s'attachoient particulière- ment aux deux dernières Sciences j c'eft.à-dire à la Poefie, & à la Mu- fique.

Depuis que les Gaules furent fou- À mifes aux Romains par Jules Cefar, on ne trouve plus rien dans les Au-

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teurs qui concerne les Sciences & les Arts des Gaulois , tout fefaifoit dans les Gaules a Tufage de l'Empire Ro- main , Ci ce n'eft l'Académie des Sciences & des Arts cjui fut établie à Lyon fous l'Empire d'Augufle , la- quelle fut augmentée parCaligula des jeux qui avoietit raport aux beaux Arts & fur-tout à la Mufiqne, les plus habiles alloient faire preuve de leur icavoir en fe foumettant à la rigueur des Loix , ou des Statuts de l'Aca- démie, dont la plus douce étoit que le Vaincu donnât un prix au Vain- queur^ comme il eft remarqué plus au long dans Strabm , llv, f. qui dit que le fouet, la férule, & même celle d'être plongé dans la rivière, étoient les moindres punitions de ceux qui avouent la témérité d'y apporter de méchantes Pièces , ou de l'efFacer avec la langue : cette ieverité impri- meroit bien le refpedt aux demi-Sça- vans.

La longue domination des Ro- mains dans les Gaules fît perdre a ia Nation le goût des Sciences , & ne s'attacha plus qu'à l'Arc Militaire ,

i6z Histoire de la Musique, pour recouvrer fa liberté, ce qui ar- riva Tan 4.17 de Jcfus-Chtift , ou environ , que Phaïamon fils de Mar- comir Prince François, commença à fëcouer le joug de l'Empire Ro- main , en fe raifaht proclamer Roi des François à la tête de l'Aimée à la clameur des Soldats , cV au fon de tous les Inftrumens Militaires. Com- mentaires de Ce 'far , Grégoire de Tours , Tanche t , Antiq* GauL hv. z. chap, 10. Afezeray, Hift. de France, RouUlard, Hift. de Chartres.

Depuis le règne de Phararnon juf- qu'à Clovis premier, on ne trouve rien de remarquable dans l'Hiftoire touchant la Mufique ; comme c'eft mon objet, je ne ferai mention que des Rois , je trouverai des faits eflentiels Se convenables au iujet que je traite.

Grégoire de Tours, llv. z. nous apprend que Clovis fut baptifédans l'Eglife Saint R.cmy à Reims, la- quelle fut ornée d'une magnificence des plus éclatantes pour cette Céré- monie, & qu'il y eut une Mufique digne de la grandeur du fujet , dent

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Clovis fut dans l'admiration , & lui donna tant de goût pour elle, eue par le Traité de Paix qu'il fit avec Theodoric Roi des Oilrogots d'Ita- lie, après avoir gagné une fameufe Bataille environ l'an 500 de jeius- Chrift ; il veut un Article par lequel Theodoric s'engagea d'envoyer à

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Clovis, un bon joueur de Guitarre, avec un Corps de Mufique d'Italie , la Mu fi que étant prtTque tombée dans les Gaules depuis la domination des Romains, & ne s'étoit confer- vée que parmi les gens d'Eglife pour le culte de la Religion j &c même juf- qu'au tems de Charlemagne, on ne trouvoit plus d'Ecoles publiques 9 que dans les Abbayes , les François n'étant prefque plus occupez qu'aux foins de la Guerre. Fauchet , llv. 1. chap. 18.

Quelques Auteurs ont dit que ce fut pour le Baptême de Clovis, qu'un Ange apporta la fainte Ampoule fur le Maître Autel de l'Eglife de Saine Remy , laquelle dure encore peur le Sacre des Rois de France, quoique la fiole foie fort petite , ce qu'on

16^ Histoire de la Musique, regarde comme un Miracle.

On trouve dans les Intrigues Ga- lantes des premiers tems, tirées des vieilles Chroniques de France, que Cherebert Roi de Paris, avoit une grande pafïion pour la Chafïe, qu'il y étoit journellement occupé, 6V que Ingoberge Ton époufe,Prince(îe d'une grande vertu , eut recours aux char- mes de la Mufique pour le détour- ner de cette violente paillon , en fai- fant établir dans Ton Palais , des Fê- tes paftorales & galantes, dans les- quelles Tes deux Filles d'Honneur nommées Àleroflede , Se Marcouefe , faifoient les premiers rolles ; c'étoit deux feeurs venues d'afTez baffe nai£- fance, mais que la Nature & l'Art avoient pris foin de perfectionner (1 avantageufement, que la Reine ne s'aperçut que trop tôt que le remède étoit pire que le mal; le chant, la danfe, la bonne grâce de ces deux iceurs plurent n" fort au Psoi, Ôc en devint fi éperdûment amoureu: qu'il les époufa l'une après l'autre ce qui fait voir qu'une pafïion vio- lente ne fe détruit que par une autre

ET BE SES IFÏITJ. iÇf

& que celle de l'Amour & de la Mu- fique, l'emportent fans refiftance fur toutes les autres ; pareeque la vue & rouye,font les deux fens qui s'em- parent du cœur le plus ailément , & fur-tout quand ils font frappez par des objets agréables. Faptchn , liv. 5. chap. 13.

Le même Auteur rapporte encore que Dagobert étoit fortfenfible a la Mufique , & qu'étant allé à l'Abbaye de Romilly pour afïïfter aux Vêpres, il entendit chanter une Religieufe dont la voix lui plut extrêmement; après que l'Office fut achevé , ii entra dans le Convent, & demanda celle qui avoit fi bien chanté; l'Ab- befïe en lui prefentant, dit qu'elle s'appelloit Nantilde 3 dont le nom lui étoit connu ; le Roi ne fut pas moins charmé de fa beauté, qu'il l'avoir été de fa voix, & l'ayant tirée à part, il lui dit que c étoit dommage qu'- une fi agréable Perfonne fûc renfer- ^mée dans un Cloître : Nantilde lui avoua qu'elle n'avoit pris le voile que par obéiflance envers fes Parens , qui l'avoient contrainte à quitter ls

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i66 Histoire de la Musîqije, Monde -, & que fi Sa Majeité avoic la bonté de lui accorder l'honneur de fa protection, elle reclameroit con- tre fes vœux ; le Roi fut ravi de la trouver dans une difpofîtion qui fia- toit fes efperances , (enta nt ja pour elle les premiers mouvemens de l'A- mour : il quitta la belle Nantilde , en l'aflûrant que dans peu elle ap- prendroit les effets que fon mérite avoit produit dans fon cceur ; c'en fut aifez dire pour fortifier cette belle Religieufe dans lesfenrimens oiielle étoit de changer fon état ; cet efpoir augmenta fes charmes fi confidera- blement , qu'elle en devint tous les jours de plus belle en plus belle. Dagobert ne fut pas arrivé à Paris, qu'il prit des mefures pour rompre les noeuds qui l'attachoient avec Go- matrude fon époufe, & ayant trouvé des Prélats & des Grands Seigneurs allez complaifans pour aprouver fa nouvelle pafîion •, il fit rompre fon mariage, Se dès qu'il fe vit libre, il fit fortir l'aimable Nantilde peur Yë- poufer publiquement ; elle foutint parfaitemement la dignité de Reine,

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au dire d'Aimoin , Lv, 5. ch. 19. & de Câ'hane Auteur Italien, qui a écrit de l'Hiftoire des François du tems de Dagobert l'an 640 , au dire de Fœu- chet , liv. 5. ch. 8.

Cependant cela n'enlpêche pas que Dagobert ne foit mis au rang des plus vertueux des Rois , ayant fondé la fameufe Abbaye de Saint Denis l'an 6$o ; ce qui fait voir encore que les plus Grands Hommes ont de la peine à refifter aux appas d'une belle voix , quand elle eft foûtenue des charmes de la beauté.

On trouve dans Grégoire de Tours & dans les Antiquitez Gauloifcs de Fauchée , liv. 3. ch. 11. que Chilperic Roi de France premier du nom , fut en eftime pour fou Eloquence ; il fit des Vers dans le goût de Sedulius Poète Chrétien ; on lui attribue l'in- vention de quatre lettres qu'il ajou- ta à l'Alphabeth, pour faciliter les rimes de la Langue Françoife, & a- doucir le chant ; il fe piquoit de fça- voir la Mufique aulîi bien que la Poefie ; ces deux Arts furent en e- commandation fous fon règne , c ui

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ié8 Histoire de la Musique, finit Var\ 5S4. Fredegonde fa Fcëme l'ayant fait aflafîlner par Landry de la Tour, Ton Galant & Maire du Pa- lais j il laifîa un fils qui fut bâtifë à Orléans , & tenu fur les Fonts par Contran fon oncle & Roi des Bour- guignons auquel on fit une Entrée magnifique , il fe trouva quan- tité de Nations Etrangères , comme des Grecs , des Syriens & des Juifs, lefquels chantèrent en leurs Lan- gues des Vers faits à la louange de Gontran -, il fe trouva quantité d'E- vêques à cette fameufe aflemblée qui mangeaient à fa table. Il voulut que chacun fiit venir fes meilleurs Chantres , pour former un corps de Mufique pour chanter des Cantiques & pfalmodier pendant les repas, ce qui fait voir qu'il n'y avoit pas en- core de Corps de Mufique établis dans les Cathédrales ; mais il parole que les Archevêchez , Evêchez ÔC grortes Abbayes, avoientle droit d'a- zile pour les aflaffins, & autres gens repris de juftice , qui fe mettoient fous la protection des Evêques, juf. qu'à ce qu'ils fe fuffenc purgez par

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combats en champ clos , ou par fer- ment , fuivant l'ufage de ce tems-là. Fauchet , liv. 4. ch. 5.

Chaque Evêque avoitfon Cham- pion, pour fe juftifîer par combat fîngulier , quand les Rois ou le Peu- ple les accufoient de quelques mal- verfations j l'on benifïbit les armes du Champion, & le Clergé le con- duisit en grande cérémonie jufqu'au champ clos en chantant des Hymnes & des Cantiques ; le combat Te fai- foitaufondes Inftrumens Militaires, fuivant que le rapporte Aimoin dans fon Traité de l'Hiftoire de France, qui finit en 1165. Fauchet dans Ces Antiquitez, dit que cet ufage dura jufqu'en Tan 1100. tk que le Juge quiétoitfoupçonné d'avoir fait per- dre le procès à une Partie par iniu- ftice, croit obligé de venir combat- tre en champ clos contre fon Dé- nonciateur, à moins qu'il ne voulût l'indemnifcr ; ce combat fe faifoic en prefence des Hérauts d'Armes, au fon des Inftrumens, pour animer les Combattans, Le même Auteur rappone qu'un nommé Attiré aille ;

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27o Histoire de lAMtmquE, Evêque de Bourges , & qui écoit Ré- férendaire du Roi Clotaire M. ou fou Garde des Sceaux, fut obligé de fubir cette Loi , contre une Partie qui l'accufoit d'avoir falGfié un Ar- rêt du Confeil pour de l'argent reçu de fa Partie adverfe , qui fut caufe de la perte de fon procès -> mais ce Garde des Sceaux en allant au com- bat entra dans une Eglife pour faire fa prière. Pendant ce tems - on vint lui dire que fon ennemi venoit de mourir fubitement en allant au champ clos pour le combattre, ce qui fut regardé comme un Miracle pour rétablir la réputation c^jinfira- gdle fans s'expofer aux dangers d\in combat fingulier : les deux Corps de Muficiens qui étoient aiîemblezdans le champ clos, fe joignirent fur cette heureufe nouvelle, & vinrent pren- dre le Garde des Sceaux pour le me- ner en triomphe au Palais du Roi, qui le reçut comme un Magiftrat di- gne de l'emploi qu'il poffedoit, étant dans ce tems lace qu'eft aujourd'hui un Chancelier de France ; c'eft peut- être le bruit de cet événement qui eft

ET DE SES EFFETS. I7I

caufe que nos Rois ont aboli l'ufage de ces combats , de même que celui du feu & de l'eau qui étoient admis pour prouver l'innocence , à caufe des abus qui fe commettoient quel- quefois pour favorifer les coupables. Fauchet , liv. 5. chàp. 6.

J'ai déjà die que je ne parlerois que des règnes des Rois je trouverons des faits remarquables touchant la Mufîque , c'eftpourquoi il ne faut pas que le Lecteur me reproche de paiïer de ceux de Chilperie 8c de Dagobert 5 à celui de Pépin, quoi- qu'il y ait un fiecle de l'un à l'autre, qui fut un temps les Maires du Palais, fur- tout Charles Martel, te- noientles Rois comme en brafuere, à peine avoient-ils des Maîtres de Mufîque pour leur Chapelle. Pépin Maire du Palais fucceda à l'Empire des François Pan 751 ou environ , à caufe de PimbecillitédeChilderic III. & dernier Roi de la première race des Mérovingiens ; fon Couronne- ment fe fit à l'Abbaye de Saint Denis par le Pape Eftienne III. avec une cérémonie &c une pompe 011 la Mu-

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1^1 Histoire de la Musique , (ique panic dans toute fa fplendeur ; ce fut fous fon règne que l'on vit pour la première fois un jeu d'Or- gues en France , qui lui fut envoyé par l'Empereur Conftantin Copro- nyme , comme un prefent très con- fiderable, accompagné d'un fameux Organifte de Conftantinople , ce qui prouve que les Orgues à foufriets viennent de l'invention des Grecs ; ce fut tout au plus fous le règne de Pé- pin que les Rois de France établirent un Corps de Mufique pour leur Cha- pelle , fous un Maître de Mufique qu'on appelloit dans ce tems-là Aie- neftrel. Pichou qui a fait l'Hiftoire des Rois de la féconde race, dit que Pé- pin mourut Tan 768. Fmchet , liv. 6. chap. r.

Charlemagne ne fucceda pas feu- lement au Royaume de France, il fut encore le premier Empereur d'Oc- cident Tan Soi , ayant une autorité fi abfolue dans Rome , que quand il y écoit , le Maître de Mufique de fa Chapelle prétmdoit avoir droit de faire chanter fes Mettes les jours de cérémonie , preferablement à '-/nui

1T O! SIS EFFETS. 275

du Maître de la Mufique du Pape ; ce qui donna lieu à une grande conte- ftation qui arriva entr'eux un jour de Pâques, fous le Pontificat de Léon HT. fon Maître de Mufique voulant faire chanter la grande Melïe fuivant l'u- fage Grégorien, celui de Charlema- gne voulut en faire chanter une fui- vant l'ufage de Saint Ambroife ou de l'Eglife Gallicane: comme les Fran- çois tenoient le haut du pavé dans ce tems-là à Rome, les Muficiens Ita- liens furent obligez de leur céder 5 mais après la cérémonie, Charlema- gne voulut fçavoir le fujet de leur contellation. On fit venir les deux Maîtres de Mufique en prefence du Pape Se de l'Empereur ; celui du Pape parla le premier , Se dit qu'étant à la fource de la Mufique par rapport au fyftême de Saint Grégoire, il croyoic qu'il n'y avoit point de Mufî- cien dans le Monde qui ne dût lui céder, quand il s'agiiïbit de fa fon- ction , fur- tout dans l'Eglife Capi- tale de la Chrêrienté, vu que Rome étoit la fource de la Mufique. Le Maître de Mufique de l'Empereur

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2.74 Histoire de la Musique, pour répondre à ces raifons , dit que par tout étoit fon Empereur, il croyoit faire tort à fa gloire de cé- der fes fonctions à quelques Musi- ciens que ce fût ; & qu'à l'égard de la fource de la Mufique , que plus un ruiiîeau en étoit éloigné, plus il avoit de force, voulant dire par qu'il avoît non feulement la connoif- fance delà Mufique Italienne; mais encore celle des autres Nations join- tes à la Mufique Françoife. L'Em- pereur pour contenter le Pape , ôc ion Maître de Mufique, ordonna au fîen de l'aller attendre au bas de la fource de la Mufique Romaine, c'eft- à-dire fur la frontière de France ; Se même l'Empereur en partant de Ro- me emmena un Corps de Muficiens Italiens , qu'il plaça dans la Cathé- drale de Tours, pour chanter l'OfS- ce fuivant l'ulage Grégorien, ce qui déplut fort aux Muficiens François ; voila à ce que prétendent quelques Hiitoriens, l'origine de Fanimofité des Muficiens Italiens, contreJes Mu- ficiens François, laquelle fubfiite en- core aujourd'hui. Fanchet, liv.j. ch. i.

IT DI SES ÏFFETS. 17J

Le même Auteur dans Tes Ami- quitez , Uv\ 7. ch. 3. die après Odon AbbédeG!ugny,que l'état Monachal etoit alors fi corrompu, qu'il arriva aux Chanoines de Saint Martin de Tours,une catafttophe pendant qu'ils chantoient Matines que je n'ofe rap- porter ici la croyant fabuleufe, quoi- que les Chroniques de ces temps layent attribué à une punition Di- vine.

La Monarchie Françoife avoit befoin d'un aufîi grand Prince que Charlemagne pour rétablir les Scien- ces qui étoient prefque éteintes en France à l'avènement de Ton règne. Comme on fçavoit qu'il aimoit les gens de Lettres , il vint à Wormes , un nommé Alcuin Anglois , avec Claude Clément, difciple de Bedc, gens extrêmement fçavans , qui al- lant par les rues de Wormes, crioient tout haut, Science à vendre ; Charle- magne les ayant entendu, fut fur- pris de la nouveauté de cette mar- chandife, & les fit venir devant lui peur les interroger ; il leur trouva tant de fonds de feience qu'il les prit à Ton fer vice, & leur donna des em-

276 HlSTOIRI DE LA MuSlQJtfE ,

plois dignes de leur mérite ; on pré- tend que ce fut par leurs confeils que Charlemagne fit les premiers fondemens de cette fameufe Uni- verfité de Paris ; cela donna de l'é- mulation à ceux qui avoient quel- que teinture des Sciences , & en» tr'autres pour la Mufîque. Il fe forma une focieté de Muficiens , à l'imitation des anciens Bardes, qu'on appella les uns Trouveras ou Roman- ciers, qui compofoient les Romans en rimes, c'étoient les Poètes de ce tems-là ; les féconds étoient les Cban- terres ou Meneftrels J qui étoient les Muficiens qui compofoient des airs pour chanter les Romances -y & le troifïéme Ordre étoit les Jongleurs ou Meneftriers qui (ont les Joueurs d'in- ftrumens, qui accompagnoient les voix des Chantres avec la harpe, la yielle & la viole avec l'archet j l'on voit même aujourd'hui au portail de Saintjuliendes Meneftriers. les trois figures de ces Muficiens ; c'étoit un Hôpital fondé par Julien fameux fo?t- glenrtçr\ faveur des Muficiens : on voit aufïï fon po trait dans une fenêtre de l'Eglife peint avec tous les attributs

ET DI SIS EFFETS. iff

de la Mufîque, on peut juger par qu'il étoit grand Muficien.

L'on trouve dans les Antiquitezdc Fauchet un Traité fur la Langue , & la Poëiie Françoife des Mufîciens de ces tems là, que je ne rapporterai point ici ; il dit aufîi avoir vu un Ma- nuferit des premières chanfons des François chez M* de Mefme Con- feiller d'Etat , Seigneur de Roifly , celles du Roi de Navarre font au commencement du Livre ; celles de Charles d'Anjou frère du Roi Saint Louis , Marie de France , Thierry de SoifTons , le Vidame de Chartres , le Queus delà Marche, le Châtelain de Coucy , Jean de Maifons , le Queus de Bretagne , Robert du Chaftel , 8c de cent autres Poètes Se Mufîciens f dont il fait mention jufqu'à Fran- çois I. mais toutes ces chanfons ne font notées qu'à une ou deux voix» ce qui fait connoître que les Mufî- ciens de la Cour & de la Ville n'é- toient pas fort profonds en Mufîque dans cetems-Ià; les plus fameux c- toient employez à la Chapelle des Rois , & dans les Cathédrales du Royaume.

178 Histoire de la Musique ,

Pour revenir à la focieté de nos pre* miers Poètes , Muficiens & Joueurs d'inftrumens cLpuis Charlemagne ; je dirai qu'ils alloient en Corps dans les Cours des grands Seigneurs qui étoient bien aifes d'entendre pen- dant leurs repas des Romances , qui contenoient les vertus de leurs An- cêtres; ils afîîftoient aux noces des gens de coniideration, chantant des Epitalames convenables iuivant les qaalitez des mariez ; ils fe trouvoient à toutes les Fêtes publiques, faifant toujours bonne chère, & gagnant beaucoup d'argent ; ils furent fort en vogue au retour des guerres de la Terre Sainte, parcequ'ils compo- ferent quantité de Romances à la louante des Princes de la Croifade : ils chantoient auiïi les geftes ou nou- velles, contenant les faits mémora- bles des Héros, & des fatyres pour reprimer les vices des Peuples , à l'exemple des Grecs ; d^s chanfons , des lais, virelais, fonnets & balla- de?, chantant aufïï des faits de la Re- ligion à la gloire de Dieu, dont ils tiroient de bonnes recompenfes des

IT DE SES îFflTÎ, 2,j9

Seigneurs, qui bien fouvent leur don- noient juiqu'aux robes qu'ils avaient porté, dont ils (e paroient enfuite, pour faire voir au Peuple l'eftime que les Grands faifoient de leur fça- voir. Ces troupes de Rfufîçiens e- toienc gouvernées par les Poètes qui faifoient des Romances en rimes , qui fu ent d'abord inventez par un nommé Maure Enflache , qui fit ce- lui de Brut Tan 1300. Lanibert de Court & Alexandre de Paris com- poferenteniemble le Roman d'Ale- xandie k Grand en rimes ; un Guyot de Provins fit le Roman de la Bible ; un Hébert fit celui des fept Sages y un Gauthier de Beileperche Arbalé- trier, fit celui de Judas Machabée -r mais de tous ces Romans en rimes , celui de la Rcze commencé par Guil- laume de Lorrin , Se achevé par Jean de Meun*a paiTé- pour le meilleur- j Huon de Mery fut encore un bon Poète des premiers tems -, bien des Auteurs ont cru que le Dante , Pé- trarque , la Riofte & le TaiTe, font redevables à Tes Trcuvtrs & aux Ro- manciers de la perfection de leurs ou- rages.

1S0 Histoire de la Musique,

Dans le recueil des chanfons Se raudevilles dont Olivier BaflTelin eft le premier Auteur , les plus eftimez font celles du Roi de Navarre, quoi- que les confonances en foient fort dures ; mais l'on n'en trouve pas une faite fur le vin , je croi que c'en: Baïf ôc Ronfard ,. qui ont fongé les pre- miers à joindre l'Amour & Bacchus dans leurs chanfons , à l'imitation, d'Anacreon.

Mathieu Paris rapporte dans fon Hiftoire, que Guillaume le Bâtard Duc de Normandie , ayant entrepris la conquête du Royaume d'Angle- terre , fit chanter à la tête de fon Armée, les faits de Regnault Ôc de Roland, en Langue de France Ro- maine pour encourager les Soldats , ce qui lui fie remporter la Victoire. Guillaume étant Maître de l'Angle- terre y établit des Loix en cette Lan- gue, que les Anglois ont confervé long-tems, laquelle a été polie & perfectionnée par les Hiftoriens & par les Poètes François par fuccef- fîon des tems , à mefure qu'ils fai- foient des traductions des ouvrages

ST DE SIS EFFETS. lEl

des Auteurs François, qui font venus à notre eonnoiflanee au point ou nous les voyons aujourd'hui ; mais comme l'ufage de la Langue eft fu- jet aux révolutions , ainfi que toutes les autres chofes de la vie, peut être que dans un fiecle il faudra une nou- velle traduction pour les paroles des Opéra de Lully pour les chanter fur le théâtre, puifqu'il faut aujourd'hui un Commentaire vivant pour expli- quer de certains endroits des Comé- dies de Molière , comme on le voit dans celle de l'Ecole des Femmes, desPrécieufes ridicules, des Fâcheux & des Femmes Sçavantes; mais la Mufîque elt prefque immuable, un bel air, quoique vieux , ne perd ja- mais fa grâce.

Fauchet dans fes Antiquitez rap- porte que Thibaut Comte de Cham- pagne, & depuis,Roi de Navarre, de- vint (î éperdûment amoureux de la Reine Blanche merede Saint Louis, dont la vertu étoit incorruptible, qu'il ne pouvoit la voir (ans fortir de fon bon fens, ce qui l'obligea de s'en aller à Provins, il aiïembla

z8l HISTOIRE DE LA MlfSIQUl ,

fon Confeil pour trouver un remède à Ton mal % traitant Ton amour com- me une affaire tiès-ferieufe ; on ne trouva point d'expédient plus falu- taire que celui de la Mufîque & de la Poeiîe, aufquels il s'attacha pour difllper la violence de fa paiïîon , é- tant aufïï bon Pocte que bon Mufï- cien. Fauchet dit que Ton voyoit encore de fon tems des Vers écrits fur les murailles de la falle de fon Château de Provins à la louange de fa MaîtrelTe , dont j'en rapporte ici quelques-uns, pour faire voir feu- lement le ftile des Vers de ce tenu- là, environ l'an nio.

Je ne dy pas que nus alrn follement Qje II plus fox en fet miex anrifier Mes grantettr y a méfier fouvent Plus que netfenSy ne raifon ne plaidier De bien amer ne peut nous enfeignier F>rs que li cuers qui dene le talent Cil en fçait plus & moins s'en peut aidier.

Le Roi de Navarre prit en amitié un Seigneur nommé Gaces Brufli, pour l'aider à compofer fes chanfons

ET DE SES EFFETS. l8$

cV complanees amoureufes ; parce- qu'il étou auffi bon Poète que bon Muflcien , & fore expérimenté en amour. Comme en efrlt il n'eft rien qui le détruife plutôt que l'abfence,. quand elle eft foûtenue de la Mu£- que êc de la Pocfie»

Fauchée rapporte encore une Hi- iloire finguliere touchant la Muri- que , arrivée dans le même fiecle à Richard premier Roi d'Angleterre &c DucdeNormandie,qui fe croifa pour la guerre de la Terre Sainte, ce Prince paiToit pour l'un des plus braves de fon temps ; il maltraita de paroles Leopold Duc d'Autriche au Siège d'Acre , lequel n'ofa fe vanger par les armes ; mais il attendit que Ri- chard pariât par l'Autriche, en s'en retournant de l'Armée : Richard en ayant quelque foupçon,& craignant auiîi d'être arrêté fur les Terres de France, laifla fes équipages étant prêt d'entrer dans ce Duché, & donna un rendez-vous à fes gens fur les fron- tières de Normandie ; de forte qu'- ayant donné fes ordres , il fe déguifa en Religieux, ôc partit une nuit tout

i?4 Histoire de la Musique,

feul comme un Hermite ; mais le Duc d'Autriche ayant mis desefpions à fa fuite le fit arrêter en panant de- vant un de Tes Châteaux, & le re- mit enfuite entre les mains de l'Em- pereur Henry ennemi déclaré de Ri- chard , fans néanmoins que perfon- ne en eût ni vent ni nouvelle. Un an fe patTa fans que les Anglois le mirent en peine de fçavoir ce qu'il étoit devenu, parcequ'ii écoit auiTl orgueilleux qu'intrepiderces qualitez le faifoient plus craindre qu'aimer des Grands ; mais il avoit lailT'é à Londres un nommé Blond el Maître de fa Muilque , & homme de tête , lequel ennuyé Se chagrin de ne plus voir fon Roi qu'il aimoit pafîionné- ment ( parce qu'ils compofoient en- femble des chanfons agréables , & que Richard fçavoit la Muiique comme la Poeiie , & avoit la voix belle , ) partit de Londres vêtu en Pèlerin , fous prétexte d'aller faire le voyage de la Terre Sainte ; mais c'étoit dans le deffein de fçavoir ce que pouvoir être devenu fon Maî- tre ; il roda par toute l'Allemagne,

IT DE SIS ÏJÏET5. lSj

prenant langue de Châteaux en Châ- teaux & dans les Villes, pour fçavoir les FortereiTes j de forte qu'il arriva par un bonheur dans un Village ap- pelle Lofenftein 3 fuué près d'un Châ- teau qui appartenoit a l'Empereur Henry.Etant dans un Cabaret il s'en- tretint avec l'Hôte pour fçavoir qui logeoit dans ce Château : il lui dit qu'il n'y avoit qu'un prifonnier que l'on gardoit fort étroitement & qu'on ne fçavoit qui il étoit , qu'il y avoit près d'un an que l'Empereur le te- noit-la; ce qui fit d'abord juger à Blondel , que ce pouvoit bien être celui qu'il cherchoit. Comme il fça- Toit trois ou quatre fortes de Lan- gues , il fe fervit de la Françoife pour tâcher de pouvoir s'entretenir avec quelqu'un du Château ; il fuppofa d'être incommodé pour refter plus de tems dans le Village fans être foup- çonné : de forte qu'une fois il alla le promener autour du Château ,8ç s'étant mis fous une fenêtre grilîée, cùil jugea que ce Prifonnier pouvoi' être, il entonna une chanion qu'i^ I avoit compofé avec le Roi Richard

it6 Histoire de la Musique, mais il n'en chanta que !a moitié, & prèra l'oreille fort attentiven eut pour entendre il on ne lui répondoit pas ; aufïî-tôt il entendit la voix de fon Maître qui acheva le refte de la chanfon; Blondel charmé de cette heureufe découverte, fe retira chez fon Hôte fans rien dire , pafïa fore agréablement la nuit, & le lende- main il partit pour revenir à Lon- dres, annoncer cette heureufe nou- velle aux Milords, qui aiTcmblerent le Confeil , ôc envoyèrent un Am- bafTadeur à l'Empereur Henry pour traiter de la rançon du Roi d'Angle- terre. L'Empereur nia d'abord l'a- voir en fa poifefïîon ; mais l'Ambaf- fadeur lui ayant fait le récit comme il avoit été découvert par Blondel Maître de fa Mufique,il jugea que c'étoit un effet de la Providence , loua fort le Muficien & compola de la rançon de Richard à cent mille marcs d'argent. Fauchet dit avoir lu cette Hiftoire dans une Chronique Françoife écrite du tems de Philippes Augufte environ l'an 1200, je la rap- porte ici comme un effet delà Mufi- que.

ET £> E SES EFFETS. 287

Pour revenir à Charlemagne, on fçaic qu'il aimoit pafïlonnemenr la Mufique, & qu'il afliftoit à toutes les cérémonies de l'Eglife vêtu de la chape Impériale, aux Fêtes folem- nelles, chantant comme les Chan- tres à l'Office divin ; il aima les gens de Lettres, les beaux Arts , & fur- tout les Poètes êc les Muficiens ; il mourut environ l'an 814 âgé de foi- xante-douze ans , après en avoir re, gné quarante-fept.

Louis le Débonnaire fucceda à Charlemagne Ion père, & fut cou- ronné Empereur àReims par le Pape Eftienne IV. qui vint expi es en Fran- ce pour cette grande cérémonie Lan 816, tout le Clergé & toute la Cour afîifta ; ce Pape a voit fait corn- pofer des Cantiques convenables au fujet , entr'autres Te Deurn Uudamus 9 qui furent chantez à ce Sacre avec une Mufique des plus confiderables ; il aimoit (on Peuple 6V leur donnoit fouvent le divertilTement des Roman' ces dans les Places publiques, chan- tées par les Meneflrels , Chantres, & jouées par les Jongknrs , qui compo-

i88 Histoire di la Mwsiq^ï ,

foient le Corps de Mufique donc j'ai déjà parlé ; mais il ne permertoit pas qu'ils chantafTent en fa prefence au- tre chofe que des faits mémorables & vertueux , concernant les bonnes mœurs pour l'inftrudtiondefbn Peu- ple , refervant le Corps de fa Mufi- que pour les fonctions de fa Cha- pelle. Sa trop grande bonté lui attira une confpiration tramée par Bernard fils de Pépin fon frère , laquelle fut découverte ; il y eut plusieurs Pré- lats qui y trempèrent , entr'autres un nommé Theodnlfe Evêque d'Or- léans , qui fut condamné à une pri- fon perpétuelle à Angers ; mais com- me il fçavoit la Poefie & la Mufi- que en peifection, il compofa dans fa prifon l'Hymne de Gloria 3 Uns & honor qui exprimoit fa douleur, ayant la voix excellente ; de forte qu'un jour l'Empereur partant par hazard devant fa prifon dans le tems qu'il chantoit fon hymne , il s'arrêta pour l'entendre , dont il fut fi touché qu'il confentit fur le chsmp l'élargifle- ment de cet Evêque, & depuis ce tems la PEglife chante cette hymne

le

ET DE SES EFFÎTS. 2 $9

le jour de Pâques fleuri ; la clémen- ce de l'Empereur lui attira encore une féconde confpiration formée par Tes enfans, qui le dépoferent pour un tems de l'Empire à la faveur du Clergé, dont la puiilance étoit mon- tée au dernier degré , comme on le voit par le procès verbal qui fe trou- ve dans Faucher , touchant la dé- gradation de cet Empereur, qui fut néanmoins rétabli ; mais il mourut peu de tems après âgé de foixante- quatre ans , fon règne fut environ de vingt- fept ans. Un peu avant fa mort, le Comte Baudry lui prefenta un Prêtre de Venife nommé George , natif deBenevente, qui s'engagea de faire un jeu d'Orgues à la façon des Grecs -, comme cela étoit fort rare en France, l'Empereur donna ordre de le loger dans le Palais d'Aix , ÔC chargea fon Maître de Mufique nom- mé Vuntdfe , de fournir au Prêtre George tout ce qui feroit neceiTaire pour la compofition de fon ouvrage. Ce fut aufïi fous fon règne que l'on vid des Horloges en France, dont fa première fut apportée à Charîema*

N

290 Histoire de Musique, gnc par les AmbatTadeurs de ia Ville de Jmifalem, & ce font les Horlo- ge Kits d'Allemagne qui ont inven- té les carillons des cloches & des horloges. Aimrin Geft, de Frdn. Fan- chît , Anne.

Après la mort de Louis îe Débon- naire, Charles le Chauve fut cou- ronné Roi de France l'an 869 ;'j & Tan 875, il fut appelle à l'Empire, fon Sacre fe fit a Rome , avec une magnificence digne de fa grandeur; comme il aimoit les beaux Arts, cha- cun s'employa à lui faire voir les preuves de fou fçavoir, dont il avoir une grande connoiiîance , puifque Aymon , & de Fioard Auteurs du li- vre des Çeftes des Archevêques de Reims , difent que Charles le Chau- ve compoioit aufli bien des Vers, qu'il fçavoitla Mufîque, & qu'il en- voya chercher dts Gens de Lettres jufqu'en Aiie, pour faire fleurir les Sciences en France. Ce fut lui qui abolit l'ufage des combats des Cham- pions , dont on fe fervoit pour fa ju- stification , ou pour la découverte de quelque fait important; comme auffi,

ÏT DE SES EFFETS. i.91

les preuves des fermens qui fe fai- foient par l'épreuve du fer chaud', par celles de l'eau froide &-de l'eau bouillante erïprefence duCleigéqui en faifoit les cérémonies , accompa- gné de Mudciens qui chantoienc des Cantiques en faveur de celui qui fe purgeoit par ces épreuves , 6V dont l'innocence étoit ieconnue quand il en fortoit fain 6V fauve, au lieu qu'il en coûtoit la vie aux coupables. Je croi devoir rapporter icipour iatis- faire le Lecteur, les Oraifons que les Evêques & les Abbez en réputation de bonne vie & mœurs, difoient au- paravant de faire l'épreuve pour in- voquer ia Juftice divine, afin qu'il plût à Dieu de faire tourner la Vi- ctoire du côté du bon droit.

ORAISON Pour l'épreuve de l'Eau bouillante.

Dieu jufte Juge , fort & patient t qui aime & es Auteur Je U Juftice , & juges droit ement ; juges Seigneur es qnieft jufte, car tes Jugement- font droituriers : toi qui regarde fur k terre (? ia fais trembler»

Nij

'

î^i Hîstoisli di la Musique, toi Seigneur, qui par l'avènement dit m fils Jefus-Chrift as fauve le Monde , & far fa Paffion racketté le Genre hu- main ; toi qui fauvas les trois Enfans , Sydrach t Mifach , & Abdenago , mis dans la foumaife par le commandement du Roi de B*bylone , veuilles par la cle- mense fantlifier cette eau bouillante fur le feu y & par ta puiffance & bonté , faire que fi aucun innocent met fa main de- dans il la puijje retirer faine & entière , comme tu fauvas les trois Enfans de la fournife ardente >t & Suzane de lafauffe aceufation ; mais fi aucuns malfaiteurs ayant le cœur endurci par le Diable , efe y mettre la main , il plaife a la très-jufte £omé le déclarer, afin que ta puiffance j Ytt évidente en J rw corps , & que fin urne pivjfe être fauvée en faifant pénitence & fi repentant défis méfaits.

ORAISON

Pour la confecration de l'épreuve par le Fer chaud.

Dieu jufte Juge, qui es auteur de faix , & jugts félon la droiture , nous te fupplïtm bien humblement qu'il te plarfe

IT DE SES EFFETS. 29$

bénir & fantlifier ce fer ordonné pour la preuve & examen de tontes chofis don- t eu fes ; de forte que fi tel ... . tftin* nocent de tel crime ( on nommoit le fait ) il pu'iffe en fes mains prendre le fer ar- dent ; mais s'il efl coupable , il pi al fe par ta vertu le déclarer» afin que l'iniquité ne gaane pas fur la juftice , ains que le tort demeure vaincu par l'iniquité t &c.

Il y avoit dans celle de pafTer les pieds nuds fur les fers ardents, une autre invocation^ une autre oraifon pour être baigné dans l'eau froide j toutes ces Oraifons fe chantoient pontifîcaîement.

Faucher dans fes Antiquitez dit, que Louis lejeune Roi de Germanie, ne pouvant avoir raifoii de Charles le Chauve fon oncle, à qui il rede- mandoit la Lorraine; il lui envoya trente Ambalfadeurs pour faire les épreuves, dix pour l'eau bouillante, dix pour l'eau froide , & dix pour le fer chaud, fuivant l'accord fait avec Charles le Chauve , ce que les Arn- bafïadeurs firent devantluifans aucun dommage ; mais malgré ces épreuves

N iij

294* Histoire de la Musique, il ne voulut point rendreà Louisle Jeune ce qui lui appartenoit fi légi- timement, ce qui fut caufe en partie que cet Empereur en fit abolir l'ufa- ge par un Synode confiderable ; par- ceque Ton prétendit qu'il y avoit de la fraude par les précautions que ceux qui s'expofoient prenoient au- paravant, foit par des paroles ma- giques ou autrement, comme nous avons vu de nos jours des Charla- tans qui mangeoient des charbons ardens , d'autres qui fe faifoient ver- fer du plomb fondu fur les mains, & s'en lavoient comme avec de l'eau, fans que cela fift aucun effet.

Les femmes étoient auili admifes à ces preuves pour leur justification, quand elles étoient aceufées de faits graves, comme d'adultère, empoi- fonnemens &" arTaiTinats, qu'on ne pouvoit prouver par témoins ; mais pour celle du combat des Cham- pions en champ clos , il n'y avoit point d'artifice , car il en coûtoit la vie à l'un ou à l'autre , ce qui fub- fifta parmi les François jufqu'en 87J comme une Loi j Se peu de terris après

ET © E SES ETE1TS. l<)$

cette fupprefîion, Charles le Chau- ve fut empoifonné par Ton Médecin Juif nommé Ssdtcias , quoique cet Empereur l'aimât tendrement ; quel- ques Hiitoriens ont prétendu qu'il fut empoifonné, à caufe du mépris qu'il avoit fait des épreuves des Am- bafladeurs de Louis le Jeune Roi de Germanie.

Mais l'Empereur Othon voulut encore que les controverfes de l'E- glife fulTent vuidces parles duels en champ clos ; c'eftpourquoi chaque Diocefe & grottes Abbayes avoient toujours leurs Champions, ou Vicai- res - Chevaliers prêts à combattre. Chevreau, l.$.ck.n. raporte qu' A lfon- ie V. & le Pape Grégoire VII. vou- lant introduire la Liturgie de Saint Ambroife à Tolède, le Clergé & le Peuple s'y oppoferent fortement ; le Roi 9 le Pape & le Clergé demeurè- rent d'accord que ce différend feroit décidé par le combat, le Cheva- lier d'Alfonfe-fut vaincu par celui du Clergé 5 cette cérémonie comme je l'ai déjà dit, fe faifoit avec une grande Mufique ôc chants d'allegref-

N iiij

i$6 Histoire ci la Musique 9 fe compofez à la gloire du Vain- queur.

Depuis la mort de cet Empereur juf- qu'à Hugues Capet , on trouve peu dechof© remarquable dans l'hiftoire touchant la Mufique , Ci ce n'eft qu'a- près la dépofitiorf de Charles le Gros Empereur & Roi de France l'an 887, il fut fi abandonné des Grands & des petits , qu'il n'auroit pas trouvé à manger ni à coucher fans Ton Maî- tre de Mufique qui prit foin de lui fournir fon neceiTaire, jufqu'à ce que Luitberg Evêque de Mayence, lui eut abandonné le revenu de quatre Villages pour fubfîfter , dont il ne jouit pas long tems , puifqu'il mou- rut l'année fuivante. Chevreau dit qu'on croit qu'il fut étranglé par l'ordre de fes ennemis , dont les plus grands etoient fa feeur Hildegarde , éz Arnould fon neveu qui remplit fa place pour l'Empire.

Charles le Simple fut reconnu Roi des François, mais étant incapable du Gouvernement à caufe de fon ex- trême jeuneiïe ; Eudes fut élu fon tu- teur & fe fit aufïï couronner à Sens par

ET B! SES EFFETS. 297

Gautier , à caufe du démêlé qu'il eue avec l'Archevêque de Reims quis'é- toit oppofé vigoureufement à fa tu- telle y c'eftpourquoi la cérémonie ne fit pas honneur à la Mufique. Quel- que Chronique de l'Abbaye de Clu- ny fait mention d'un nommé Eudes Moine de cet Ordre,. pour être un des plus fçavants Muficiens qu'on eût vu en France fur la fin du neu- vième fîécle. Fattcket en frit mjft une remarque, Uvjlu ch. 61.

Louis IV. dit d'Outre-mer, étant à Tours avec toute fa Cour environ l'an 940, quelques-uns de fes Cour- tifans entrèrent dans l'Eglife de Saint Martin dans le tems que l'on y chan- toit l'Office ; ils furent fort furpris d'y voir le Comte d'Anjou nommé Fougue IL placé au rang des Cha- noines , qui chantoit l'Office com- me eux, parcequ'il airnoit la Mufi- que ; ces Courtifans vinrent dire au Roi que le Comte d'Anjou étoit de- venu Prêtre ; il fe mocqua un peu de la dévotion du Comte, fur le récit qu'ils lui en firent : cette raillerie dé- plût Ci fort au Comte d'Anjou, qu'il

N v

29$ Histoire de la Musique,

écrivit dès le lendemain une Lettre au Roi Se lui manda ; Sçachez., Sire> qnun Roi fans Mufique tfi wn Afne couronné, pareeque le Roi étoit dans le cas. Les Ànglois eurent leur rai- fon pour l'élever dans l'ignorance pendant les troubles en France ; mais loin de fe fâcher de ce repro- che , il le reçut en bonne part , a- vouant tout haut à Tes Courtifans , que le Comte d'Anjou avoir raifon,& qu'il failoit que ceux qui vouloient gouverner les autres, en içufTent plus que ceux qu'ils gouvernoient : ce trait Hiftorique peut fervir d'exem- ple à bien des Princes ; le règne de Louis d'Outre-mer fut fort court, pareequ'il mourut d'une chute de cheval à la chaife du Loup l'an 954. Antiquité*, de Fœnchet , liv. 12. eh. ir. Et Du H ail Un 3 Hiftoire des Comtes d'Anjou.

Louis V. dit le Fainéant, fut le dernier des Rois de France de la race des Carloyingiens , qui finit Pan 9S7. Hugues Capet qui étoit Connétable & Comte de Paris, fut é lu Roi de France par l'Aflfembléedes Etats.

ET DE SES ÏÏF'ITS-, 299

Robert furnommé le Dévot & le Sage y fucceda à Hugues Capet Ton pere l'an 997, qui eut foin de lui donner pour Précepteur Gerbert Ar- chevêque de Reims, dont le pro- fond fcavoir le fît monter à la Pa- pauté Tous le nom de Sylveftre II. de forte que ce grand Homme rendit le Roi Robert le plus fçavant de tous les Rois fes Predeceifeurs ; il fut aufE verfé dans la Poè'fie que dans la Mu- fîque, Se compofa quantité de Can- tiques Se d'Hymnes à la gloire des Saints Martyrs, que l'on chante à l'Eelife j fa femme Confiance voulut qu'il en compofât un à fa louange : il le fie en Latin, tk commencoit fui- vant l'explication Françoife par, O confiance admirable âcs Martyrs, La Reine le chantait fou vent fans fca- voir ce qu'elle chanro't, pareequ'- elle n'entendoit point le Latin ^ mais elle croyoit que c'étoit à fa louange, quoique ce fût à la gloire des Mar- tyrs j fuivant l'intention de Robert qui voulut feulement y mettre le nom de Confiance fa femme pour la contenter, comme le rapporte Ni*

N vj

3co Histoire de la MusiQtfE, cole Gilles , Auteur du tems de Ro- bert Roi de France.

Depuis ce tems- là, il femble que les François s'attachèrent plus à Tare cfc la Guerre qu'à toute autre chofe ; à peine un enfant avoit-il dix ou douze ans, qu'on lui mettoit l'épée au côté , plutôt que de lui appren- dre à lire j les Sciences & les Arts Ce maintinrent feulement parmi les gens d'Eglife, de forte que jufqu'au règne de Saint Louis , on ne trouve point d'Auteur qui fafTe mention de la Mufique, il eft feulement dit que Saint Louis fonda une grande Meffe en nottes, qu'il entendoit tous les jours , qui eft celle qui fe chante aujourd'hui à la Sainte Chapelle , qu'il fit bâtir à fon retour de la guer- re de la Terre Sainte -, mais Joinvillc qui a fait la vie de Saint Louis , ne dit pas qu'il eut un Corps de Mufi- ciens à fa fuite, quoiqu'il aimât fort laMufîque. Le chant n'étoit dans ce tems qu'à une feule voix, car on n'a- voit pas encore en France la connoif- fance de la Mufique à deux parties, comme on le voie par le manuferit

IT Df SES EFFETS. $ei

des chanfons du Comte Thibaut Roi de Navarre, du Comte d'Anjou, &c d'autres, qui fe trouve aujourd'hui dans la Biblioteque du Roi , qui efl peut-être celui que Fauchet dit avoir vu dans celle de M. de Mefme Com- te de Roiffy : qui plus eft , c'eft qu'on ne trouve point les noms des Mufi- ciens François, qui ont mis en ufage le chant en différentes parties , ce qui fait croire qu'il peut nous venir d'Italie. Outre que les Hiftoriens, ni les Auteurs desChroniques deFrance, n'eftimoient pas aflez les Muficiens François pour en faire mention dans leurs écrits , ils regardoient ceux qui couroient les Villes Ôc les Châteaux des Grands Seigneurs pour chanter leurs Romane^, comme des Batte- leurs qui vont de Foire en Foire pour amuier le Peuple , outre que leurs Romances devinrent fi fabuieufes de- puis les guerres des Croifades, qu'- elles firent regarder ce Corps de Mu- ficiens, comme des Impofteurs , ce qui les obligea de changer leurpro- feffion en celle de Comédiens fpi- ruuels ; ils compoferent des ef-

joi Histoire di la Musiqus, peces de Comédies pour reprefenter des fujccs pieux , tels que la Paffion de Jefus-Ghrift, la refurre&ion du Lazare, la converhon de la Magde- leine, &c. qu'ils vinrent jouer à Pa- ris comme des Pèlerins qui venoient de la Terre Sainte, ce qui marque l'origine des Comédiens en France, a-infi que Boileau le rapporte dans Tes œuvres^ il n'y avoitque les Maîtres de Mufîque des Chapelles des Rois, & ceux des Eglifes Cathédrales qui fuifent en quelque recommendation. Nos Rois jufqu'a François I. avoient des Le&eurs qui lifoient pendant i leurs repas des Faits hiïtoriques, au lieu de Muficiens, outre que les fpe- ctacles publics n'ecoient pas encore en ufage , mais feuîerxjent les Bais, & les Tournois Fuifoiënt le divertif- fementdes Rois & des Grands Sei- gneurs , c'eftpourquoi je pa(Te les règnes de bien des Rois , Faute d'a- voir rien à dire de remarquable de- puis Saint Louis touchant la M uni- que, jufqu'au règne de François I, pour ne me pas écarter de mon fu- jet, du moins autan* qu'il eft poffi-

IT DI SES EïFITt. $0$

ble, dans une recherche aufïï diffi- cile que Pcft celle ci.

Les Hiftoriens donnent ordinai- rement à François I. le titre de Re- ftaurateur des Lettres & des beaux Arts , qui étoient fort tombez en France avant Ton règne ; pareequ'ii inftitua un Collège Royal dans Pa- ris 9 pour le rctablifîement de divcr- fes Sciences , & les Langues necef- faires pour les acquérir ; il fît venir en France les Perionnes les plus cé- lèbres de l'Europe pour l'exécution de Tes defïeins.

Cet établilTement confiftoit en trois Chaires; la première, pour la Langue Hébraïque, qui fut donnée à François Vatable, fameux pourfes. remarques fur l'Ecriture Sainte ; la féconde, pour la Langue Grecque, à Pierre Danez , qui fut enfuite Eve- que de Lavaur ; ôc la troifîéme , de- itinée à enfeigner les Mathémati- ques, que Ton partagea entre deux fameux Profelfcurs nommez Grevée Fince, & Jean Martin.

Comme la Mufique eft une partie des Mathématiques, cette profonde

304 Histoire di la. Musique,

Science forma des Elevés qui firent fleurir la Mufique en France. Fran- çois I. ayant un grand penchant pour les plaiuxs, en établit un corps pour tenir appartement, afin de fervir de prétexte aux Dames de la Cour d'y venir plus fouvent , & même fans êcre mandées en cérémonie, comme il fe praciquoit auparavant, à moins que ce ne fût au cercle de la Reine ; cet écablifTement fut aufli. regardé comme un effet de la pafïïon de Fran- çois I. pourlaComtetfedeChâteau- briant.

Outre la Mufique de la Chambre, il y avoir celle delà Chapelle, la- quelle fuivit le Roi en fon voyage de Milan en 151 5. elle fe joignit à celle du Pape Léon X. lorfqu'il celebroit la Melîe, avec la plus grande ma- gnificence que jamais Pape ait fait voir pendant fon féjour en la Ville de Boulogne, lieu de leur entrevue pour ce fameux Concordat.

Les divertitremens des Seigneurs avant ce temps-là, confiftoient en Bals, Balets Se Mafcarades ; les an- ciens Tournois écoient encore en

ET DE SES EFFETS. 305

afage , mais ils ont prefquc cefle de- puis que Henry 1 1. y fut mortelle- ment blefTé par Montgommery d'un coup de lance; on voit dans l'éloge de ce Prince qu'il aimoit beaucoup la Mufique.

Les premiers établiflemens que fit François I. pour les Sciences, furent conduits par les avis de Jean du Bel- lay Evêque de Paris , par Guillaume Budé Maître des Requêtes , & Pierre du Chaflel, qui étoit l'Introducteur des gens de Lettres auprès du Roi ; ces trois grands Hommes reprefen- terent encore à François I. qu'il man- quoit un nouveau Collège pour en- feigner d'une manière nouvelle , les Humanitez , la Philofophie & la Mé- decine 5 fa Majefté y pourvut avec toute la dépenfe digne d'un fi grand Roi , pour rendre la France plus floriflante qu'elle n'avoit jamais été. Cet établiflement fut fait en 1530. Plufieurs Gentilshommes da Royaume , fçavoient à peine figner leur nom ; ils faifoient confifter toute leur habileté dans l'art de la Guerre, & dans l'adreffe des Tournois. Ils fe

$o£ Histoire de la Musique, faifoient un mérite de leur ignoran- ce, fuivant la remarque qu'en a fait Vanllas, daris la vie de François I. Cet Auteur dit que les titres les plus anciens de la Monarchie Françoife font fort fouvent jans Signatures , &; que l'on appîiquoit feulement les fceaux ou cachets des Gens de con- fédération au bas des Actes, pour marquer le confentement &la pre- fence des Contractons ; de forte que les Arts étoient fort négligez avant François 1. fur-tout parmi les Cour- tifans : ce n'eft pas qu'il n'y eût des Gens de Lettres en France , parmi les Gens dEglife, dans la Robe, ÔC dans les autres Etats qui étoient en grande confédération -, mais commu- nément parlant, avant ce règne les François fe piquoient plutôt de bra- voure que de fcience.

Ce n'étoit pas aiTez de i'établiflc- mcnt de ce Collège , & de tant d'au- tres qu'il y avoit à Paris , pour faire de grands progrès dans les Sciences, fans le fecours d'une Bibliothèque Royale -, comme l'Imprimerie n'avoit cté inventée qu'au fiécle précèdent

IT DE SES EFFETS. 307

environ Tan 14*0, les Livres étoienc aiïez rares , & les manuicrks fore chers. François I. fut encore folli- cité par les Sçavans, de faire la dé- penfe d'en aifembler une quantité fuffifante qui pût former une Biblio- teque digne de fa Grandeur j le foin en fut encore donné à Budé , & à Jean Lafcaris, qui avoientune con- noitrance admirable des Livres & des Manufcrits Orientaux. Ce dernier eut ordre d'aller faire ces voyages dans les Cours de i'Furope ôc dans TOrient, il en acheta qui valoient jufqu'à cent Ecus d'or le volume, qui étoit en ce tems-là une fomme confiderable ; il apporta entr'autres quantité de beaux Traitez de Mufî- que 5 pour laquelle fa Majefté avoic beaucoup d'inclination , qui fêrvi- rent à perfectionner les Maîtres qui faifoient profeflion de cet Art, donc le fçavoir étoit fort borné dans ce tems-là.

Cependant le principal embellif- fementde cette cun'eufe Biblioteque eft en partie à la Reine Catherine de Medicis époufe de Henry II. Eilç

joS Histoire di Mersiçtfi, fie apporter de Florence tous les Li- vres & les rares Manufcrits que Lau- rent de Medicis Ton bifayeul , fur- nomrnè le père des Mafes , avoit acheté des Turcs ; après qu'ils eurent pillé Ja fameufe Bibiioteque Impériale de Conftantinople , Ville Capitale de l'Empire d'Orient, & le centre des beaux Arts.

Ce qui contribua encore à perfe- ctionner la Mufique en France , ce fut quantité de Muficiens Italiens qui fuivirent cette Princefle àfon maria- ge, & qui donnèrent beaucoup d'é- mulation aux nôtres j ils commen- cèrent à changer leur méthode (im- pie, pour fe conformer en quelque façon à la délicatefTe de la Mufîque Italienne, tant pour la vocale, que pour Pinftrumentale , que l'on peut dire être parvenues depuis à leur dernière perfection , par la force du génie du fieur de Lully , le plus fa- meux Muficien que nous ayons eu en France.

On trouve dans les Mémoires de M. de la Foreft Ambaffadeur de Fran- çois I. à Conftantinople , pour le

1 T DE SES 1 F -F E T S. $0£

Traité fait avec Solyman 1 1. Tan 1545 , que le Roi croyant faire plai- fir à Ton nouvel Allié , lui envoya un corps de Muficiens des plus accom- plis, croyant lui faire un prefent di- gne de fa Grandeur. Solyman le* reçût d'abord très- favorablement , & leur donna le tems de lui faire en- tendre trois difTerens concers dans fon Palais en prefcnce de toute fa Cour y il en parut fort content par rapport à la fatisfaéHon de l*ouye $ mais ayant remarqué que cette Mu- fique amoliiïoit fon ame guerrière , il jugea par lui-même qu'elle pou- voit faire encore plus d'impreilion dans celle de fes Courtifans. Il loua fort les Muficiens , néanmoins com- me il apprehendoit que la Mufique ne caufât par la fuire de fon ctablif- fement , autant de defordre dans fon Empire , que la liberté de l'ufage du vin en peut faire naître ; cette réfle- xion l'obligea de renvoyer ce corps de Mufique , après avoir fait cailer tous leurs Inftrumens , avec défenfes aux Muficiens de s'établir dans fon Empire, fur peine de la vie : il leur

5ïo Histoire de la Musique, fit cependant un grand prefent pour les conioler de leur difgrace.

Soiyman crut encore que c'étoit un trait de politique de François I. car il dit à l'Ambaiïadeur de Fran- ce, qu'il croyoit que ion Maure lui avoit envoyé ce divertiilement pour le détourner des occupations de la Guerre, de même que les Grecs en- voyèrent aux Perfansle jeu d'Echecs pour ralentir leur pailion beihqueu- fe ; ils envoyèrent auiïï aux Grecs le jeu du Trie trac qu'ils avoient in- venté, comme un fymbolede la con- duite de la vie ; peut-être auiîi que Soiyman congédia ces Muficiens , pareeque fuivant le rapport duChe* valier Chardin dans la relation de fes voyages d'Orient, dit que la Mur fique eft défendue en Turquie, de mc.re que l'ufage du vin par la Loi de Mahomet. Ce fut dans ce tems- que Saint Gelais, Poète illuftre., commença à perfectionner la Poé- fîe, il ht quantité d< chanfons très* agréables. La France prenoit un nou- veau luftre lorfque François I. mou- rut à l'âge de cinquante-trois ans ,

ET DE SES EFFETS. 3 TI

& laiiTa pour Ton fuccelTeur Henry II. en !J4-7 ; & pompe fanebre fut des plus magnifiques qu'on ait jam^s vu en France, elle coûta près de trois millions, cécoit en ce tems-là une iomme immenfé.

Le règne de Henry 1 1. ne fut que de douze ans, & celui de François Iï. fur fi coure 6V troublé des cruelles Guerres civiles, foûtenuesparles Li- gues dans tout le Royaume, qu'il ne s'y pafïât rien de remarquable touchant la Muik]ue; il y eut feule- ment quelques fèces au mariage de ces Rois, èc de quelques Princes & Princefles la Mufiquc de la Cham- bre, Se celle de la Reine Catherine de Medicis régente, parurent avec aiîez de magnificence ; mais Henry mourut d'un éclat de lance dans l'œil en joutant dans un Tournois contre Montgommery 1 an 1559 .comme je l'ai déjà dit ; & François If. mourut 15 mois après d'une apoftumeàJ'oreille- ces règnes pendant treize à quatorze ans furent très-contraires à l'avan- cement des beaux Arts , qui ne peu- vent fleurir que dans la Paix, corn-

311 Histoire delà Musique , me les fleurs dans le Printems.

Charles IX. fucceda à François II. à l'âge de onze ans , Ôc fut facré à Reims L'an 1561. Il fut élevé dans la connoiflance des belles Lettres j fai- fant fort bien des Vers, comme on le voit par fes lettres écrites en Vers à Ronfard , aimant fort la Mufique. Ce fut fous fon règne que Jean-An- toine de Baïf, auffi fameux Poète qu'excellent Muficien , commença d'établir une Académie de Mufique dans fa maifon paternelle au Faux- bourg S. Marcel5où tous les Muficiens étrangers étoient bien reçus pour y coîjcerter,comme nous le voyons au- jourd'hui chez plufieurs Particuliers qui ont du goût pour la Mufique. Le Roi afïïftoit aux concerts de Baïf une fois la fe mairie avec toute fa Cour, dont il fortoit toujours très- fatisfait -, les concerts étoient un di- vertilfement fort rare à Paris dans ce tcms-là. Sainte Marthe qui a fait l'éloge de Baïf, dit qu'il fut aufli le premier qui compofaune Comédie en Vers François , dont il donna la re- prefentation à Charles IX. l'an 1567,

à

ET Di SES EFFETS. $T$

à l'Hôcel de Clugny près des Ma- thurins, les Comédiens François firent leur premier établ dément, il ne faut pas douter que le Poète Ron- fard n'ait a:cîe à Baïf a compofer cette première Comédie , étant allo- ciez dans la recherche des Sciences , des Arts , cV amis infepaLables au dire de la Croix du Maine, qui die aulîïque Henry Jlï.affifta aflfez fou- lent aux concerts de Baïf; mais ce divertilTement fut interrompu par les Guerres civiles environ l'an 1587. Cet excellent génie mourut peu de tems après ; c'eft à lui en partie à qui Ton doit la perfection de la Mufîque & de la Pocde dans le fei- ziéme fiécle, dont il avoit fuccé le lait à Venife.

Euftache du Corroys natif de Beauvais , fut encore un excellent Muficien, & Maître de Mnfïque de la Chapelle de Charles l X. lequel fut £onfervé dans fon emploi fous Henry 111. api es la mort de Charles IX. qui arriva Pan 1J74, âgé de vingt- cinq ans , ma^s avec faupçon de poifon. Il difoic fouvent qu'il fal-

O

$14 Histoire de la Musique, loit traiter les Poètes Ôc les Mu(l- ciens comme on fait les bons che- vaux , ies bien nourrir , & non pas les fouler crainte de les rendre trop pefans ; car l'on voit rarement des gens qui ont trop d'embonpoint fe perfectionner dans les Sciences & les Arts j il aimoit fort les gens de Lettres , compofa un Traité de la Vénerie , quantité de chanfons $c de lettres en Vers écrites à Ronfard.

La mort imprévue de Charles ÎX. fît revenir Henry III. en France, d'où il n'y avoit pas longtems qu'il étoit. parti, pour aller prendre 'pof- feiîïon du Royaume de Pologne en 1574. Il le quitta pour fucceder à la Couronne de France ; comme ce*, toit un Prince magnifique , il mit bien têt la Cour dans le goût des plaifirs, quoiqu'il £ût troublé de terris en rems par les guerres de la Ligue.

La première marque que le Roi donna de fa magnificence, fut^l'in- ïtitution de l'Oidre des Cheval ief« du Saint Efprit au nombre de cent, qui fe fi: dans l'Eglife des Augaftitts l'an 1579 ; pour uîïe marque d'hoti-

ET DE SES EFFETS. 5Î5

iieur refervée aux plus grands Sei- gneurs du Royaume, au lieu de l'Or- dre de Saint Michel qui s'étoit trou- vé fort avili fous les règnes préee- dens. Cette cérémonie fut faite avec une pompe extraordinaire, les Che- valiers ayant été traitez pendant deux jours fort fplendidement , avec des concerts , ce qui n'avoit point enco- re trop paru en France.

L'année fuivante Henry III. ma- ria Marguerite de Lorraine fa belle- feeur, au Duc de joyeufe l'un de Ces Favoris ; le Roi fit pour ce mariage une fête furprenante au Château du Moutier, qui dura quinze jours, pen- dant lefquels la Cour parut a chaque feftin avec des habits les plus ma» gnifiques, & les plus fuperbes que Ton eût encore vu à la Cour. Il y eut chaque jour des divertilïemens nouveaux , qui confiftoient en con- certs, bals, mafearades, combats à pied Se à cheval, joutes , tournois , & généralement tout ce qu'on peut imaginer pour contribuer au pîaifîr •d'une Cour la plus magnifique ôc la plus galante qu'on eût jamais vu ch

3ï6 HlSTOTRÈDE LA MirSïQUE,

France, donc la dépenfe fût t Mimée monter à près de quatre millions j les Poètes Ronfard Ôc de Baïf en eu- rent chacun deux mille Ecus , pour les Vers & la Mufique qu'ils corn- poferent poui cette fête , avec Beau- lieu ê-c Salomon, Maîtres de la Mu- fique i les décorations furent faites par Jacques Patin fameux Peintre du Roi , fans compter ia dépenfe des Muficiens qui furent tous vêtus fort proprement aux dépens de Sa Ma- jefté.

Il ne paroît pas que la Comédie Françoife fût encore fort établie dans ce tems à laCour^mais on trouve dans le Journal d'Henry ïïl. qu'il donna des Lettres Patentes l'an 1577, a une Troupe de Comédiens Italiens, qui j s'établirent a l'Hôtel de Bourbon, l'on donnoit quatre fols pour l'en- ; tièe, & peut être cinq a l'Hôtel de Cîugny, l'on jouoit la Comédie ] Françoiie, laquelle devint il licen- tieufe , qu'en ij^S , les Comédiens ! François furent bannis de Paris par Arrêt du Parlement rendu fur la Re* ! quête du Procureur General.

ET I) E SES EET ET S. 317

Au retour de cette fuptrbe fête du Château du Moutier, le Cardinal de Bourbon , qui étoit Abbé de Saint Germain des Prez , en donna une magnifique à toute la Cour, dont l'ap- pareil fut fans exemple. Il fit con- ftruire une efpece de Bâtiment fur la Rivière en forme d'un char de Triom- phe, pour faire palier toute la Cour,, du Louvre au Pré aux Clercs ; ce char écoit tiré par des Batteaux faits en forme de chevaux Marins, avec des Tritons, des Baleines, des Dauphins, des Syrenes , des Eturgeons Se des Tortues, reprefentans les Monftres Marins, jufqu'au nombre de vingt- quatre , ce qui formoit l'apparence <Tun Triomphe de Neptune. Il y avoic dans le corps de ces animaux artificiel? , toutes fortes de Mufî- ciens qui faifoient un concert fur- prenant, & d'autres gens pour 1\ éxe- cution du Feu d'artifice, qui fembloit fortir naturellement de la gueule 8c par les nazeaux de ces Monftres Ma- rins. L'appareil de ce fpe&acle avoic attiré tout le peuple de Paris fur les hoids de la Seine j mais l'exécution

O iij

$\8 Histoire beba Musique, ^our la marche de cette grande Ma- chine ne répond't pas tout-à fait au* defïèin de l'Inventeur. Quoique cette fête fut donnée le dixième Octobre, le Cardinal fit reprefenrer dans l'Ab- baye, un Jardin artificiel garni de- fleurs , de fruits 5c de tout ce que la* Terre peut produire d^agréable dans toutes les faifons ; le feftin fut d'une magnificence furprenante y accom- pagné d'un concert le plus nom- breux que Ton eût encore vu à la* Gour.

Quelques jours après , la Reine pas complaifance pour le Roi , & pou» faire honneur au mariage de ùt fceur,. donna une grande fête dans le Lou- vre, où l'on reprefenta un Balet de Cerès & de fes Nymphes , qui paru* fort nouveau 3 avec une grande Mu- iique, compofée parClaudin le plus- fameux Mufîcien qu'on eût encore vu en France ; & les entrées de Ba- lets furent de la compofîtion de Bal- tazarim Italien , qui depuis s'appeila Beaujoyeux , l'un des plus excellens Violons de l'Europe , que la Reine avoit fait venir d'Italie avec une

ET DE SES EFFETS. 319

feande de Violons da^nt il é.toit le Chef. Il fe rendit fi agréable à la Cour par l'invention de Tes Balets , êc par des reprefentations de fêtes, pour les feftins , que la Renie le fit ion premier Valet de Chambre.

Le Roi continua la fête p^r un Ca- roufel , ou un Balet qui fut danfé pas dss chevaux d'Efpagne dredèz pen- dant hx mois pour cet. effet, lefquels eombattoient en cadance au Ton des trompettes , des clairons & des au-» très Inftrumens militaires ; il y eut encore un concert mêlé de voix &" d'Inftrumens qui fut des plus ac- complis. Tous ces divertiflemens fi- »kent par un feu d'artifice fur laRi~ viete audevant du Louvre, qui fut drefïé fur des batteaux accommoder en forme de Galères à l'exemple de ceux des Romains, ce qu'on n'avoit point encore vu en France., La dé- penfe de toutes ces fêtes fut fi grande, qu'elle épuifa tous les fonds d'Hen- ry 'III. cela- fut caufe que le Roi fut plus modéré dans la fuite petàr la depenfe des fpe&acles, comme il pa- mt au mariage du Duc d'Epernon,,

Q i i i j

310 Histoire de la Musique, fait quelque tems après au Louvre fans aucune magnificence, quoiqu'il fûc auilï Ton Favori ; mais il lui don- na en récompenfe quatre cens mille Ecus (ous main, qui étoit en ce teais- une fomme prodigieufe.

Henry 1 1 1, voulant donner une bonne opinion au peuple de Ton zèle* pour la Religion Catholique, inlli- tua une Confrérie qu'on appelloit les P-hiïtens , dont la dévotion confi- ftoit à faire des Procédions folem- nelles depuis Saint Germain de l'Au- xerrois , jufqu'à Notre-Dame, en grande cérémonie ; le Roi y aiïiftoit avec tous les Grands Seigneurs, Se autres Confrères , vêtus de grandes robes de toile blanche, la tête cou- verte d'un chaperon & d'un voile qui leur couvroit le vifage ; ils étoient accompagnez d'une Mulîque pieu- fe , ce qui fut en partie caufe de l'établiiTement de la Mufique cho- rale dans les Eglifes Cathédrales du PvO^jMime environ l'an 1585, fuivant le jWtrnal d'Henry III.

On ne trouve rien depuis ce tems- là, qui mérite d'être rapporté tou-

ET DE SES ÏFF E T S, $lï

chant la Mufique , jufqu'a la mort de ce Prince, qui arriva (comme l'on fçait ) dans le trouble des Guerres civiles. Le Roi étant à Saint Cloud9 fat bieiîé d'un coup de couteau dans le bas ventre le 2. Août i ç S c* ; ie Royaume, & Pans tur-tout,te trouva fi embaraiïe par les troubles de la Li- gue, qu'on ne fie (a Pompe funèbre que long-tems après fa mort.

Le règne d'Henry IV. qui fucce- da à Henry lit. fat de vingt- un an ; comme ce fut encore un règne de troubles Se de guerre, on trouve peu de chofe qui mérite d'être rapporté pour les fêtes & les divertiîTèmens qui concernent la Muiique, encore que pendant les dix dernières années le Royaume fût tranquille. Ce Roi étoit (1 familier, qu'il aiMoit fans façon à toutes les fèces de /es Cour- tifans ; chacun fçait que Henry IV. eut le même fort que fon Prede- cefll'ur en 1610. Ce n'eu: pas qu'il ne Te foit fait pendant fon rè- gne quantité de mariages coniîd? :i- bles -y mais les cérémonies & les fêtes n'en furent célébrées qu'a l'ordinaire.

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512 Histoire de la Musique,

La Cour de la Reine Marguerite fenEpoufe fut très-favorable àïaMtt- fique ; comme elle aimoit la dépenfe, tous les Muficiens s'emprefloient de compofer des nouveautez pour fes diverti(Temens ; l'on trouve dans des Mémoires de fa vie, qu'il y eut des Muflciens de fa Chambre qui lui plu- rent un peu trop , témoin la chanfon faite pour marquer le goût qu'elle avoit pour un nommé Cominy Maître de Mufique de fa Chambre, & que toute la Cour chantoit par complai* fance pour la Reine , dont voici les paroles.

A ces bois , ces prez. & ces antres, Offrons les voeux , les pleurs , les fins 9 Za plume , les jenx a les ebanfons , D'un Poète ࣠un Amant, d'un Chan- tre.

Ce qui fait voir que les Mufïciens & les Poètes étoient allez eftimez dans ce tems là.

la Paix qui regnoit en France de- puis dix ou douze ans , l'avoit rendue û floriffante, qu'elle commençait de donner de la jaioufie à toute l'Europe,

| T Dr 5'E S* E F1FÏ T's: f rj.'

lôrfque la funeftc mort d'Henry IV. arriva.

Le règne de Louis XI 1 1. qui lui fucceda , fembloit promettre d'être heureux , & donnoit lieu d'efperer qu'on y verroit les Arts s'élever dans leur dernière pefe&ion ; mais ceç avantage étoit refervé à Louis le Grand, comme le plus grand Roi du Monde.

La féconde année du règne de Louis XIII. en i6ii, âgé de huit à neuf ans , fut remarquable pour la Muiic|ue, à caufe d'une fête publi- que qui fe donna à Paris au fujet de fon alliance avec l'Infante d'Efpa- gne , & de fa fceur avec l'Infant. Les plus Grands Seigneurs de la Çouç pour marquer leur joye de cette dou- .ble alliance , entreprirent de faire utv Tournois, ou une efvece de Caroufel, qui fut d'une magnificence furpre- nante ; on fit dreiîer dans la Place Royale une efpece de Temple, ou de Palais, en l'honneur de la Félicité, qui devoit être défendue contre tous ceux dont la jaloufie feroit naître l'envie de l'attaquer -, ce Palais étçis

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|14 Histoire di la Musique , orné de tous les attributs qui ont coutume d'accompagner la Félicité $ on y voyoit au deffus comme une efpece de Mont ParnaiTe , dont la Mufîque faifoit le principal orne- ment. Il y eut deux Quadrilles vêtues d'une magnificence furprenante , Tu- ne pour défendre le Palais , & l'au- tre pour l'attaquer, tous les chevaux des Seigneurs danfoient des Ba- lets difFerens au Ton des violons , des trompettes ,& de toutes fortes d'In- ftrumens dans toutes les attaques : cette fête fut terminée par une, illu- mination très- éclatante , avec des feftins&des concerts dans toutes les maifons des Grands Seigneurs de la Place Royale.

Le mariage du Roi ne fut accom- pli qu'en i6if dans la Ville de Bour- deatix5à caufe des factions des Grands Seigneurs qui s'y oppofoient, & à la faveur du Marquis d'Ancre. Les plus fameux Muiiciens fe trouvèrent à Bourdeaux, ils furent employez avec les Poètes du tems, pour mar- quer la grandeur Se la magnificence de cette heureufe alliance , par tou-

IT DE SES ïFFETS. 325

tes fortes de chvertiiïèmens.

L'entrée du Roi dans Paris après fon mariage , fut encore un fujet de nouveaux plaides -y die donna occa- sion aux Muiiciens de fane paroître leur fçavoir par difFerens conceus, de même qu'il en fut fait encore après la réduction de la Rochelle , 8c fur-tout à la nadTknce de Louis XiV. le 5 Septembre 1-638. L'on ne fit pas feulement des réjouulances iurpre- nantes dans Paris ; mais encore dans toutes les Villes du Royaume, ce qui fournit aux Muficiens , comme aux Poètes , un beau fujet pour exercer leurs talens : l'émulation fut générale entre tous les Arts dans le Rovaume, pour marquer la joye univerfclle de cette heureufe naifîance.

Louis X I lî. aimoit beaucoup la Mufîque ; Ton peut même dire qu'il étoit Muficien, puifque nous avons encore aujourd'hui un petit Livre des

airs de fa compofinon que M

m'a dit avoir eu en fe^s mains , & les avoir fait chanter par curiolité dans un concert en 1671. Sa. Majeftcfut fi fatisfaite d'entendre un nommé Du

fit Histoihe de la Musique, Manoir jouer du violon, qu'elle lui 6e expédier dos Lettres Patentes par lef- quelles elle le déclara Roi des Vio- lons , avec pouvoir de donner des Lettres de Maîtnfes moyennant duc livres, pour établir des Corps de cette profeSion dans toutes les Provinces du Royaume environ Pan 1630.

Ce Monarque mourut le 14 May 1643 , on lui fit une pompe funèbre des plus fuperbes, les Muficiens employèrent tout leur Art dans la Mufique chorale, pour faire reflfen- tir la douleur qui étoit répandue dans les cœurs de tous les François.

Louis XIV. furnommé le Grand, commença fon règne à l'âge de qua- tre ans huit mois fous la régence de la Reine Anne d'Autriche fa mère , dont le Cardinal Mazarin Italien étoit Miniftre. Le Roi fut facré à Reims l'an 1644. Peu de tems après ce Miniftre fit venir d'Italie les plus fameux Muiiciens pour donner à la Cour une reprefentation d'Opéra , que l'on n'avoit point encore vu en France ; il fut joué dans la fale du Louvre , le fujet étoit les Amours

ÏT SIS EïflTS. 517

d'Hercules, dont la compofitron Ita- lienne fut traduite en François pour la fatisfa&ion de toute la Cour j le fuccès donna des ouvertures pour la compofition des Opéra, qu'on a vu depuis en France ; on y ajouta des entrées de Balet dont le Sieur de Lully fit les airs, & ce fut par qu'il commença de donner à la Cour des marques de fon génie pour la Mufi- que.

En 1648, S'ignora Margherita Cofia Romaine, qui avôit aufîï un génie particulier pour les fpe&acles, & du talent pour la Poëfie , prepara pour le Roi un fête à cheval en for- me de Caroufel & de Balet, dont le fujet étoit un défi de la faix, &: de Mars ; il étoit compofé de quatre Quadrilles de trente Cavaliers cha- cune, montez & vêtus fuperbement ; ces fortes de divertiflemens avec la chaffe , & la Mufique de la Chambre amuferent la Cour jufqu au mariage du Roi.

Le Roi après fon mariage ht ion entrée à Paris en 1660, qui fut la plus fuperbe & l'a plus magnifique

32.S Histoire ©e la Musique,

du Monde ; elle fut fuivie de toutes fortes de divertillemens , & entr'au- tres d'un Caroufel extraordinaire , & d'une magnificence furprenante ; la marche étojt accompagnée de toutes fortes d'milrumens de Mufi- qu~. Dans ce tems-là le Sieur Lam- bert Maître de la Mali que du Roi ôc très-excellent Muiicien, perfection- na la manière de bien chanter, foit pour la hnefTe Se la déiicatelïe des porcs de voix, des paftages, des di- minutions, des tremblemens, des te- nues , des mouvemens & de tous les ornemens du chant qui peuvent flacer le plus agréablement l'oreille, avec une méthode admirable, & audeiïus de tout ce que les règles ordinaires de la Mufique avoient pu trouver jufqu'à ce tems-là en France; c'eft auflï ce qui a fait naître un goût (I gênerai pour la Mufique, qu'on la montre aujourd'hui à la JeuneiTe auiïi communément que TAritme- tique.

r Ce fut encore dans ce tems-là que Perincompofaune Paftoraie en Vers Liriques , dont Cambert fit la

ET DE SES EFFETS. Jl?

Mufique , laquelle fut reprefen- tée à Vincennes la Cour éroit pour lors. Cette première pièce fit regarder ce Poète, comme l'Inven- teur, ou le Reftaurateur de la Muiî- que Dramathique Françoife , ce qui fe confirme par les Lettres. Patentes & les Privilèges que le Roi lui ac- corda le 18 Juin 16 69, pour l'éta- blilîementde l'Opéra ; Se c'éft parde petites chaulons qu'on a trouvé le fin de cette Mufique d'aéfcion & de theatres,qu'on cherchoit depuis long- tems avec fi peu de luccès , parce- qu'on croyoit que le théâtre ne fouf- froit que des Vers Alexandrins, & des fentimens Héroïques , fembla- bles à ceux des grandes Tragédies ; outre la difficulté de mettre en chant ces grands Vers François , fans une grande attention pour la recherche des paroles convenables aux paf- fions & aux confonnances, en quoi le Sieur Charpentier de l'Académie Françoife a fi bien réuiïi, & que le Sieur Quinault a fi bien obiervé de- puis, y Ce font aulli en partie les chants de

340 H I STO I *E D^E LA. Ml/S I<JU I ,

plufieurs Dialogues de la compofition de Lambert , de Martin , de Pordigal, de BoiHct Se de Cambert fameux Mu- ficiens, qui ont fervi de prélude ou d'organe pour trouyer cette Mufique Dramatique Françoife fi confidera- ble pour les Récitatifs.

Comme le Roi fçait la Mufique en perfection , Se qu'il danfoit le mieux de tous les Seigneurs de la. Coar , il ordonna à Lambert Se à Lui 1 y de compofer un grand Balet dont le Sieur de Benferade fit les p&~ rôles , & Beauchamp les entrées ; ijfc fut accompagné le machines les plus-, furprenant-es de l'invention du Mar- quis de Souriiac , Se de la, Grille,, grands Mac h inities^ Se reprefenté au; Louvre en \&G\ , avec une magnifi- cence qui fmpailoit- tout ce qu'on peut imaginer des Opéra de Venife, le Roi y dan fa mafqué dans plu heurs entrées : Ton peut dire qu'il efFaçoit. par fon grand air Se fa. bonne grâce, tous les plus fameux Danfeurs de la Cour qui parurent à ce fpe&acïe Royal : je fuis perfuadé que c'eft une louange infiniment au delîbus de fa

ET DP SIS ÎFFETS, 35I

Majefté, comme de dire qu'en dix- huit mois elle égala Ton Maître de guitarre , que le Cardinal de Maza- rin a voit fait venir exprès d'Italie ? pour lui montrer à jouer de cet In- ftrumentquiétoit fort en ufage dans ee tems-la j je fçai encore fort cer- tainement que dans jeunefîe elle a furpafle tous les Princes de l'Eu- rope , pour la perfection de Ces eier- cices ; fon difcernement eft fi julte aujourd'hui pour la Mufique, qu'elle diuungue parmi une troupe de Muli- çiens celui qui fait un faux ton , ce qui eft eau fe que la Mufique de faCha- pelie & de fa Chambre , parlent au dire même êtes Anabaffadeurs étran- gers-, pour la plus accomplie de tou- tes les Cours de l'Europe.

Tout le monde a parlé avec admi- ration de la fuperbe & magnifique fête qui fut donnée au Roi accom- pagné de toute fa Cour à Vaux-le- Vicomte, par Fouquet Sur- In- tendant des Finances ; & dont la dé- penfe parut fi prodigieufe, qu'elle, contribua à fa difgrace. Le Roi partit le foir de Fontaine-

35i Histoire de la Musique, bleau au mois de Septembre 1660, avec toute fa Cour, pour venir lou- per au Châceau de Vaux-le-Vieom- te, qui en eft éloigné de quatre à cinq lieues : comme il faloit traver- fer la Foreft , il commença par trou- ver des flambeaux de cire blanche allumez & attachez artiftement aux branches des arbres de la Foreft; une autre illumination au fortir de la Foreft jufqu'au Château; comme il faifoit chaud , il y avoit fur la route de lieue en lieue des efpeces de buf- fets drelïez les paftans trouvoient toutes fortes de rafraichifïemens.

Le Roi trouva en arrivant tout le Château illuminé, Se un concert compote de toutes fortes d'inftru- mens ; il monta dans un apparte- ment meublé de la dernière magni- ficence, & toute la Cour y fut logée chacun fuivant fa qualité -, la table du Roi fut fervie dans un falon, il y avoit un grand buffet dans un enfoncement incrufté de marbre avec des corniches dorées, & un grand jet d'eau , ce buffet étoit garni de valifelle d'or & d'argent de va-

ET DE SES EFFETS. }$$

leur de plus de cent mille Ecus le feftin fut auffi fplendide qu'on en a^c jamais vu; il étoit accompagné d'un concert de Mufïciens placez dans une Tribune faite exprès ; ou- tre la cable du Roi, il y en eue quan- tité de fervies pour ceux de fa fuite ; toute la Garde du Roi jufqu'ala li- vrée y fut traitée avec ane profu- iîon extraordinaire pendant les deux jours que dura cette grande fête -> l'entrée du Château étoit libre com- me celle des Maifons Royales.

Apiès le fouper le Roi alla fe pro- mener dans le jardin , il trouva un canal â\me grandeur considéra- ble, bordé tout a l'entour de flam- beaux allumez de diftance en diltan- ce , entre lefquels il y avoit des rangs de cailîes dorées garnies d'Orangers, de Citronniers, &: de Grenadiers, avec des fruits attachez aux bran- ches félon leur nature, pour fetvir de ra frai chilienne ns à toute la Cour. Il y avoit un Théâtre magnifique drelll- dans le milieu du canal, pour reprefenter le triomphe de Neptune; il parut des Truons & des Naïades ,

334 Histoire »e la Musique, fbrtant des eaux qui venoient fur le Théâtre chanter des airs à la louange du Roi, d'une manière ingenieufe, qu'il fembloit que cela fût naturel ; tout fut fort bien exécuté par la Mufique du Roi, accompagnée de tout ce qu'il y avoir de plus habiles Muficiens dans Paris qui avoient été mandez pour cette grande fête.

Le lendemain Sa Majefté fit une grande partie de chaffe Royale , l'on trouva des rafraîchi démens par tous les rendez- vous -, la Cour vint après pefcher fur le canal, il fe trouva des poiilbns monftrueux ; il y eut enmite Comédie , & un feu d'Artifice des plus beaux qu'on eût jamais vu ; le fouper du Roi fut fervi des mets les plus exquis, avec autant de propreté que de délicateffe -y ce qu'il y avoit de meilleur en Vin & en Liqueurs y fut diftribué avec pro- fufion.

Il y eut enfuite un Bal des plus gaîans •> enfin tout ce qu'on peut ima- giner pour la magnificence d'une fête accomplie, y parut dans la der- nière perfection pendant deux jours.

IT J)E SIS ïfTïTS. $$^

Cette fomptuofité donna de l'admi- ration à coûte la Cour, & fie même dire à Monsieur, qu'il falorc appeller Vaux*le- Vicomte , Vol-le Roi ; il n'en falut pas davantage pour avancer la perte de l'Auteur de cette fuperbe fête.

Après la naiflance de Monfeigneur, Monfîeur le Prince, Monfieur le Duc fon Fils , donnèrent au Roi Se a tou- te la Cour une Fête à Chantilly, qui approcha a(Tez de celle de Vaux-le- Vicomte ; il y eut entr'autres une illumination dans tons les bofquets des Jardins de Chantilly, il y avoit quantité de Muficiens & Mu- siciennes reprefentans des Faunes , des Satyres & des Naïades , qui for- moient une fête champêtre en l'hon- neur du Dieu Pan, en chantant quan- tité d'airs à la louange du Roi -, la Cour y refta trois jours, pendant les- quels il y eut toujours de nouveaux divertiflemens.

Mais il faut avouer qu'il ne s'efl jamais rien fait qui approchât de ta magnificence, ni de l'appareil des fêtes que le Roi donna à Verfailles

3*6 Histoire de la Musique , en 166/ , pour faire honneur au ma- riage de Monfieur avec la Prince (le Henriette d'Angleterre, après les comtes de bagues &. des têccs, la Comédie , les baîets & le feu d'arti- fice, on fervit une collation accom- pagnée de reçus de Mufique, de ma- chines, avec une illumination con- venable au heu deltiné pour cette collation. Une troupe de trente Mil- iciens y entrèrent en chantant, fui- vies des quatre Salions qui portoient Jes mets tes plus délicieux, pourier- vir devant leurs Majeitez 5c les Sei- gneurs conviez à cette fête. Les Sal- ions avec les douze Signes danfe- rentune entrée de baletdes plus fin- gulieres que l'on eut encore vu ; le Printems parut enfuite monté fur un beau cheval d'Efpagne , avec un ha- bit verd brodé d'argent & de fleurs au naturel ; l'Efté le fuivoit iur un Eléphant couvert d'une riche houlFe en broderie, femée de perles ; l'au- tomne montée fur un Chameau fort paré, & l'Hyver vêtu de fourure fur un Ours. Leur fuite étoit compofée de quarante- huit perfonnes qui por- toient

ET DE SES E E F E T'S. $37

toient fur leurs têtes de grands baf- fîns pour la cotation, qu'ils placè- rent fur des gradins en danfant. Les douze premiers, couverts de fleurs, reprefentoient la troupe du Printems, vêtus en Jardiniers qui apportèrent des corbeilles peintes en verd & argent, garnies d'un grand nombre de porcelaines remplies de confitu- res & d'autres choies délicieufes de la Saifon -, douze autres comme Kîoif- fonneurs, vêtus d'habits conformes à cette profefïïon, mais fort pa- rez, portant des baiîïns de couleur incarnate , accompagnoient TEté ; douze autres vêtus en Vendangeurs, étoient couverts de feuilles de vi- gnes & de grappes de raillns , por- tant des paniers couleur de feuilles mortes, remplis de fous- coupes de la même couleur , garnies de di- vers fruits & de confitures feches à la fuite de l'Automne ; les douze der- niers étoient des Vieillards gelez, dont les fourures & les démarches marquoient la froideur & la foi- blefîe, portant des baffins couverts de glace, de neige, & de tout ce

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9

558 Histoire de la Musique ,

qui devoit contribuer a cette colla tjon de la parc de TWyver.

Le Dieu Pan 8c Diane, parurent à la fuite de tout cet appareil, ac compagnez d'une grande troupe de Muficiensck Mufîciennesde la Cour de ces deux Divinitez , avec une agréable fymphonie de flûtes & de mufettes relies parurent aufïi tôt iur une Roche ombragée de plufieurs ar- bres que Ton voyoit portée en l'air fans que .l'artifice fe pût découvrir, Ces Saifons & ces «Divifâitez firent leurs récits à la Reine & à la nou- velle Mariée , & auflï-tôt parut une grande table en forme de GroifFanj que l'abondance, la joye , la pro- preté &: la bonne chair , eurent foin de faire couvrir par les plaifus , par les jeux, par les ris, par les délices Ôc par la .volupté.

Ce feftin fut toujours accompa- gné de differens concerts, de forte qu'il feroit difficile de faire une Fête plus fuperbe , plus magnifique, ni mieux entendue : on peut dire auffi que jamais Cour n'a été plus ga- lante ni plus floriHante , que l'étoic

ET DE SES EFFETS. 355

celle de France dans ce tems-là.

Au retour des conquêtes du Roi, en Tannée 1673 M. Colbeic lui don- na une fête a ion. Château de Sceaux, par laquelle on fit un divertid ment en Mufique qui fut appelle VlddU de Sceaux , toute la Cour y fut réga- lée fplendidement.

L'on reprefenta fur le théâtre des Comédiens du Marais , la belle Piè- ce en machine^appelléelaToi/ôw^V, accompagnée de- voix Ôc d'Inftru- mens, ce qu'on n'avoit point encore vu dans Paris : l'on donnoit un demi Louis d'or pour l'entrée au parterre.

Après les premières conquêtes du Roi, la France fe trouva dans une abondance qui fit naître l'émulation pour les beaux Arts ; ce fut dans ce tems-là que le Marquis de Sourdeac, commença de former un Opéra chez lui, pour exercer fon profond fça- voir dans l'Art Mécanique. Ii fe fer- vit de Perin pour la Poëfie, de Cam- bert Se de la Grille pour la Mufique ; ces Muficiens paffoient pour les plus fameux du tems. M. de Sourdeac fit faire un théâtre dans fon Hôtel rue

Pi;

340 Histoire de la Musique, de Garenciere, pour faire voir l'exé- cution de ces grandes machines dans difrerens Opéra , dont il donnoit de temsà autre 3 des reprefentations gratis. Ilfaifoic diftribuer cinq ou iix cens billets pour chacune, afin d'é- viter la confufîon ; Ton peut dire qu'il n'y *t> point eu* de Particulier dans l'Europe , qui ait donné une plus grande preuve de fa magnifi- cence ; e'eft aufTï à lui que le Public eft redevable en partie de réçabliiTe- ment de l'Opéra en France y qtai eft le plus agréable divertitrement qu'un honnête homme puifle prendre au- jourd'hui.

Cependant M, de Sourdeac latte & incommodé par cette grande dépenfe, abandonna toutes Tes machines , Se fes décorations à Perin , Cambert &c à la Grille , qui eurent la permfâion du Roi d'établir l'Opéra dans Paris, lis donnèrent en 1670, la première reprefentation de celui de Pomonc, qui fut joué dans un Jeu de Paulme rue Mazarine ; l'on donna la pre- mière fois un demi Louis d'or pour l'entrée au parterre, lequel malgré

ET DE SES EFFETS. $^l

le prix fut très bien rempli j ce fuc- cès donna de la jaloufie au Sieur de Lully, qui étoit en ce tems-là fur- Intendant de la Mufique de la Cham- bre du Roi. 11 obtint de Sa Majefté en 1671 le privilège pour les*epre- fentations des Opéra à l'exclufion des autres ; Se il établit l'Académie Royale de Mufique3que nous voyons aujourd'hui fui vaut l'ordre de Sa Ma- jefté ; c'eft aufE ce qui nous a produit tous les beaux Opéra que nous avons de Ta compofition , fur les paroles de M. Quinault, qui font l'admiration de toute l'Europe; le Sieur de Lully s'étant -trouvé inimitable dans ce gen- rc,qui a fervi depuis de modèle ànos pks fameux Mufkiens qui tâchent de l'imiter ; il s'en trouve même au. jourd'hui de très - habiles qui nous donnent des nouveautez qui méri- tent d'être louées 3 & qui n'étoient point en ufage <iu temps de M. de Lully : telles font les Cantates & les Sonates compofées avec toute la for- ce Se tous les agrémens de la Mufi- que Italienne, ce qui nous fait voir que les Muficiens François pour-

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34* Histoire de i a Musique, roient faire afFauIc de Mufique, de quelque nature qu'elle puiffe être , contre les plus fameux Muficiens de l'Europe, ôc même en remporter le prix.

Enfin l'on peut dire que la France doit les premiers fondemens de fon triomphe, pour toutes les Sciences & les Arts aux foins de François I. lefqueîs ont été continuez avec beau- coup d'attention parfes SucceiFeurs, & fur-tout fous le règne de Louis le Grand ; ce Monarque en ayant par l'établilïement des fameufes Acadé- mies Royales des beaux Arts , porté la connoiffance & la perfection au fuprême degré , ce qui rend aujour- d'hui la France aufïï rloriffante que Rome Tccoit du tems d'Augufte.

ET DE SE S E.FFETS. $4$

CHAPITRE XI.

Des Fêtes & des J*ux 'particuliers ejuî font en ufage dans dtffsrentes Cours de l'Europe, & même chez, les Ver [es 3 pour la célébration des Mariage des Souverains a la n'ùjfance des Princes ,

1

L n'y a rien les hommes ayent plus arFc&é de propreté, d'abon- dance, de délicuelïe & de magni- ficence, qu'aux feflins ; témoin ce- lui que fit Afluerus ou Artaxercés il Roi de Perfe, pour célébrer le jour anniverfaire de fa naitTancc,fuivant la coutume de fes Rois , ce qu'ils ap* pelloient TySle , c'eft à dire fêtes complètes, pareeque rien n'y man- quoit pour la bonne chère , les jeux , les fpectacles , la Mu(ique 5 tout y paroiiïbit avec autant d'abondance que de propreté , ôc dans une très- grande variété , qui font les trois chofes principales pour la perfection d'une fête publique : celle d'Alïiie- rus fut fi confiderable , que l'Ecri-

P iiij

f 44 H* S TO J R E © £ iA M# S.î Qtf E >

turc en a même parlé , comme il pa- role dans Efter, chap. premier. Quan- tité d'Auteurs , comme Hérodote , Strabon, Ptolomée Se Jofephe , rap- portent que cette fête dura plus à& cent jours , & que les fept premiers furent fervis avec une magnificence qui a turpalTé toutes celles des au- tres nations : les Princes, les grands Seigneurs d'entre les Perfes , les ivledes y furent conviez , & tous les habitans de la grande ville cteSufan y furent bien reçus : les tables fu- rent drefTëes durant fept jours dans jes veftibules du jardin royal , de* fupexbes pavillons attachez à des colomnes dorées couvroient les ta- bles : les lits fur lesquels £è con- choient les principaux Seigneurs, & les anciens , pendant les repas 9 fui- vant la coutume des Perfes , Croient d'or & d'argent j le pavé du grand veftibuîe étoit fait de pierres pré- cieufes a & tour ce que la peinture peut faire de plus parfait en augmen- tait l'ornement : les burFets étaient garnis d'une infinité de vafes Se de coupes d'or , dont le nombre étoit

£T DE SIS IFFBTJS. $4j

Ci prodigieux, que tous les conviez ne bu voient point-dans ci autres ; il n'y avok rien de fi riche que les plats & les couverts ; tout répondoit à la grandeur & à la puiffance d'un grand Monarque, qui affe&oit , comme dit l'Ecriture fainte , d'étaler en cette occafion tout ce qu'un règne aufli heureux 8c un empire auïïï étendu que le lien pouvoir faire paroître de plus magnifique & de plus fuperbe. La Reine pendant ces jours de ré- jouilTance regaloit dans Tes apparte- mens toutes les Dames du Palais. Le Rei mangeoit aufîi avec elles, fui- vant Pufage des Princes de l'Europe, fans doute les concerts ne man- quaient pas , puifque le Sage , qui compare le règne heureux de Jofias à la douceur de la Mufique , nous apprend que l'on ne ia fepare non plus que le vin dans les occafions de réjoui lîan ce, fans quoi la fête feroit imparfaite ; outre que c'étoit la cou- tume chez les Afiyriens &c les Perfes de joindre la Mufique aux feftins con- fiderables , c'eft même un ufage ré- pandu chez tous les peuples Orien-

P v

34^ Histoire de la Musique, taux , excepté ceux qui fuivent la Loi de Mahomet à la rigueur, en- core fe fervent-ils dans leurs feftins des inftrumens de Mufique militaire, Ecçifiafticjue > ch. 40 & 49.

Les grandes relations que les Grecs avoient avec les Perfes , à caufe de leurs Mages , qui écoient les Prêtres 5c Philofophes des anciens Perfes ôc très- profonds dans toutes les feience s, tels que furent Zoroafte &Patizithes , ont pu leur donner la connoilîance destrois fortes de Mu- fique qu'ils inventèrent dans les pre- miers temps ; la première fut la na- turelle ,ou Diatonique, pour les poe- fies récitatives -, la féconde figurée, ou Chromatique , pour les poefies Lyriques, qu'ils accompagnoientdu {on des inftrumens ; & la troifiéme l'Enharmonique , qui fert à exciter les paiïions Se les mouvemens de l'a- me parla poefîe Dramatique, com- me je l'ai déjà fait voir ; car ils di- ftinguoient ces trois fortes de chants à l'égard de leurs poëlîes , commeils diftinguoient le parler , le lire , Se le chanter. Le parler, difent-iJs , de-

ET DE SES EFFETS. 547

mande une voix foutenue qui k'af- rêce aux tons hauts ôc bas , allans prefque toujours d'une même te» iièiîr : le chant au contraire élevé ra voix & la diftingue par muances , fé« Ion le nombre & la cadance qu'il veut lui donner : la lechare ou la ré- ciûtion des vers tient le milieu en- tre le pat 1er & le chant. C'ell: auffi des Grecs que les Perfes ont pu t rer la connoiilànce des repréfentations en Mufique pour le Théâtre.

La captivité des Juifs faite par le RoiNabucodonofor, fut encore une grande occasion pour donner aux Perfes la connoiifance de la Mufique des Hébreux, puifqu'après foixante- dix ans de captivité , Cyrus Roi de Perfe renvoya ce qui reftoit de cette nation dans fon Royaume pour ré- tablir la ville de Jetufalem , parmi lef quels il fe trouva encore deux ou trois cens tant Mùiiciens que Mutï- ciennes,environ l'an $ yoo du monde. Ainfi on ne peut pas douter que les Perfes n'ayent eu beaucoup decon- noifTance de la Mufîquedes Grecs Se de celle des Hébreux, joint à l'ku

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I48 HïSTOïRED£iAMuSIQUI,

clinatipn naturelle qu';is put pour cette (cience , outre qu'en certains climats de la Perfe les cris des en- fans font harmonieux , ce qui fait v©ir les difpofunons qu'ils ont pour la Mufique. La Poe fie eft aulîi une de leurs pallions dominantes, ce qui paroît par leurs prières, dont la plu6 grande partie eft verfifiée,& fe chante allez rnuficalemeat dans leurs tem- ples.

Ce fut de la magnificence des Per- fes qu'Alexandre apprit à faire des feftins accompagnez de Mufique aux noces de fes amis j 3c Chares^qui les a écrit au dixième ^Livce ck les Hiftoires, parle d'une falle d'une pro- digieule grandeur foutenue de plu- (îeurs colomnes de vingt coudées de hauteur , couvertes de lames d'or Çc d'argent, & de cent lits difpofez au- tour des tables à manger. La richefïe des tapis , des étoffes d'or, de foye & des tapiileries étoient d'une ma- gnificence furprenante , & d antres meubles très- précieux faifoient l'or- nement de cette fuperbe falle deftU née pour les feftins, qui étoient or-

IT SIS ÏÏHTÎ. 349

dinairement accorapagnez de toutes fortes de fpectacles, comme des ac- tions de Mufique , Tragédies , Co- médies galets, jeux de flûtes, dan- feurs de cordes , Se des préfens con- sidérables qui fe diftribuoient aux conviez à la fin de la fête ; le Sophi de Perfe en obferve encore aujour- d'hui l'ufage les jours de fa nanTanoe, ce qui fait voir que ces peuples ont «eu connoitfance de la Mufique dès les premiers temps ; mais elle n'eft point encore perfectionnée chez eux comme elle l'eftàpréfent dans toute l'Europe , ou du moins en Italie & en France : tant de voyageurs ont parlé de la magnificence desPerfes , qu'il ne faut feulement que lire les Voyages de Tavernier pour en être snitruit.

Ce qu'il y a de merveilleux , e'eft qu'il femble que les Sciences & les Arts foient fujets aux mêmes révo- lutions que les Empires «ils naiiîcnt, ils fleuri{rent5& fe détruifent par la fuccefFion des temps s de forte qu'il n'en refte plus que les veftiges, com- me il eft arrivé de la Mufique des

$$ô Histoire de la Musiçtji,

Grecs & de celle de route l'Italie-, par la barbarie Se les inondations des Gochs, des Sarrafins & des Vandales, qui détruilirent par mépris pendant huit ou neuf (iecies tout ce que les anciens avoient fait de plus excel- lent dans les Sciences & dans les beaux Arts ; de forte que laMufîque ne trouva pUis d'aiîle que dans TE- glife , elle fe conferva une efpecc de chant Dramatique, compose fur pluiîeurs pjfTagesde l'Ecriture faintê, que l'on appliquait à divers lujets , qu'on chantait a plufïeurs parties &C à plusieurs choeurs j mais pait'culie- rement aux -folemnitez des Noces 9 aux funérailles des Princes, & au fujet de quelque bien public , com^ me l'on chante aujourd'hui le Te Deiiti. Car pour la Muiique Drama- tique , qui fert aux reprefentations des fpe&ac'es, elle refta enfevelie depuis l'invafion des Barbares juf- qu'en i^.So» comme on l'apprend de Sulpitius par l'Epître dédicatoire de fes nottes fur Vitruve, qu'il ç|é- dia au Cardinal Hiaty neveu du Pape Sixte IV. qui par fa magnificence fit

ET DE SES EFFETS. $?I

drefTer un théâtre mobile dans Po- me , fur lequel on reprefenta une Comédie fpirituelle , dont le fujec fut la ConverGon de Saint Paul , ti- rée de l'Ecriture fainte, parce qu'elle devoit être aufïï reprettntée devant le Pape dans le Château Saint Ange; cette nouvelle reprefentatiôn donna même lieu aux Vénitiens d'en com- pofer une pièce de Théâtre peur le Public au tems du Carnaval en 14 85, qui fut l'origine de leurs magnifiques Opéra, dont voici le Titre:

venta. Ram'wga, il disjugdrwo l'inginno d' A more»

Le Tems en fit l'ouverture par une entrée de Balet pour diftribuer l'ar- gument. La première Scène, étoic d'un Médecin 5c d'un Apotiquaire, qui fe réjouiiïoient de ce que tous les maux du Monde leur fa* (oient tant de bien , & de ce que la Teire couvroit leurs foutes ; cependant la Vérité maltraitée par des Avocats, des Procureurs , des Greffiers cV des Plaideurs, par oit devant eux tcute efhopiée , & leur demande du fe-

35i Histoire de xa Musique, cours y mais dès que les Médecins Se les Apotiquaires eonnoiffent que c'eft la Vérité, ils la fuyent comme leur ennemie. Un Cavalier qui fait l'homme d'importance s'offre à elle pour la défendre , & l'abandonne aufïï-tôt qu'elle fe fait connoître à lui. Un Àftrologue accompagné d'u- ne troupe de Bhilofophes, font la même chofe : enfin cette première partie finifloit par un Balet de Vil- lageois qui fembloient venir au (e- cours de la Vérité. Dans la féconde partie un Marchand faifoit le pre- mier récit , & fe réjouiflbit de ce que pour fe faire riche , il ne faloit que faire banqueroute <ïeux ou trois fois, & s'accommoder avec fes créan- ciers. Un Traitant fit la féconde Scène , avec un Marchand qui veu- loitfe défaire de fa confeience, com- me d'une marchandife incommode, & de mauvais débit. La Vérité fe pre* fente à eux fans qu'ils la connoif- fenr :elle n'eut pas plutôt parlé qu'- ils fe retirèrent fans vouloir traiter avec elle, les Dames n'en voulurent point non plus , mais la Mufe du

£T DE SES EFFETS. $5$

théâtre prenant pitié d elie , la re- çoit, à condition que la déguifanc agréablement , elle la feroit paroi- tre dans Tes représentations ; elle la mafque pour cela, lui donne d'au- tres habits, lui fait changer de ton de voix, de gefte & de manière, alors «les Boufons la voyant ainfî dcguifée & reçue dans leur troupe , en dan- fcrent an Balet de joye, qui finit le fpeâracle.

Cette première Pièce ayant afTez bien rcuffi à Venife , les Poètes , les Muficiens et les Machiniftes, s'atti- chtrcnt à leur donner tous les orne- tnens que nous voyons aujourd'hui ; êc c'eft par qu'ils ont rétabli l'u- fage des reprefentations en Mufique que l'on fait aux feftins des Princes, comme celles que j'ai rapportées de la Cour de France depuis le règne d'Henry .111. C'eft aufïï la coutume dans celle d'Italie, de célébrer tous te ans le jour Anniversaire de fa naidance des Princes , par ces fortes de Fêtes, de même qu'aux Mariages & dans le Carnaval, comme des Co- médies, d«s Carouzels, des Tour-

;

3/4 Histoire de i a Musique, nois,des Feux d'artifice, des MaC carades ingenieufes, des Sérénades, des illuminations accompagnées de Concerts, des combats de Taureaux, des Jeux fur les eaux, les Parejas en Efpagne, les XV irschafts, ou les Hô- telleries en Allemagne , & les Sapâ- tes a la Cour de Savoye, les parties de ChaiTe, les Courfes fur la glace & fur la neige, fuivant la faifon ; la plus grande partie de ces divertitTé- mens tirent leurs agicmens de la Mufique , & ont aufïï beaucoup con- tribué à l'avancement de fes pro- grès ; joint à la magnificence des Princes qui en font la dépenfe.

Mais de toutes ces Fêtes , il n'en e-ft pas de plus agréables que celle* la Mufique, la Poeiie, l'Amour ôc le Vin s'unifient enfernble, com- me je vais le faire voir par la def- cdption de quelques-unes qui fe font faites dans les Cours d'Italie, depuis la reftauration de la Mufique Dra- matique.

En i^§9 le Comte de Vernio , qui avoit un grand goût pour ces fortes de Fêtes, en fit une aux noces de

ET © E SES E 1 F % TS. J'J J

Ferdinand de Medicis troifîéme Duc de Tofcane , avec Madame Chré- tienne de Lorraine y le fujet fut le combat d'Apollon contre le Serpent Pithon. Il parut d'abord une Foreft, &: au milieu, un -antre obfcur qui fervoit de retraite au Serpent ; les plantes autour- de la grotte il couchait paroiiîoient foulées de fes longs replis. & gâtées de fon écu- me ; de l'un des cotez de cette Fa- reffc s'avança comme en tremblant une troupe d'hommes, & .de fem- mes, vêtus à la Grecque très. magni- fiquement-, qui ayant reconnu que le Serpent n'étoit plus couché fur cette herbe ; ils l'avoient vu au- paravant, fe mirent à chanter au fon de divers Inflrumens des Vers en Langue Italienne d'une manière re- citative convenable au fujet. Une autre troupe d'hommes & de fern- . mes venant de l'autre côté de la Fo- reft, vêtus comme les anciens Tof- cans, chantèrent & danferentun Ba- let à l'uiage de la Nation au fon des Inftrumens. A peine eurent* ils ache- vé, que le Serpent au bruit des voix

35^ Histoire »e la Musique, fortit du fonds de fa caverne ; tous ces Grecs de l'ïfle de Delos , & ces Tofcans, faifis de frayeur fe jette- rem à genoux , & levant les yeux vers le Ciel , implorèrent le fecours de Jupiter , en chantant des Vers d'un ton lugubre, & mêlé de divers paffions, de craintes, de defefpoir, de prières , de confiance , de fuppli- cation & de larmes : toutes ces ex- preffions rirent voir l'excellence & la force du génie du Muficien. Le Serpent ayant apperçû cette troupe, court à elle avec d'horribles firfle- mens Se craquemeas de dents, quan<i tout d'un coup Apollon defeend du Ciel à leur fecours Se reconnoît le lieu du combat, quife fit d'une ma- nière fort ingenieufe. Le Serpent ayant été tué à coups de flèches pat Apollon & foulé aux pieds -, alors les Grecs Se les Tofcans qui a voient fui , revinrent pour voir le Serpent éten- du , couronner & chanter le triom- phe d'Apollon v qui convia l'aiïèm- blée à un feftin magnifique dreiTé par les Mufes , qui fut accompagné d'une Mufique des plus agréables ;

ET DE SES EFFETS. 357

toute la Cour entra dans une fale ornée de tous les attributs du Par- naiïe , ôc à la fin du repas les Dieux ôc les Mufes vinrent danfer un grand Balet pour finir la Fête qui fut très- bien exécutée.

Il eft peu de Cour dans toute l'Ita- lie 9 qui ait furpafTé dans tous les fic- elés précedens les Fêtes galantes de celle de Savoye. LesPrinceifesFran- çoifes, Efpagnoles,& Italiennes, qui ©nt régné dans cet Etat, y ont introduit un goût le plus agréable, & le plus divertilTant pour les repre- fentations des Fêtes qui fe puifle trouver parmi ces trois Nations , ce qui fut caufe que pendant un tems cette Cour paifoit pour l'Ecole delà Mufique & des Fêtes galantes , Se qu'elle attira fur la fin du quinzième fîécle, ce qu'il y avoit de plus fa- meux Muficiens , & de meilleurs Poètes dans toute l'Italie, comme les Smano Giovaneli , & Theophito.

L*an 1610 le Duc de Savoye vou- lantdonner dans le tems riuCarnaval une Fête galante à toute fa Cour , fit drefTer une grande fale dans fon Pa-

35S Histoire de la Musique , lais a Racouis , dont le plafond étoit fou te nu de colomnes argentées, de niches remplies de Statues qui ré- pondaient au delïein de la Fête. Une grande peripeelive faifoit le fond de fale , dans laquelle foixante ou quatre- vingt Darnes parées magni- fiquement , vinrent fe placer fur des fieges extrêmement propres Se bien rangez , ies Courtifans failant un cercle derrière les chaifes des Da- mes : alors on vit la perfpective s'ouvrir au (on des trompettes, & fur un char tiré par quatre chevaux richement harnachez^ parut le triom- phe de 1 Amour, compote par Pé- trarque , dont les perfonnages por- toient le premier fervice fur des ta- bles dreifées pour le feltin ^tandis que des Amours montez fur de pe- tits chevaux, chantoient des Tercets Italiens pour expliquer le fujetde la \ Fête i celui de la Chafieté parut en- fuite accompagné de tous fes attri- buts, qui fut le fécond fervice, chan-'j tant des Vers en l'honneur de la Vir- ginité ; le triomphe de la Renomée étant fur un char, tire par quatre

EVT DE SES EFFETS. 7,^

Eîephans , apporta le troifiéme fer- vice i & le triomphe du Tems parut fur un char tiré par des Licornes, qui fit le quatrième fervice ; ils furent tous accompagnez de concerts qui fe rappor-toien-t au fuiet de chaque triomphe ; les tables difpanuent a- près le repas , Se l'on vit une nou- velle décoration par un Bal magni- fique, où il y eut une abondance de rafraîchiilemens à la diferetion de toute la Cour 8c de tous les Specta- teurs. Les Mufkiens, Poètes & les Machiniftes firent voir à cette Fête galante, des nouveautez qui n'a- voient point paru dans toute l'Ita- lie, depuis la reflauratlon de la Mu- fîque.

L'année fuîvante , le même Duc Voulant célébrer le jour de fa naif- fance à Turin, fin drefLr dans fon Palais une grande- iale de figure ova- le, dont le plafond 5c tous les Lam- bris étoient de grandes glaces de mi- roir , les pilafires & les niches de même , & dans chaque niche il y avoit de grandes Statues dont les tê- tes 8c les mains étoient de enflai ; il

360 Histoire delà Musique, y avoit fous chacune, des Vers en forme d'infeription, &c des Madri- gaux en Langue Italienne entre cha- que niche , qui expliquoient le fûjet de la Fête , dont le nom étoit le Ciel de Criftd ; toute la Cour fut placée dans cette fale comme pour afEiter à un Spe&acle : alors on entendit un bruit qui formoic un concert de toutes fortes d'Inftrumens , & Ton vit fortir des quatre cotez delà fale, quatre grandes tables chargées de quatre fervices fur chacune les plus fplendides que Ton pût voir ; cha- que table fut accompagnée de récits de Mufique difFerens. Après le repas la Cour paffa dans une autre fale proprement ornée, il y avoit un théâtre drefle pour danfer un Balet de Caprice , compofé de plufieurs entrées ; on apporta encore fur des corbeilles quantité de confitures fé* ches , & des rafraîchififemens aux Dames pour finir la fêce du Ciel de Criftal.

Entre les fêtes qui fe reprefentent en Mufique, la Chafle a fouvent trou- fa place, pareeque la Mufique eft

regardée

ET DE SES EFFETS. $6l

regardée comme la bafe des diver- tiflemens.

Le Duc de Savoye ayant fait bâ- tir en 1660, un fuperbe Palais près de Turin, qu'il nomma la Vénerie Royale , voulut y donner le diver- tiffement de la ChafFe à Madame Royale : on feignit pour' le iujet de cette adion , que leurs Al telles avoient choifi. pour le rendez-vous de leur ChaiTe ce Temple magnifi- que , qu'elles avoient fait ériger à Diane, la Dédie des Chafleurs ; lorf- que leurs AltelTes arrivèrent, Diane vint les recevoir à la porce de fon Temple, & s'adrelTant au Duc de Savoye , elle lui chanta ces Vers en François , pareeque Madame Royale

étoit Francoife : s

Charmant Chajfmr Dont le g' and cœur jV'tf point de mouvement qui ne [oit Hé- roïque , Toi qui m'as confacrê ce Temple magni- fique , Oh comme dans Ephîje en finie les Mor- tels 9

CL

$£i Histoire de la Musique , Portent de tontes parts leurs vœux fur mes

Autels y

O que ma gloire efl redoublée t Zorfque tu le choi fis pour U lieu d'ajfem-

blée ,

Et que tu menés avec toi, Cette Reine plus chafte & plus belle que

moii Mais de peur que V Hyver,fes frimais &

fa glace

Ojfenfent ft rare beauté , Par L'abjbhi pouvoir de ma. Divinité , Je veux dam cette même place , Après un repas fobre ou l'on vous fer-

vira Ce que le tems nous fournira', Vc us donner fans chœjfcr le plaifirde la

Chafi.

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Après ce récit, la Décile fe tour- nant vers la troupe qui Taccompa- gnolt, lui dit :

Cependant Faunes & Silvains, Divertijfî.^ ces Souverains D'une agréable Jy aphonie ; Imitez, le concert des deux Ou plutôt la belle harmonie

ÏT DE SES EFFETS. $6$

Que la vertu de ces deux demi-Dieux Entretient dans ces lieux,

m

Pendant ce temps-là, Diane va faire dreiïerla table & le bufer dans un falon magnifique j le feflin fut fervi par ces demi- Dieux, de toute forte de venaifon & gibier , accom- pagné d'un concert très- parfait ; le repas dura deux heures, 8c enfuite un Bal qui fut interrompu par le bruit des cors des Chaifeurs, qui fit ce(Ter les violons.

Le Dieu Pan entra en même tems, Ôc fit l'ouverture de la chaiïe par ce récit.

T rince , jeune & vaillant, jeune & belle

Trincefc , far un ordre abfnlu de la thafie Dèejfe Je. viens a Sembler dans ces lieux JSTos Nymphes & ?ios demi- Dieux , Pour vous donner dans cette faite , Comme au milieu dun vajle Bois , Le plaïfir innocent dune Chajfe Royale ; Mais ) entends les cors & les voix 3 Tout efi prefl, place, place :

QJj

5^4 Histoire de la Musique, adorables Chajfeurs , Contentez.~vous de grâce ,

Tour pôhs les menus droits d'une fi belle Chafe,

De prendre pour vous tms les crnrs..

m

Comme il achevoit ce récit, on vie entrer Endymion , Favori de Diane, en équipage de ChaiTeur , fuivant la Fable qui reprefente le Raport 9 tant par les fumées qu'il portoit fur fa main , que par l'air & les pas de Ton entrée. Cette entrée fut fuivie de celle de deux Dryades qui reprefen- toient le Laijfer courre 3 leur danfe étant accompagnée de toutes les actions qui expriment naïvement cette partie de la Chaffe ; après elles vinrent quatre Satyres qui par leur légèreté 6c la viteilè de leur danfe, exprimèrent la ChaiTe*& tout ce qui peut en interrompre le Courre , com- me le Change , ou les Reveu'és pour re- lever les Défauts ; deux Nymphes des Montagnes vinrent témoigner la joye qu'elles avoient de la mort du Cerf, qa'elîesfirent connoître par une ma-

ÏT D! S!5 EFFETS. 3^

niere de chant & de paroles qui l'ex- primoient ; enfin le Dieu Pan enten- dant fonner la Retraite , alfemble tous les ChaiTeurs pour la Curée au Ton des cors \ &c enfuite danferent un grand Billet pour terminer la Chafle.

La fmgularité de cette fête, fue un nouveau progrès pour la Mufi- que, par rapport à la ChatTe.

Après avoir fait voir les emplois de la Muilque pour les fêtes de ChalT'e, il faut encore faire voir fon utilité dans les fêtes qui fe font fur les Eaux, que l'on peutappeller divertnTernens Aquatiques.

Au mariage d'une Princeiïe de Sa- ▼oye, qui fut fait à Mille-Fonti , qui eft une des Maifons de plaifance du Duc , il y a un Canal d'une prodi- gieufe grandeur, fur lequel il fit re~ prefenter le Triomphe de Neptune; ce Dieu des Mers y parut fur une conque avec Venus , accompagnez de tous les Dieux Marins & des Tri- tons , qui chantèrent un récit de Mu- fîque à la louange des nouveaux Ma- riez , & danferent un Balet fur l'eau d'une manière nouvelle. Enfuite

$66 Histoire de la Musique, parut Jupiter monté fur un Taureau couronné de fleurs, qui reprefentoit l'enlèvement d'Europe , jtraverfant le Canal avec une troupe de Nym- phes , qui firent un -fécond récit de Mu(îque convenable au fujet. La troifîéme reprefentation fut d'Arion tranfporté fur le dos d'un Dauphin, qui chantoit fur fon luth un air de complainte , fuivi d'une bande de Dauphins 6c de Syrenes , qui formè- rent encore un Balet fur les Eaux, qui parut d'une manière très- extraordi- naire , & foutenu d'une Mufîque tous les Muficiens étoient difperfez par bandes fur des conques, comme les Dieux Se les Monftres marins de la Cour de Neptune. La nuit étant venue, il parut un Vaiiïeau fur le- quel il y avoit un Feu d'artifice des plus écîatans ; les Cardinaux Aldo- brandin, & de Saint Cefaire neveu du Pape Clément VIII. aiîlfrerent à cette Fête, qui fut fui vie d'un fuper- he Feitin, cV terminée par un grand Bal ; cette Fête fut de la compofiron de Jean Capponi Muficien célèbre, je ne puis quitter la Cour de Sa-

ÏT DE SES EFFETS. \G"f

voye , fans donner encore la defcri- ption d'une Fête qui s'y fit le jour de la Saint Nicolas, qu'on appelle le Sapate , dont l'infante Catherine filLe de Philippe II. apporta î'ufage àTu- rin , en époufant Charles- Emanuel -r cette Fête eft fondée fur ce que Saint Nicolas jetta fecretement pendant trois nuits des bourfes pleines d'au gent dans les Maifons de trois pau- vres Filles pour les marier ; c'eft aufïï une efpece de prefent qui furprend agréablement les perfonnes à qui on les fait, Se particulièrement quand ils fe font avec des machines, des reprefentations en Mufique , Se d'au- tres chofes ingenieufes dont ils font accompagnez , fuivant l'ufage de cette Cour , dont celui qui fut fait en i6 6$. parie Duc de Savoye à Madame Royale, a pa(ïé pour être un des mieux inventés Se des plus Spi- rituels.

Toute la Conr.parut dans une gran- de magnificence au lever de Madame Royale , le jour de la Saint Nicolas pour le divertifTementdu Sapate, qui le fit dans une grande falle difpofée

368 Histoire de la Musique, pour cette Fête dans le Palais de Ta- rin. La Cour étant aflTemblée dans cette falîe, on entendit le bruit d'un concert de Violons ; Mercure parut defcendant du Ciel fur un cube d'or, comme le Dieu du Commerce, pour inviter toutes les Nations du Monde à venir offrir leurs tributs à la Prin- ceiîe, de chanta ces Vers.

Sur le rapport à3 Amour & £ Hymtnk > Je defeens des deux , Par ordre des Dieux , Pour honorer la Vertu couronnée i Mais quel éclat vient éblouir mes yenx .? C'efl elle , je la vols paraître , Son air divin la fait ajfez* connshrs Qu'elle a de Majeflé , De grâce & de beauté; Toute notre troupe immortelle , N'a rien d'adorable comme elle ; O Dieux que f en fuis charmé y Et que le Héros de Savoye , Doit avoir de gloire & de joye, De r aimer & dîen êtrs aimé* Pour lui plaire x Je veux faire y Vmr en un moment

ET DE SES EFFETS. 36^

Tar enchantement

Tout ce qu'ont jamais en de rare ,

De précieux & de joli ,

La Terre U plus barbare

Et le climat le plus joli :

Peuples qui trafiquez* fur U Terre & fur

L'Onde , Ecoutez, votre DieH , Et de tous les pays du Monde , Tonr recevoir mes Loix 3 rendez*, vous en

ee lien,

m

A ce commandement de Mercure, on vie des Marchands de toutes les Nations du Monde qui parurent tout à coup dans huit ou dix grandes bou- tiques qui s'ouvrirent dans la grande" falfe du Palais , remplies de toutes fortes de marchandifes & de bijoux, avec des Enfeignes magnifiques con- venables à chaque Nation.

La boutique des François étoit à FEcu de France , dans laquelle oit voyoit une infinité d'ouvrages , com- me des miroirs garnis d'argent > des- bureaux, des tables , des cabinets de pièces de rapport 3 Ôcdc toutes foi tes

370 Histoire de la Musique, de marchandifcs convenables aux Dames, comme dans les boutiques de la Foire Saint Germain.

Celle des Marchands Anglois, aux Aimes d'Angleterre, étoit remplie de bas de foye , de jarretières, de ru- bans , de palatines , & d'autres mar- chandifes qui font eftimées dans le Pays.

Le Marchand Romain, à l'en- feigne de l'Etoile, avoit fa bouti- que garnie de gans, d'éventails, de peaux de fenteurs, de toutes fortes de pomades, d'huile , d'eifence , des eaux de toutes fortes de façons, 6c même de très-beaux tableaux.

Le Marchand Efpagnol , à î'en- feigne du Château de Caftille, étoit rempli d'ouvrages de fiiagrame, de bourfes de peau d'ambre , de gans d'Efoagne, de chocolat, de paflilles, d'eau* deCordoue, &c.

La boutique du Marchand Véni- tien , a l'enfelgnede la Pîacede Saint Marc, étoit garni de places de Ve- nife , de damas , de pièces de bro- card , de velours , & de toutes fortes de cri&aux, &c»

IT BE SES EFFETS. ffl

Le Marchand Indien , à Penfeigne du Soleil , avoic mille curioiuez des Indes.

Celle de i'Alleman , à l'enfeîgne de l'Aigle Impériale, écoit garnie de quantité de vaillelie d'argent , & de marchandifes d'Aufbourg & de Nu- remberg.

La boutique du Marchand Turc,, à l'enfeigne du Croiffan , étoit garnie d'écharpes , de napes de la Chine, de coupes de cornalines, d'urne de jaf- pe, de couteaux d'agathe , de toutes fortes de bagues précieufes , Se de cabarets à caffé , &c.

Le Marchand Mofcovite, à l'en- feigne du Grand Duc, avoit fa bou* tique garnie de toutes fortes de £ou- rures & de manchons, &c.

Mercure invita la Princefïe de faire l'honneur aux Marchands d'entrer dans leurs boutiques, Se d'y prendre avec toute fa Cour, ce qui lui agré- roît davantage.

Chaque Marchand Ht un récit en. Mufique fuivant fa Langue , pour engager la Prince(Te d'entrer dans & boutique avec Mercure.

57* Histoire de la Musiqi/E,

Après que ces Marchands eurent debicé une partie de leurs marchan- difes, ils donnèrent congé à leurs Garçons, au nombre de quatre du moins dans chaque boutique 3 qui danferent des Balets , chacun à la manière de fa Nation, & fur des airs convenables aux danfes, pour ter- miner la fête du Sâpate, qui fut ad- mirée de toute la Cour , tant pour la dépenfe,que pourlacompoiiuon du chant Se des entrées de Balets.

Mais c'en: allez parler des progrès de laMufiqueà la Cour de Savoye,il faut faire voirfes emplois dans les au- tres Cours , dont je n'ai pointencore parlé,commede celles de Rome, d'Ef- pagne, d'Allemagne & d'Angleterre. On ne peut difco.nvenir que le rétabliirement de la Mufique Dra- matique, Se les représentations des Spectacles, ne foient dus aux Ita- liens, dont le Cardinal Riaty neveu du Pape Sixte IV. fut un des pre- miers , comme je l'ai déjà dit, qui fit drefîer un Théâtre mobile dans une Place de Rome , pour y faire jouer pendant le Carnaval une pièce cou-

iT DE SES EFFETS. 375

venable à fon caracïere environ Tan I4S0, de la compofîtion de Francifco Beveriny fçavant Muficien, qui plue fort à cette Nation , que depuis ce tems-là on n'a prefque point pafïé de Carnaval fans y avoir des repre- fentations de pièces de Théâtre, & fouvent des Opéra très- confidera- bles faits aux frais de quelques puif- fans Cardinaux , ou neveux des Pa- pes ; c'eft aufïice qui attiroit àRome les plus fameux Muficiens , dont la plupart refloient oifîfs après le Car- naval a les Spectacles font inter- dits.

Mais Saint Philippe de Nery natif de Florence, mort en odeur defain- te.té , comme Fondateur de la Con- grégation des Prêtres de l'Oratoire en Italie l'an 1540', ayant remarqué la pafîion & l'attachement que le Peuple Romain avoit pour les fpe- ctacles en Mufique , s'avifa, dit on, d'une adrefTe pieufe pour continuer ce divertiflemtnt à la Nobleiîe ôc au Peuple, du moins les Dimanches ôc les Fêtes dans fon Eglife, fous pré- texte de rétablir la pieté dans Rome,

$74 Histoire de la Musique, en faifant compofer par les plus ha- biles Poètes & Muuciens, des Dia- logues en Vers Italiens fur les prin- cipaux fujets de l'Ecriture Sainte, qu'il faifoit chanter par les plus bel- les voix de Rome, avec un accom- pagnement de toutes foutes d'Inftru- mens , ôc d'un Corps de Mu fi que dans les Intermèdes i ces Concerts étoient compofez de Monologues,, de Dialogues, de Duo, de Trio, ôc de Récits à quatre voix. C'étoient l'entretien de la Samaritaine avec le Fils de Dieu -, Job avec fes amis qui leur exprimoit fa mifere ; l'Enfant Prodigue reçu dans la maifon de fon père ; Tobie avec l'Ange, fon père ôc fa femme ; l'Ange Gabriel avec la Vierge, Ôc le Myftere de l'Incar- nation : enfin la matière ne manquoit pas pour la diverfitéde ces Concerts, dont la nouveauté ôc la perfection de la Mufique attiroit une foule de peuple qui étoit dans l'admiration de toutes ces Reprefentations, ôc qui rempli {foie nt les troncs de PEglife, pour furvenir à la dépenfe ; c'eft au/îï de la qu'eft venu ce qu'on appelle

ET BE SES EFFETS. J7|

aujourd'hui les Oratorio, ou Spe&a- eies Spirituels qui fe continuent dans Rome , ôc dont l'ufage s'eft fi bien répandu dans, toutes les Egiifes , qu'il n'y a pas de jour il n'y en ait du moins une, ou deux Représentations différentes -y & l'on fait tous les ans une lifte de celles qui s'y doivent chanter pendant l'année, comme on en fait une ici des Prédicateurs qui doivent prêcher pendant le Carême ; de forte que cela donne une grande émulation aux Muficiens Romains, ôc fournit des nouveautez qui aug- mentent considérablement les pro- grès de la Mufique.

J'ai déjà dit que pendant le Car- naval les Spectacles font permis à Rome, & fur tout l'Opéra ; les Car- dinaux ont la liberté cTy aller, pour honorer quelquefois les Spectacles à caufe des A mbafïadeurs ; mais tous les Opéra y font trcs-graves, & allez fouvent remplis de traits de morale, comme fut celui de PArethufe : le Prologue s'adieflant aux Cardinaux &aux Dames, fit parler Diane pour expliquer l'argument de cette a&ion.

376 Histoire be la Musique , avec une Inltru&ion morale, qui ap- prenoit que le Ciel écoit la récom- penfe de la Vertu ; qu'il étoit diffi- cile de vaincre l'Amour, & que pour en venir à bouc , il falloit comme Arethufe élever fes vœux au Ciel , pour en attirer le fecours, & pré- voir par la fuite à fa fureté ; de mê- me que le Sieur Quinault nous l'a fait entendre dans l'Opéra d'Alcefte, à qui il fait dire que ceriejl qu'enfuyant qvton peut vaincre C Amour.

Comme tous les Opéra qui fe jouent a Rome font en Langue Ita- lienne, je n'entreprendrai pas d'er* dire davantage : il fuffit que le Le- cteur fçache, qu'il y a fouvent des Cardinaux qui en font la dépenfe pour en donner des Repreientations gratis dans leurs Palais, pendant le Carnaval feulement, 8c que dans ce tems-là on en reprefente aufïï pour le Public , comme l'on fait à Venife , c'eft-à^dire en payant ^ ils ont en- core à Rome un divertiflèment que" Ton appelle les Feftim , qui con fi-fte da ns un repas accompagné d'un Con- cert & d'un Bal ; m^ais pafTé le Car-

IT DE S £S EFFETS. 377

naval tous les Spectacles prophanes y font interdits, de même julqu'a Comédie , ce qui fait que les Orato- rio y font 11 Tu i vis. Ce ne font pas aufïï les Spedacles qui attirent le plus les Etrangers à Rome j mais le iaint Siège de l'Eglife , la beauté des Edifices , les morceaux de Sculpture 8c les Peintures admirables des plus grands Maîtres qui en font l'orne- ment.

Il eft peu de Nations qui ayent plus de paffion pour la Mufique que les Efpagnols , puifqu'il n'y en a guéres qui ne fçache un peu jouer tie la guitarre , ou de la harpe, qui font les Ihftrumens dont ils fe fer- rent pour donner des ferenades à leurs MaîtrelTes, ce qui fait que tou- tes les nuits dans Madrid, comme dans les autres Villes de ce Royau- me, on voit une infinité d'Amans qui courent les rues avec leurs gui- tarres Se des lanternes fourdes -, i n 'eft point d'Artiian qui après fon travail , ne prenne fa guitarre pour s'aller déiafTer dans les Places pu- bliques 3 un Laboureur ne va point

$78 Histoire de la Musique, labourer fans avoir fa guitarre ou la harpe pendue derrière fon dos ; il y a peu cPEfpagnols Se d'Efpagnoles de diftindlion qui ne fçachent accom- pagner leurs voix à ces Inftrumens: enfin l'on peut dire qu'ils ont une inclination naturelle pour la Mufi- que ; c'eftpourquoi ils font grands amateurs des Spectacles 9 dont les plus ordinaires confirment dans des illuminations accompagnées de Con- certs, les combats de Taureaux, Se les Comédies, dans lefquels ils mê- lent ordinairement des Entr-a&es, Se Intermèdes compofez de voix & d'Inllrumens. Les récits fe chantent en Langue naturelle ; ma-is pour les Opéra, ils fe jouent en Langue Ita- lienne , pareequ'ils les font venir or- dinairement de Naples , de Milan , ou de Venife , Se l'on trouve rare- ment des Muficiens Efpagnols qui paillent en compoferen leur Langue,, quoiqu'ils fe piquent d'être auiîi ha- biles que ceux d'Italie.

Louis de Benevente Poète Se MuG- cienEfpagnol, s'avifa en 1645 de re- nouveller en Efpagne cette ancienne

ET DE SES EFFETS. $79

liberté des Satyres de la Comédie des Grecs, ayant compofé des Intermè- des en 14. chants , qui avoient pour

titre,

Railleries véritables , ou Reprehenfion mo- mie & plaifante des de/ordres publics.

Cet Ouvrage fut trouve beau , qu'il eut la permifïion de l'introduire dans les Comédies à Madrid; c'eft im Tel qui réveille l'attention des Spectateurs , dont nous n'avons pas l'ufage en France.

Au mariage de Charles II. avec Mademoifelle d'Orléans, des Mulî- ciens François reprefenterent quel- ques Opéra de Lully à Madrid , dont Ton changea les Prologues , pour en fubftituer d'autres qui convien- nent aux Cours étrangères on les joue , comme je l'ai vu pratiquer en Angleterre & en Hollande ; mais cela ne dura pas long tems , la Na-" tion ayant plus de goût pour la Mu- fique Italienne.

Les Grands dEfpagne aiment fort les Fêtes Galantes , & fur-tout les Carouzels & les Tournois : je vais ea

380 Histoire de Musique, rapporter ici un qui fut fait a Foc- cafionde l'alliance de Ferdinand Roi d'Arragon , avec Ifabelle Reine de Caftille , dont le règne fut commun entre eux. Ce Tournois a été traduit en François à caufe de fa fingularité, par lequel on pourra juger de l'ima- gination des Efpagnols pour ces for- tes de Fêtes la Mufique eft fou- Tent employée.

Le fujct étoit un défi d'Apollon & de Mars ; le théâtre reprefentoit un Arc de Triomphe, fur lequel é- toit un Autel confacré à l'Honneur, auprès d'un Fontaine artificielle.

L'Honneur parut fous cet Arc ac- compagné de la Vertu, Se de la Va- leur , pour inviter les Princes Se les Perfonnes de grande NailTance à faire des actions Héroïques. Jupiter en même tems parut dans le Ciel Se en chafTa la Difcorde, qu'il précipita dans les Enfers ^ mais s 'arrêtant fur la Terre elle éteignit fon flambeau dans la Fontaine de l'Honneur, le ca- chant après pour vivre en fureté par- mi les Hommes. Cependant l'Hon- neur amené Apollon Roi de rifle de

ET DE SES E F F E T S. 3S1

Deîos, avec trente Cavaliers mon- tez ôc vêtus très-fuperbement & di- vifez en Quadrilles , une doiée , une rouge, une blanche , qui marquoient les trois couleurs du Soleil, au le- ver , au midi , ôc fur le ioir.

La Devife d'Apollon étoit : J 'é- elaire toute la Terre y ôc le Phofphore écoit Ton Mettre de Camp.

La Vertu accompagnée de l'Hon- neur , introduit Apollon avec fes trois Quadrilles dans le champ de Bataille , ôc la Valeur introduifît Mars avec un pareil nombre de Qua- drilles ; l'une de Cavaliers vêtus Se montez comme les anciens Perfes, l'autre en Chevaliers Romains, ÔC la troifiéme en Cavaliers Espagnols.

La Devife de Mars étoit 1% forte far tout la terreur, ÔC l'Etoile Hefyerus étoit Ton Meftre de Camp.

Le combat fut un Balet danfé par fes fîx Quadrilles au bruit de toutes fortes d'inftrumens militaires, après quoi ces deux Héros fe promirent une amitié mutuelle par des embraf- femens , ôc vont jurer cette amitié fur la fontaine de l'Honneur. A peine

3S1 Histoire de la Mi/sic^je, s'en font-ils approchez pour s'arro- fer l'un Se l'autre de cetee eau ; qu'il eu fortit une fumée épaitfe eau fée par la Difcorde, qui venoit d'y étein- dre Ton flambeau , ce qui les rendit comme des Furieux ; les (ïx Qua- drilles reprirent leurs armes Se com- battirent fort extraordinairement , jufqu'à ce que Jupiter reconnoif- fant que la Difcorde s'étoit deguifée fous les apparences de la Paix , en fait connoître l'artifice à la Vertu, à la Valeur Se à l'Honneur , qui la dépouillent de fes faux habits , Se la mettent aux fers, pour procurer une Paix parfaite chez toutes les Nations au ion des fanfares , ce qui termina le Tournois.

Les premiers Tournois ont été in- ventez par Manuel Comnenus Em- pereur de Conftantinople, pour amu- ier fa Cour dans un tems de Paix , au dire de Paucirol dans fon Traité des chofes nouvellement inventées, liv. 1. ch. 20.

Parmi les qualités naturelles Se ac- quifes de l'Empereur Charles- Quint, il eft fait mention de fon profond

!T DE SES EFFETS, .3!$

fçavoir pour la Mufique, & de l'ex- cellence de Ton difcernement pour juger des beaux endroits d'une Pièce de quelque compofition qu'elle put être. Le Sieur du Pérou le- Hayer qui a traduit Ton Hiftoire, rapporte qu'après fa retraite il fe réjouillbit beaucoup d'entendre chanter l'Of- fice en Mufique, à caufe de la paf- fion qu'il avoit pour la Symphonie. La délicate(Te de Ton oreille iurpaf- foit celle des Maîtres , fi bien qu'un jour ayant commandé de chanter une Méfie fur le livre des Motets que lui avoit prefenté Guerreno , qui paiîoit pour le meilleur Muficien de toute l'Efpagne, il reconnut tous les endroits qu'il avoit pris dans d'au- tres Auteurs , & dont les Maîtres de l'Art ne s'étoient pas même apper- çus ; l'on peut dire aufïï que le grand goût de Charles-Quint pour la Mu- fique a pafié comme un bien héré- ditaire dans la Maifon Royale de Bourbon.

J'ai déjà dit que la Fête du Sapate, tire Ton origine d'Efpagne, qui s'ap- pelle en leur Langue Zapato. Celui

3S4 Histoiili de la Musique, qui fut fait par Philippe 1 1. pour Elifabeth de France, mérite d'être rapporté pour honorer la Mufîque; outre qu'il a éré traduit en notre Langue pour la beauté : le fujet étoit le Parwjfë en Fête, Un jour de la Saint Nicolas, la Reine après Ton lever paffa dans fa Chambre de parade , les Dames l'attendoient ordi- nairement y elle vit en entrant la face de Ton grand alcôve fermé d'un grand rideau de damas cramoiii gar- ni de feitons a frange d'or , & furie milieu un Amour le flambeau à la main fufpendu par un merveilleux ar- tifice, avec un lifton volant l'on lifoit ces mots.

Je cache , & je découvre tout,

A peine la Reine eut lu ces mots, que l'Amour faifant difparoître le rideau , lui fit voir au lieu de fon lit de Parade , deux grandes pointes de Rocher, élevées fur une Montagne dont l'entre- deux étoit un agréable Valon en forme de théâtre, tel que les Poètes ont dépeint le ParnalTe de la Phocide. Ceiï-là que parut

Apollon

ÏT D'î SES 1ÏFETS, 3 S J

Apollon ailîs fur un Thiône d'or ; il avoit à les cotez les neuf Mufes cou- ronnées de fleurs, & toutes brillan- tes de pierreries , chacune d'elles portoit en fa main le fymbole de la Science ou de l'Art auquel les Poètes feignent qu'elles prefident; on dé- couvrit en même temps dans devx grottes que la Nature (embloit avoir creufées exprès au pied de la Monta- gne, Orphée & Linus, les deux fils bien aimez d'Apollon-, & après un un excellent Concert d'Inftrurmns, ce Dieu du Parnalîè fe mit à chanter ces Vers :

Tuifque de mon faere Vallon 9 %)n peuple barbare nous éhajfé* Chères Compagnes d' Apollon , Etablirons notre Parnajfe Sur ces Monts ou renne aujourd'hui . Vn Héros , demi Dieu de celejle origine 3 Et fait régner ans jeune Héroïne, Digne de Jbfj'Throne & de lui.

A la voix d'Apollon, Orphée 3c Linus fortirent de leurs grottes, & lui répondirent :

Pv

5S6 Histoire de Musique., ORPH E'E.

Pour f honneur du Monde die eft nie.i C'eft la béant è deftinèe , Pour rétablir notre repos.

L I N U S.

C'eft U Vert h couronnée i

C'eft la Reine fortunée

Du cœur de ce Grand Héros , &c.

m

A pi es un Dialogue alTez long en- tre Apollon. & ces Poètes, ils tirè- rent du rocher neuf pierres précieu- fes qu'ils mirent entre les mains des neuf Mufes , pour les prefenter à la Reine.

Orphée donna à Calliope une Emeraude, Linus à Polymnie une Topafe , Clio prtfenta un Diamant, Uranie une Aigle marine, Eiato une Ametifte , Thalie un Rub;s . Euterpe une Turquoife, Terpficore un Sa- phir, & Melpomene une Hyacinte ; chaque Mufe étoit vêtue de la cou- leur de la pierre quelle preientoit, êc faifoit un récit pour en appliquer

ÏT D! SES EPF S TS. 3S7

les rapports & les propnetez aux

vertus de la Reine : Il y ei^t encore

d'autres prefens , entr'autres un beau

Cheval qui reprefentoit Pegafe, fur

lequel Virgile étoit monté, qui parut

tout à coup précédé de deuxTim-

balliers vêtus à la Morelque , ÔC

chanta un beau récit pour offrir ce

Cheval à la Reine. A la fin quantité

de petits Amours apportèrent d'en

haut des corbeilles remplies de gans,

d'éventails , de rubans Se d'autres

chofes convenables aux Dames, donc

la Reine fit des prefens ; cette Fête

fut fuivie d'un Fet't n magnifique ,

& d'un Bal. ïl eu: à préfumer que la

devife de l'Amour qui fut attachée

au lit nuptial de la Reine , étoit une

manière d'avertiiTement de la jalou-

fîe ou des foupçons de Philippe II.

dont cette infortunée Princtfîe ne

fçut pas profiter, fi nous en croyons

Thiftoire de Dom Carlos.

Quelquefois les actions de Mufique ne font qu'une partie des Fêtes & des réjouiflances au milieu d'un Bal, d'un Feftin ,d'un Balet, d'une Comédie, 8c même d'une Procefïiona c ù il y a des

Rij

3S8 Histoire de la Musique, théâtres pour les Muficiens auprès des repofoirs fe met le S. Sacrement, ou les Reliques que Ton porte en ces Procédions ; l'on recite en Mufique des faits de la fainte Ecriture, ce qui eft devenu aifez fréquent en Efpa- gne > depuis Tan 161c, que les Mo- res & les Juifs en furent cha(Tez , cas fortes de Procédions ayant été inftituées pour exciter le peuple à la dévotion. Les Rois en Eipagne ont comme dans toutes les autres Cours, un corps de M-utique pour leur Cha- pelle <k pour la Chambre.

On peut jugerdéla Mufique delà Cour de Portugal par celle d'Efpa- gnejdont la proximité des Royaumes & le même climat, rendent prefque ces deux Nations égales pour leurs mœurs , outre que ce -Royaume a «té un tems dans -le dernier iiecie fous la domination d'Efpagne: ils ontauffi. quelques Fêtes qu'ils ont retenues des Maures, qui ont polfedé cet Etat allez long temps.-, de même que les Espagnols ont au.(îi les combats des Taureaux ; cette Nation ayant régné li p? ou Soô ans dans le Royaume de

IT DE SES EFFETS. 3^5)

Grenade jufquau règne de Ferdinand &- d'Ifabelle , qui en firent la con- quête.

J'aurois parlé plutôt de la Mufique de la Cour de l'Empereur, fi elle n'avoir prefque été des dernières eu les reprefentations en Mufïque ont été introduites, par les fecours de la Mufïque Italienne ; quoique les Allemans fe puiiTent vanter d'avoir eu la connoitfance de celle dts An- ciens, auiTi-tôt que pas une Nation de l'Europe, puifque Tacite en par- lant d'eux , dit qu'ils étoient les pre- miers de tous les Peuples Belliqueux qui chantoient en allant au combat -, Se que c'étoit plutôt un concert de valeur que de voix ^ ils avoient auïïi des voix dont le chant les animoità la guerre , ce qui a beaucoup de rap- port à ce que j'ai dit des anciens Gau- lois.

Ils ont eu quantité de Mufkiens Allemans qui ont compofé en Mu- fïque beaucoup de Pièces en leur Langue, & l'on trouve même qu'il s'eft fait quelques reprefentations d'Opéra à Vienne, & qu'en \£$%y

R iij

59<> Histoire bêla Musique, il en fut reprefenté un à Hambourg; en Langue Allemande , pendant Taf- femblée d'une Diète ; mais la Gour de l'Empereur Leopol, étant for- mée environ Tan 1660 , de quantité de Miniltres Italiens , Se de Géné- raux de cette Nation, ils y introdui- firent la Mufique Se la Langue Ita- lienne pour les fpectacles ; & Ton fit un Opéra à Vienne fur le modèle de ceux de Venife, pour les noces de cet Empereur, qui fut trouvé fi beau, que je crois devoir en rappor- ter ici le canevas, ou le corps de la Pièce , comme ayant auflî paile pour un des modèles de l'Opéra François,, outre qu'on en trouvera peu qui fade plus d'honneur à la Mufique.

Le fujet étoit les Amours d'Orphée & d'Vridice , le Prologue fit voir d'abord le Palais de la Mufique avec tous fes attributs : on feignit que ç'étoit une Déefle5qui fortantde (on Palais avec tous les fameux Mufi- ciens & Muficiennes de l'Antiquité, venoient rendre leurs hommages à l'Empereur, & chanter fes Vertus.

La première Scène fit voir un Bo-

ET DI S|S EFFETS. 59I

cage dont l'étendue & la profondeur fembloit furpaiîer le théâtre de plus de cent fois ; il parut dans ce Bo- cage un Augure aiTis dans une crotte magnifique , Endymion père d'Euri- dice vint le^confulter fur le iucecs que devoit avoir le mariage ds fa fille avec Orphée, cet excellent Poè- te Muficien Se fils d'Apollon ; fur quoi deux Tourterelles emportées par deux Vautours lui en ayant don- né un mauvais préfage, Endymion demeura d'autant plus effrayé de ce prodige, qu'il ne croyoit pas pou- voir éviter le deftin malheureux de ce mariage , quelque foin que prie la Nourrice de fa fille de le détour- ner de Cette penfée par de meilleurs Augures. Tandis qu'Endymion alloit fe laver dans une fontaine pour ex- pier le malheur qu'il avoit prévu, les Minières de l'Augure chantè- rent les traverfes des Amans , lorf- qu'Orphée avec Euridice parurent fur la Scène d'une manière fi gaye, qu'ils témoignoient par leur chanc &c par leur danfe , dont ils l'accom- pagnèrent, qu'ils ne craignoient pa«

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5$i Histoire de la Musique, les préfages donc Endymiou paroiC- foit être couché. Ariftée fils de Bac- chus, vinc à la croifiéme Scène, fe plaindre des difpofîcions qu'il voyoic au mariage d'Orphée, donc il écoic le rival ; un Sacyre danfant avec Tes pieds de Bouc, tâchoit de le diver- tir, •& pour le confoler tournoit en raillerie les bizarreries de l'Amour $ mais fajaloufie s'augmentant, au lieu de s'appaifer par de (i foibles remè- des , il lui fit chanter un air fur les peines que lui donnoitie bonheur de Ton rival, à quoi le Satyre répon- doic par une autre chanfon fur le mê- me fuj t -, mais à la fin A ridée s'aban- donnant à la triftilïe & aux regrets, appella Venus à Ton fecours. Ve- nus aux cris d'Ariftée defcendit du Ciel dans un nuage avec Cupidon, les Grâces , & une troupe de petits Amours chantans les louanges de cetre [Te, & celles de Ton fils; Venus cacha d'infpirer à Ariftée d'au- tres pei fées que celles qu'il avoit pour Euridice ; mais ce Berger fe plaignant de l'Amour , qui n'a voit pour lui que des refus, pria Venus

ET DE SES ÎPP ETS. 35)$

de le lui rendre plus propice , & de- manda à cette DéeiTe qu'il pût ob- tenir d'elle, Euridicej candis que d'un autre côté le Satyre fe mettant aufli à genoux , pria Venus de le dé- baraiïcr de fa femme , d'une ma- nière allez plaifance. Venus ayant fait connoître à Ariiïée, que la né- gligence qu'il avojt pour la perfon- ne , étoit la caufe du peu d'eftime qu'CJridice avoit pour lui , com- manda aux Grâces de l'ajufter : elles defeendirent du Thrône de Venus 8c fe mettant à le frifer, chantèrent la différence qu'il y avoit entre la pro- preté & la négligence , pour laquel- le fe declaroit le Satyre d'un air ba- din 5c enjoué, en faifant mille gri- maces avec des tours allez divertif- fans ; puis ayant prié les Grâces de l'ajufter pour le rendre plus agréa- ble, elles lui firent mille maux en peignant rudement fa cherelure mê- lée & toute herilTée ; cependant la perfpective qui parut à l'ouverture du théâtre s'étant ouverte, fit voir une table fuperbement fervie pour les noces d'Orphée & d'Euridice, ou

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394 Histoire de ia Musique, Momus ne manqua pas de fe trou- ver. Comme ileftle Dieu des feftins & de la mcdifance , il chanta cent chofes plaifantes contre le mariage des laides perfonnes , & fur le dan- ger d'être jaloux , cjuand on en épou- fe de belles ; des Nymphes & des Bergers danferent un Balet avec des torches blanches à la main autour delà table; mais les torches qu'elles portoient pour célébrer cet Hyme- née s'étant éteintes, parurent de fi mauvais augure à Endymion, qu'il fortù de table tout effrayé, é- toient afîïs Junon, Apollon , Hy- menée , Orphée & Euridice ; les Ber- gers étonnez quittant leur danfe 9, réclamèrent par un hymne plein de tendreiîe , le fecours des autres Di- vinités, pour détourner ce fâcheux préfage.

Au fécond A&e on vit paroître une fuperbe décoration d'un Palais , l'on pouvoit remarquer toutes les beautez de l'Architecture , & Ve- ïïus s'étant changée en vieille dans le Temple de Prothée , s'entretint' desamours d'Axiâée avec lui-même

ET DE SES EFFETS. 395

jufqu'à ce qu'Euridice , venant à palier pour alier au Temple, prie les Dieux de détourner les funeftes préiages de Tes noces. Venus lui în- flnua doucement que pour changer ces préfages , elle n'avoit qu'à chan- ger d'Amant ; mais Euridice lafTée des pouiTuices d'Ariftée , des folli- citations de Venus , & des remon- trances de fa nourrice , petfevera dans fon deffein de n'avoir qu'Or- phée pour époux, lorfque le Satyre impatient d s refus d'Euridice , of- frit fon aiTtilance à Ariftée, pour enlever l'objet de fes vœux au mi- lieu de la danfe qui fe devoit faire dans le Jardin du Soleil. Ce Jardin parut aufli-tôt , Se Momus y raillant de l'Amour , Junon Se Apollon père d'Orphée, le réprimèrent de fes ma- nières toujours libres , Se fàcheufes pour fes cruelles médifances ; mais s'exeufant fur la bizarrerie des hu* meurs Se de la conduite des hom- mes , leur découvrit que Venus prelfoit l'Amour fon fils, de rendre Orphée amoureux de quelqu'autre Nymphe qu'Euridice y ce qui obli-

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15) 6 Histoire be il a Musiqjje , gea ces Dieux de prier Cupidon de n'en rien faire , ôc chantèrent les louanges de l'Amour conltant. L'A- mour feignant de vouloir obéir à fa mère, attendit Orphée, que les Grâ- ces lui amenèrent par fon ordre, afin qu'il lui infpiiât de l'amour pour quelqu'autre beauté , en l'invitant de chanter pour fe réjouir ^ mais s'en excufant fur la trifteile des Augures qui le rendoient mélancolique , l'A- mour lui découvrit les artifices de Venus pour le détourner de la paf- £on qu'il avoit pour Euridice. Les Grâces plus fidelles à Venus que fon fils , lui apprirent que ce Dieu avoit révélé à Orphée tout ce qu'elle tra- moit contre lui , dont la DéelTe en colère lui reprocha fes trahifons -y mais pour éviter ces reproches L'A- mour s'envola dans le Ciel, & Ve- nus quittant fa forme de vieille, re- folut de fe venger ouvertement des re fus qu'Orphée avoit fait de Us confeils.

Un Temple ayant changé tout d'un coup la face du théâtre , Endymion & L'Augure y vinrent pour faire des

ET DE SES EFFETS. $97

facrifices à Venus , à delTein de l'ap- paifer ; mais comme l'autel étoit pré- paré, & la vi&ime prête à immoler, Junon furvint qui les détourna du iacrifice qu'ils alloient faire, les af- fûrant qu'Euridice n'avoitplus rien à. craindre depuis que l'Amour s'è- toit déclaré pour Orphée 5 & les en- gagea d'offrir à ce Dieu la victime qu'ils vouloient immoler à Venus» La Scène changea auffi-tôt de face , & Euridice accompagné de fa nour- rice ôc de fes Nymphes , vint fe ren- dre au lieu de la danfe dans le Jar- din du Soleil5.6V s'endormit fur un lit de fleurs de Jonquille ,.au bruit d'un concert de flûtes douces joué par le Dieu Pan Se fa fuite, en attendant les Dryades qui dévoient être de la partie; les Dryades arrivées l'éveil- lèrent & danferent avec des cafta- gnettes un Balet qu'Euridice trouva agréable, qu'elle y danfa avec fes Nymphes. La danfe ne fut pas plu- tôt recommencée par une chanfon à la louange de l'Amour, que le Sa- tyre y accourut pour l'enlever ; mais Euridice ayant reconnu fon deiTein^,

$?8 Histoire de la Musique, s'enfuit; & par malheur, elle fut mordue d'un ferpent en s'enfuyant , ce qui épouventa & écarta toute la troupe. Ariftée quiétoit aux aguets, ayant vu le ferpent, qui tenoit en- lailé le pied de cette Nymphe, le voulut tuer 5 mais Euridice qui n'a- voit que de l'averfion pour lui, re- fufa fon fe cours , Se le pria de fe re- tirer: cependant le venin de la mor- fure ayant gagné le cœur d'Euridice, elle expira en appellant inutilement Apollon Se Orphée à fon fecours. Le Palais Se le Jardin du Soleil qui faifoient alors la décoration du théâ- tre furent remplis des regrets d'A- pollon , mêlez avec ceux des Nym- phes , Se finit la féconde partie de cette reprefentation.

En la troifléme , on vit d'abord un Defert afTreux , des Cavernes, des Rochers , avec un Antre en forme d'allées , Se au bout à travers l'ob- feurité fe découvroit un peu de jour -y c'étoit au fond de cette Antre, qu'- Orphée fondant en pleurs, deman- doir aux Parques , fa chère Euridicej mais ces fieres Déefîes lui dirent de

ET DE SES E ÎFETS. 3££

s'adrefTer à Pluton , qui feul règne dans l'Empire des Moits. Endymion vint mêler fes larmes & fa voix à celles d'Orphée, en chantant un air très-languiflant : alors la Terre trem- bla, & Ton entendit des fïffiemens affreux, l'Ombre d'Euridice paroif- fant pour tourmenter Ariftée qui l'a- voit voulu enlever, le pourfuiYÎt un lerpent à la main & le fie devenir furieux ; fon chant exprimant la fu- reur , remplit de terreur la quatriè- me Scène de cette troiiiéme partie, Junon defeendit du Ciel pour confo- îer Orphée & lui fuggera des moyens pour retirer fon Euridice des Enfers, tandis que Venus triomphoitde s'ê- tre (i bien vengée.

Les Enfers ou règne Pluton, firent un nouveau changement de Scène ; c'eft-là que toutes les Ombres vin* rent voir avec étonnement un Mor- tel vivant qui avoit pu y pénétrer. Pluton reprit le Nautonnier Caron d'y avoir pafle cet homme j mais il s'exeufa fur la puifTance de la lyre d'Orphée, qui avoir charmé tous les Monflres des Enfers , & s'écoit fait

4©o Histoire be la Musique, paflTage malgré lui jufques dans l'Em- pire des Morts -, ce divin Chantre parut auili-tôt, Se charma tellement Pluton, qu'il l'obligea de lui rendre fon Euridice, à condition toutefois qu'il ne la regarderoit point, qu'elle ne fût fortie de cette demeure» Ce- pendant un Balet compofé de tous les Monftres d'Enfer , fous cent fi- gures extravagantes, de Centaures, d'Harpies , de Vautours , d'Hydres, de Hiboux, de Bêtes féroces, êc d'autres Bêtes de formes grotefques, égayèrent cette feene^ lorfque Caron vint apprendre à Pluton , qu'Or- phée avoit manqué de parole , ce qu'il fit qu'il retint Euridice dans les Enfers , déplorant fon fort & de- mandant en vain de retourner vers Orphée , elle fut conduite par ordre de Pluton aux Champs Elifees , qui font moins affreux, & qui fuccede- xent à la reprefentation des Enfers par une nouvelle décoration. Orphée peu après vint faire part de fa dou- leur aux Arbres & aux Animaux qui danferent au fon de fa lyre & de fa voix , dans une Foreft confacrée à

2 T DE SIS EFFETS. 40T

Harpocrate le Dieu du Silence. Ve- nus,voyant que Bacehus s'étoit rais de la partie avec une troupe de Bac- chantes, lui vint raconter la mort d'Àriftée Ton fils , eaufée par les ri- gueurs d'Euridice, qui lui avoit pré- féré Orphée , ce qui mit tellement Bacchus,& les Bacchantes en fureur, que s'étant jettées fur Orphée, elles le mirent en pièces pour vanger cet- te mort ; mais Jupiter irrité de la cruelle deftinée d'Orphée , parut dans le Ciel, pour lui décerner l'irr*. mortalité^ & voulut que fa lyre fift une Conftellation dans le Firma- ment., fur quoi le théâtre retentis d'un Hymne mélodieux , pour ex- primer que la parfaite Vertu fe doit entièrement détacher de la Terre, &: n'attendre fa récompenfe que du Ciel ; c'eft ainfi que Ton fit fur la fin de cette grande Pièce une Inftru- ftion morale , pour infpirer à l'Em- pereur le deiir des Vertus Héroï- ques, & des fentimens dignes de fa Grandeur, &c à l'Impératrice ceux de la confiance & de la fidélité d'Eu- ridice.

4o'i Histoire de la Musique ,

Le fuecès de cecre reprefentatibii dont la nouveauté furprit également tout le monde , par les changemens merveilleux des décorations extra- ordinaires & parla beauté du chant, aufïï-bien que par la variété des ha- bits, des danfes & des inftrumens , fut caufe que la Mufique Italienne s'empara, pour ainfi dire , de toute l'Allemagne, & depuis ce temps-là le Corps de Mufique de l'Empereur îî'eft prefque plus compofé que de Muficiens Italiens.

Le Marquis Santinelli, qui étoit grand Muficien, ayant auffi une ima- gmation profonde pour la cômpo-. fîtion des Opéra Italiens, en a fait depuis cinq ou fîx , qui ont été re- prefentez avec fuecès à la Cour de l'Empereur, ce qui lui a fait mériter la qualité de Gentilhomme de la Clef d'Or ; on les appelle Opéra Regia \ pour les diftinguer des autres , ayant été. faits aux dépens de l'Empereur; de même qu'on pourroit nommer Opéra Royaux , ceux qui ont été faits à Verfailles aux dépens du Roi. r

ÏT DE SES EFFETS. 4&$

C'eit une efpece de Fête que la chaiïe du Sanglier qui fe fait deux fois l'année par l'Empereur ; on dreiTe des tentes magnifiques dans l'endroit l'on juge que la Curés fe pourra faire. Il y a dans latente de l'Empereur une efpece de Trône drdfé, & des eftrades pour les Da- mes , un théâtre pour le corps de Mufique, un bufet dreiîé fuperbe- ment, des tables garnies de tout ce qui peut fe fervir pour un ambigu ; lorfque la cHalfe eft faite, le grand Veneur avec tous les Officiers de la Vénerie velus fupei bernent, appor- tent toutes les bêtes fauves: qui. ont été-tuées a ôc le grand Verreur prefente avec une grande cérémonie à l'Empereur qui eft dans un Trône, une liurede Sanglier dans un grand bafïîn d'or, ce qui fe fait au fon des cors des Veneurs, aufquels la Mufi- que répond par de certains airs qui conviennent à la chafTe, enfuite l'Em- pereur fait faire la diftributionde la venaifon à toute fa Cour ; on laide quelques Sangliers aux Muficiens pour les diftribuer entr'eux.

404 Histoire de la Musique,

Comme je me fuis propofé de ne parler ici que des Fêtes en Mufique-, qui fe font aux noces , Se à la naïf- fance des Princes de l'Europe ; Je quitte la Cour de l'Empereur Leo- pold , dont on a chanté dans fa Cha- pelle quelques Motets de fa compo- fitïon , pour faire voir les progrès de la Mniîqueà îa Cour de Bavière, qui parTe depuis long-tems pour la plus galante déroute l'Allemagne.

Voici une Fête qui fut faite pour le jour de la naiffance du Prince Electo- ral de Bavière d'aujourd'hui, par l'Ab- bé Sc3rlatty,qui avoitungrand talent pour les reprefentacions de Mufi- que relleavoit pour titre, La Bavière triomphave de C Hère fie , comme un fujet convenable au tems , feignant que la naifîànce de ce jeune Prince foutiendroit la Religion Romaine dans l'Allemagne.

La Cour s'étant affemb'ée dans le Palais de Munich, on entendit un grand bruit de trompettes, de tim-. baies Se de tambours, qui invitèrent les Conviez de fortir des apparte- nons pour aller dans le Jardin-, Ils

?T DE SES EFFETS. 4G|

virent d'abord au bout d'une grande allée > un Char de triomphe tiré par quatre chevaux blancs , précédé de vingt quatre perfonnes vêtues iin- gulierernent , tenant une banderole à la main, qui reprefentoient toutes les Vertus ; 6V fur ce Char étoit la Bavière affife fur un Trône élevé, ayant à fes pieds l'Herefie enchaî- née, que l'on feignit mener captive à Rome ; ce Char étoit conduit par le Tems. Rome parut enfuite, qui con(îderant cette Nymphe , ou le Génie de la Bavière , lui demanda qui il étoit; il defcendit appuyé fur le Tems , Se alla audevant de Rome, lui difant qu'il apportoit au Capi- tole des dépouilles enlevées iur les ennemis de la Foi Se de la Religion; le Tems foutenu d'un concert d'In- jfêrumens célébra les Heios fortis de la Maifon Electorale de Bavière, & les vertus d-u Pape Innocent X I. de Maximilien Duc de Bavière , de fon Frère l'Electeur Ferdinand , & fit des vceux pour le jeune Duc. Rome Se la Bavière prononcèrent la condam- nation de l'Herene, que la Bavieiq

.40 £ Histoire de la Musique, avoic emmenée enchaînée. Auffi-tct un Fondre tomba iur elle, qui la mit toute en feu avec le Char , d'où for- ment mille fufées volantes, 8c au- tant de ferpenteaux, pour finirle fpe- étacle par un beau Feu d'artifice , après quoi la Cour rentra dans le Palais dont les appartenons fe trou- vèrent fort illuminez : il y eut un fuperbe Feftin, un grand Concert de voix &c d'inftrumens , &: enfuite un Bal des plus magnifiques.

Il s'eft fait des Challes à la Cour de Bavière avec des équipages de de Triomphes Se de Carouzels ; ou des machines, & des chariots char- gez de Mudciens , accompagnez de charrettes chargées de Cerfs , de Bi- ches, de Sangliers, les Veneurs, les Piqneurs & les Valets de chiens paro ifFoient agréablement déguifez en Nymphes de Diane, en Faunes, en Saéyres, ou en ChaUèurs de la Fable dont les Poètes ont parlé, com- me eTAéfceon, de Meleagre ,-d'Ata- lante , d'Endymion, &c.

Outre les Comédies qui étoient fou communes à Munich avant la

ÏT DE SIS ËïfITS. 407

'Guerre , il s'y faifoit tous les ans au Carnaval une Fêre que l'on appelle Wirfdafft, ou les Hôtelleries. Com- me la Mufique y a beaucoup de parc, je vais rapporter celle qui fut fai- te en 1670, par fon Altefle Ele- ctorale de Bavière , & Madame la Dauphine fa fceur. L'on prit le Pa- lais de Munich pour fervir d'Hôtel- lerie ; ce font ordinairement les plus grands Seigneurs Se les plus grandes Dames de la Cour qui font la fon- ction de l'Hôtellier, & de l'Hôtel- liere , 8c d'autres perfonnes de Qua- lité qui font les fonctions des dome- fliques , comme aux Fêtes Saturna- les des Romains i les Maki es fer- > oient les valets.

Le fujet de celle ci étoit une gran- de Fête, qu'on feignit deyoii être re- preientée a Munich , &c qui devoit fur fa réputation y attirer des gens de confédération de toutes les Na- tions du Monde, comme du tems des premiers Empereurs Romains.

L'Electeur 8c t'Ekctrice y paru- rent les premiers en Turc, ôc fem- me Tuique 3 vêtus iuperbement Ôc

40S Histoire de laMusîqhh, tout brillans de pierreries à la ma- nière de cette Nation j le Duc Ma- ximilien, avec la ComtelFe de Tat- tenbach , en Chinois j la fœur de l'Electeur, en Egyptienne , difant la bonne avanture j d'autres en Indiens, en Tartares , Perfans, Arméniens, Hongrois , Tranfîlvains , Polonois,- Mofcovites, Arabes, Grecs, Véni- tiens , Romains , François , Efpa- gnols, Portugais, Allemans, Suifies, Holandôis -, enfin il parut à cette Fête jufqu'à quarante Nations diffé- rentes, d'hommes &r de femmes,tous vêtus magnifiquement, & pour les conditions des Cavaliers, des Sol- dats , des ChaiTeurs, des Bergers, Bergères, des Jardiniers & des gens de toutes fortes d'états vêtus alïèz cakmment.

On fit des Feftins magnifiques, la Comédie, avec des Intermèdes; les Concerts, le Bal & toutes fortes de Jeux fe trouvèrent dans l'Hôtelle- rie ; mais le meilleur eft qu'on en fortoit fans rien payer, ce qui eft différent des Fêtes qui fe font aux Hôtelleries des Chinois. Celles-ci fe

font

ÏT DE SES EFFETS. 409

font tous les Carnavals dans diffé- rentes Cours d'Allemagne, & don: les fujcts font toujours nouveaux, L'on peut dire que celle de Ba- vière l'emporte toujours fur les au- tres, cet Electeur ayant ordinaire- ment un corps de cinquante ou foi- xante Muficiens des meilleurs de l'Europe, Se un goût excellent pour la Symphonie qu'il aime paffionné- ment, comme nous l'avons vu pen- dant fon fejour en France, par la fomptuofité de tant de Fêtes qu'il a données : on peut dire auiîi que c'eft un Prince magnanime. Je crois ne pouvoir mieux finir ce qui regarde les emplois de la Mulique d'Alle- magne.

Je vais faire voir ceux de celle d'Angleterre-, l'on prétend que c'efl de la Mufique de France, que ce Royaume tient le r-établiffemencdes repreientations en Mufique, par le moyen de Cambert fameux Mufl- cien . qui y fit reprefenter les Opéra de Pomone, les PlaHirs & les Pemes de l'Amour, qu'il avoir fait jouer Jf Paris en i 6 6 8, 3c quelques autres

S

4ïo Histoire la MtrsiQir?,

Pièces qu'il compofa pendant (on fe- jour à Londres , qui ne fut pas long -, car l'on prétend que l'envie qui eft infeparable du mérite, & les bienfaits qu'il droit du Roi d'Angleterre, lui firent beaucoup d'ennemis, ce qui l'empêcha de porter plus loin la gloire de la MufiqueFrançoife dans ce Royaume ; de forte qu'après fa mort , la Cour d'Angleterre s'étant accoutumée à voir des Spectacles , fit venir des Mudciens dîtalie pour jeprefenter des Opéra Italiens , dont l'ufage a continué jufqu'à prefent on trouve néanmoins que quelques Muiiciens Angiois en ont compof< quelques-uns en leur Langue natu- relle ; mais n'ayant pas réuffi, on s'en tient à ceux d'Italie -, ils ont dans ieurs Comédies aflez fouvent des In- termèdes de Mufîque Angloife, & quantité de Maîtres qui montrent à chanter en Angiois. Il y a huit ou dix ans que des Muiîciens François compoferent ici un Corps pour aller jouer des Opéra François à Londres; ils furent aifez bien reçus , ils en donnèrent quelques repreientauons j

il

ST DE SIS EFFETS. 4TI

mais une querelle qui arriva entre eux Bc des Muficiens Anglois enfor- tant un foir de l'Opéra , interrompit ce fpe&acle, y ayant eu cinq ou il* hommes de tuez de part ôc d'autre. Depuis ce temps-là, il n'a pas pris d'envie à nos Muflciens François d'y retourner. J'ai cependant trouvé dans mes Mémoires qu'en 1613 , la! Cour d'Angleterre avoit l'ufage des reprefentations de Fêtes en Mofu que, puifqu'on en fit une pour le mariage de Frédéric V. Comte Pa- latin du Rhin, avec Madame Elisa- beth , Fille unique & Princeiîe de la Grande Bretagne , laquelle je vais rapporter , pour faire voir que cette Nation a du goût & du fçavoir pour ces fortes de comportions. La Fête fe fit à Londres dans le Palais de S. James.

L'on commença par faire aîTeoir tous les Conviez autour d'une gran- de table , dreiTée dans une fale pré- parée pour raccompliiïement de la Fête j la table étoit élevée fur une eftrade, & placée fous un grand dais, fans qu'il y eût autre chofe qu'une

Sij

4ii Histoire de la Musique,

nape étendue j mais en même tems Ton vit Mercure deicendre du Ciel aux ions des trompettes, comme. l'Envoyé des Dieux, qui fie. enten- dre à toute i'AlTemblée par un récir de Muiique Angloife, que c'étoienc les Dieux mêmes qui vouloient les régaler, Se que ce feroit de leur pro- pre table qu'ils les feroient fervir.

A peine eut- il achevé de chanter, qu'au milieu d'un agréable Concert, entra ia Déclfe Ce es avec dix Nym- phes , qui apportèrent en dan faut le pain dans de riches corbeilles, ÔC apes l'avoir po!e fur la table, firent une belle entrée de Balet; cette trou- pe étant (ortie, Bjçchus entra avec la Tienne : il éto t aiiis fur un ton- neau au milieu d'une troupe de Mil- iciens vêtus en Vendangeurs^ dix Bacchantes couronnées de pampres, apportèrent les. bouteilles & les vers, & firent un Balet comme des per- ïonnes pni'es de vin.

Sur leurs pas vint la DéelFe The- tis avec toutes les Néréides , qui portoient chacune une fontaine de corail pour donner à laver, d'autres

ET DE SES EFFETS. 4T3

portoient des couverts de criflal avec des couteaux à manches de corail, comme les cueilleres & les fourchâ- tes, & chantèrent un Madrigal, ou un Epiralame à l'honneur des Mariez.

Flore accompagnée de douze Nymphes , vint femer la table de fleurs , & la couvrit de falades , avec les entrées de table toutes garnies de fleurs ; Diane Déeiïe des Forefls , apporta le gibier avec Tes Nymphes; Pomone fervit les fruits avec (a iui- te -, Venus avec les Amours, les Jeux & les Ris , apportèrent les confitures de toutes fortes de façons , qu> fu- rent rangées fur la tabie par les Grâ- ces ; a la fin du repas; Neptune ac- compagné des Fleuves , 6V des Ri- vières des Etats d'Angleterre , fie porter une Montagne de corail d'où ïortirent plufieurs Ruîtfeaux pour donner à laver ; enfin toutes les Di- vinitez s'étant réunies enfernble , vinrent faire un grand Baîet , por- tant dans des badins des prefens de noces pour diflribuer à toute la com- pagnie.

On peut juger par la defeription

S iij

4.T4 Histoire de la. Musique,

de cette Fête, qu'il y a plus d'un fiécle que la Cour d'Angleterre avoit l'ufa- ge d'introduire des Reprefentations en Muftque dans leurs feftins,comme dans les autres Cours de l'Europe.Les Anglois pouvoient bien avoir enco- re dans leurs feftins des acçompa-. gnemens de Mufîque > dès le temps du Roi Artm 9 quand il inftitua l'Or- dre de Chevalerie de la Table ronde, puifqu'elle eft infeparable des Fêtes de réjouilîances , outre qu'ils ont beaucoup d'inclination pour la Mu- fîque , ce qui paroît par quantité de Concerts que l'on trouve aux Fon- taines minérales, l'on va boire des eaux auprès de Londres dans les deux Saifons, qui font embellies de jardms & de grandes fales atïez pro- pres ; les Buveurs donnent ce qu'il leur plaît aux Mufîciens dans, un bafl fin qu'ils ont fur une table pofée au milieu du Concert ; ce font au (fi des lieux fieftinez aux promenades, toutes le- fois que j'y ai été les après- dinez , j'ai trouvé des Bals, les An- glois avant au(ïi beaucoup d'inclina- tion pour la Danfe.

1T Dl SES EFFETS. 4x5

A l'égard de la Mufique des Rois, elle eft fuivant la dépenfe qu'ils y veulent faire -, J'ai trouvé celle du Roi Jacques fort fimple , aimant mieux employer fon fuperflu en cha- ritez qu'en Mufique. Je croi en avoir allez dit pour donner au Lecteur une idée de la Mufique d'Angleterre.

La Mufique Françoife eft trop re- devable à celle de Florence , par la nairîance du fameux Lully, pour fi- nir ce Chapitre, fans parler de la Mu- fique de cette Cour -, outre que l'on prétend que c'eit encore au génie de cette Nation que Ton doit une par- tie du rétabliilement des Représenta- tions en Mufique, & fur-tout pour les fujets allégoriques, ils excel- lent , comme je vais le faire voir pat une Fête qui fut faite en 1608, au mariage du Grand Duc Cofme de Medicis , avec l'ArchiduchefTe Ma- rie-Madelaine , coufine de l'Empe- reur Rodolphe fon Tuteur.

On fît durant plufieurs jours dans cette Cour 5 tout ce qu'on peut faire de plus magnifique en Feflins , en Jeux , en Carouzels , en Feux d'ar-

S iiij

4^ Histoire©! la Musique, tifice, en Machines, en Arcs *rio;n- phaux , en Comédies, & en repre- fentations en Mutique,(ur-tout celle qui fut faite le cinquième jour, dont le fujet étoit allégorique.

La- Scène étoit un Palais tout bâti de grandes glaces de criital , au lien de quartiers de marbre, pour repre- fenter le Palais de la Renommée , 5c dans le milieu étoit une Tour inge- nieufement élevée, fur laquelle pa- rut !a Renommée avec des aîles ÔC fa trompette d'argent à la main , vê- tue d'yeux , d'oreilles & de lan- gues , comme les Poètes la décri- vent , Se montrant aux nouveaux Epoux, deux grandes troupes de Hé- ros du Sang d'Autriche & de Medi- cis qui étoient leurs Ancêtres, dont elle chanta le Panégyrique en Vers Italiens j en fuite elle annonça aux Mariez qu'elle étoit la Renommée, qui fait la gloire des grandes entre- prifes , & qui publie par tout l'Uni- vers avec fa trompette, les grandes êc il!u!tres Actions. Je fuis la Lan- gue, dit elle, qui annonce les Faits célèbres des Héros, 6c qui couronne

ET DE SES EFFETS. 417

leur mémoire d'une Couionne im- mortelle ; le Monde fe glorifie de voir dans ma Cour Se dans mon Pa- lais 3 tour ce qu'il y a de plus digne d'être remarqué ; rien ne fe paife chez lui de considérable, qu'il n'ait foin de me faire ncavoir ■> Se c'en: moi qui porte par tout avec la vitefle Se la légèreté de mes aîles , ce qui fe fait de plus vertueux dans le Monde. LaPoëne, l'Hiftoire Se la Pein- ture font mesenfansi je donne re- traite dans mon Palais à tout ce qu'il y a de grands Hommes. Princes, voyez ici tous vos Ancêtres avec leurs Provinces Se leurs Etats ; la dé- couverte des nouveaux Mondes font les trophées de leur gloire,, il en refte encore pour vous, car les, colonnes d'Hercules qui bornent les actions Se les entreprifes de ce Héros , ne fçaurçient borner les vôtres , à qui je prépare un plus beau Triomphe, Se une plus grande étendue.

Après ce récit chanté par la Re- nommée , les Héros de la Maiion d'Autriche, Se de Medicis, chantant leurs Actions glorieufes, prédirent

S v

41S Histoire de la Musique, de pareils (uccès aux deux Epoux j êc la porte du Palais de la Renom- inée s'étant ouverte, tous ces Hé- ros y entrèrent pour monter dans le Ciel ; à peine furent-ils entrez , que le Palais difparut ; l'on vit la Renom- mée ,- qui au milieu de i'air s'alla ca- cher dans les nues , en chantant, que quiconque fait des A&ions giorieu- fes , mérite de monter au Ciel , 8c Se d'y être changé en Aftre»

Enfin la Renommées'étant retirée, la Scène r^prefenta la Ville de Flo- rence avec fes colines voi fines ; d'un côté parut dans une grotte V Ame , qui eft le Fleuve qui parTe au milieu de Florence, s'appuyant fur fon Urne couronné de feuilles, tenant une cor- ne d'abondance -, un Lion étoit au- près de lui qui tenoit un lys, ou iris de Florence. De la même grotte for- îirent (\n Nymphes vêtues de diver- fes couleurs 5 & de la partie oppo- ïee, on entendit un Concert de voix 6c d'inftrumens au fon defquels une nue defeendit, fur laquelle parut la. DéeiTe Flore, comme la Divinité de Florence à qui elle donne fon nom j

1T DI SIS EFFETS. 419

ôc s'adreiïant à la PrinceiTe & à Tes Nymphes , elle chanta le fujet de fa venue : ce qui forma un Dialogue entr'elles qui exprimoit leur joye de cette grande alliance, Se qui fut in- terrompu par un nuage d'où for- toient des éclairs qui s'entrouvri- rent. Il en fortit auiîï un Aigle vo- lant, qui portoit la Déeiïe Aftrée, telle qu'elle eft figurée dans les li- gnes du Zodiaque ; Se fur les parties de la nue divifées comme autant de degrez, parurent l'Age d'or , l'Inno- cence, la Simplicité, la Pureté, la Modération, & la Félicité, toutes fuperbement vêtues, & avec tous les cara&eres qui pouvoient fèrvir à les cfiftinguer. Aftrée Se fes Compagnes prédirent aux nouveaux Epoux, toute forte de bonheur, Se firent un globe des Armoiries de la Maifon de Me- dicis , augurant qu'elle feroit décou- vrir de nouveaux Mondes :en effet, on vit aufïï.tôt changer le théâtre de face. Il parut une grande Mer avec des Terres inconnues , l'on voyoit des Palmiers, des arbres de Cocos 9 des Peroquets, des Oifeaux particu-

4io Histoire be la Musique, liers, des Singes 3 & quantité cTAui- maux étrangers, des hommes demi- nuds, & vêtus de plumes de diver- Tes couleurs. Un grand VaifTeau fe découvrit fur cette vafte Mer , il a- vcit un Lion fur la proue , des Fleurs de lys fur les mâts & fur les voiles ; & a mefure que ce VaifTeau s'avan- çoit , on reconnut que c'étoit celui £ A nsnc Vefyuccy Florentin, qui étoic aiîis fur la poupe , ayant un Ailro- labe en main La fcience de la Navi- gation étoit enchaînée au timon fait en forme de Dauphin > la Valeur > la. Hardieffe , la Force & l'Efperance en compofoient les Matelots : lorf- que ce Vaiiîeau eut découvert la Terre, on entendit tout d'un coup des cris de joye exprimez par ces Vers Italiens.

Ecco la terra defîœta appare> &c,

A peine eurent-ils cefTéde chanter, que le Vaiiïeau prit terre, Se lailîa la place à d'auùes merveilles; car tout d'un coup parut le Char de la Tranquillité en forme d'écueil, tiré par deux Veaux marins x la Tran-

ST ©E SES EFFETS. 42.I

quillité étoit fur un Char vêtue de la couleur d'un Ciel ferain, ayant fur fa tête un nid d'Alcyon avec fes pe- tits , & un Cigne auprès d'elle ; les Vents les plus furieux étaient en- chaînez fur cet écuei! : le Zêphir conduifoit le Crnr, de une troupe de petits Zephirs étoient autour bat- tant doucement des ailes, tandis que la Tranquillité fe mit à chanter ce Madrigal ;

// mio trmjmfo e placido fembiame&C,

En même tems l'Immortalité fe fît voir au milieu du Ciel aflîfe fur un grand Globe > elle étoit vêtue d'un habit femé d'étoiles, Ôc un Phcenix s'élevoit du milieu de fa couronne ; la Gloire, Apollon & les Mufes Tac- compagnoient avec douze Poètes qui ont paru fameux dans divers fié- cles , «comme Mufée , Amphion , Linus, Orphée, Homère, He(îode3 Anacreon, Pmdare , Virgile, Hora- ce, Dante, & Pétrarque, qui tous furpris de l'entreprife de Veffuccy t commencèrent à chanter des Vers à la louange , aufquels le Choeur des

4ii Histoire de la Musique, voix du Char de la Tranquillité ré- pondit ; un autre Chœur qui parue dans les nuées , répondit auffi.

Le feu prenant tout d'un coup la place de l'eau de la Mer.fic voir pour le troifiéme A&e , la forge de Vul- cain fur le Mont Gibel de Sicile ; on ne voyoit que du feu Se de la fumée, lorfque le Ciel s'ouvrant, fit voir le Char de Mars fur les nues, tiré par deux chevaux bays ; la Victoire te la Gloire conduifoient ce Char , fur lequel le Dieu Mars étoit armé ; on entendit en même temps des coups de marteaux redoublez comme ceux des Forgerons ; la Valeur vint fraper à la porte de l'antre ; Vulcain pa- rut , qui ayant reconnu Mars , fortit avec fes Cyclopes pour le recevoir, te lui apporta une armure complette p our Cofme de Medicis.

Enfin la Scène fit voir un grand te magnifique Temple, te la Paix def- cendant du Ciel en fit fortir l'Ami- tié, la Sûreté, l'Innocence, la Foi, la Concorde, l'Abondance, la Prof- perité ,1a Juftice, le Plaifîr, les Jeux, lesRâs , te les Amours, qui firent ua

IT DE SES EFFETS. 415

Balet agréable , qui termina cette fuperbe & magnifique Reprefenta- tion j c'eft auffi par je vais termi- ner ce Chapitre , ne pouvant rappor- ter une Fête plus complette , pour faire voir les progrès de la Mufiquc dans les Cours particulières de l'Eu- rope j au fujet des mariages , èc de la nairïance des Souverains.

Il faut encore dire que dans les occafions de réjouiflance à la Cour de France , le Roi tient appartement à Verfaiiies, qui confifte en grandes Illuminations, en Concert Royal, en Comédie, en Ferlins magnifiques, en Bals réglez ou de cérémonie , 8c Bais mafquez , l'entrée eft per- mife à tous les mafques ; Ton trou* ve auflî dans les appartenons toutes fortes de Jeux & de rafraîchiflemens, & quelquefois il y a des Feux d'arti- fice fur le Canal : enfin cette diver- fîté occupe agréablement toute la Cour , & même les Etrangers , par- ceque les entrées font libres au Lou- vre dans ces tems-là, 5c principale- ment dans le Carnaval,

JLa Mufique du Roi eft ordinaire-

424 Histoire de la Musique , ment compoféede cent ou fix. vingt, tant Muliciens que Muficiennes, (ous les ordres du Maître de la Mufique de la Chapelle, (5c d'un fous- Maître pour la coinpoiîcion, qui elt M. de la Lande , dont les œuvres font ad- mirables ; mais pour la Mufique de la Chambre, il y a un Sur-Inten- dant par temedre , pour la compo- fition des Concerts , & pour l'inllru- 6tion des Pages de la Mufique.

J ai fait mention ailleurs des gran- des Se fuperbes Fêtes que Sa M^jufté a données à Verfailles , avec des re- prefentations en Mufique , qui ne cèdent point à toutes celles des Cours de l'Europe.

2 T DE SIS EFFETS. J^tiÇ

CHAPITRE XII.

Dijfen Ation fur le bongont de U Mufvqm

d'Italie , de la Mufiyue Fra? çoije ,

& fur les Opéra,

J'Ai rapporté dans un Chapitre précèdent, l'origine de l'antipa- tie des Muficiens Italiens, entre les Musiciens François , qui fubfilie de- puis l'Empereur Charlemagne , au fujet d'une MefTe folemnelle j il fe- roit furprenar.c que cette querelle eût pu durer tant de fiécles , fi les Italiens ne palïoient pour une Na- tion irréconciliable. Il femble que c'efl: en vain qu'on prétend les ac- corder fur la perfection de leur Art par des Traitez parallèles de la Mu- fique $c des Opéra d'Italie, à ceux de la MuiïquecV des Opéra de Fran- ce » néanmoins je ne la, (Te pas d'en rapporter encore un en forme d'Epr- tres , qu'un de mes amis m'envoya en 1711, j'ai fait des additions que j'ai cru neceiïaires au fujet , pour

416 Histoire de la Musique, l'inférer dans le corps de cette Hi- jftoire, lequel pourra trouver autant de Partifans pour la Mufique Fran- çoife, que celui qui a été fait en 1701, en faveur de la Mufique Ita- lienne ; outré qu'on efl obligé de changer de fentimens de temps en temps , pour céder aux folides ex- périences qui font plus fortes Se plus convainquantes que tous les raifon- nemens.

C'eft apparemment , Monfieur, pour connokre ce que je puis fça- voir en Mufique , que vous me de- mandez mon fentiment fur le goût Italien qui règne aujourd'hui dans Paris, puisqu'il n'y a perfonne qui en puiile décrier plus juftement que vous ; cependant je vous obéis , mais ce ne fera point comme un Muficien prévenu en faveur de l'une, ou de" l'autre , que je vous dirai ce que j'en penfe, fuivant le goût naturel qui m'eft échu en naiiîant pour cette feience. Je ne me fervirai point des termes de l'Art dont les Muficiens font obligez de charger leurs Traitez ât Mufique, qui ne fervent fouvenr

ET DE SES ÏÎÏITS. 417

qu'à embrouiller les idées du Le- cteur , plutôt que de l'inftruire ; je tâcherai de me rendre fenfible à ceux qui me liront, en forte qu'ils me pour- ront comprendre Tans fçavoir la Mu- fîque.

Vous fçavez donc comme moi, Monfieur , qu'il y a prefentement ici deux partis formez dans la Mufique: l'un Admirateur outré de la Mufique Italienne, foutenu d'une petite fe&e de demi Sç^vans dans cet Art; néan- moins gen^ de Condition affez rele- vée qui décident iouverainement , 8c proiciivent abfolument la Mufi- que Frai çoife, comme fade & fans goût, ou tout a-fait infipide : l'autre parti fideie au goût de la Patrie, & p'us ptofond dans la connoiflance de l'Art de la Mufique^ne peut fouf- frir fans indignation que l'on mépri- fe dans la Ville Capitale du Royau- me, le bon goût de la Mufîque Fran- çoife, & traite la Mufique Italienne de bizarre, de capricitrufe , Se com- me une révoltée contre les relies de l'Art. Il y auroit néanmoins au mi- lieu de tout cela, un tempérament

4-ii Histoire de la Musique, à prendre pour concilier les Parties , qui eft de rendre jufticc à Tune 8c à l'autre Mufique , en les prenant cha- cune dans leur caractère.

Il faudroit être dépourvu de bon goût & de connoilîance , pour ne pas avouer que la bonne Mufique Ita- lienne renferme en gênerai ce qu'il y a de plus fçavant 8c de plus re- cherché dans cet Art, 8c que nous lui devons une grande partie des a- grémens de la nôtre ; que les Ita- liens font nos Maîtres pour les Can- tates , 8c pour les Sonates, quoique celles des Sieurs Bernier 8c Morin, femblent pouvoir être mifes en pa- rallèles avec elle. J'admire dans les Pièces les delïeins nouveaux de leurs figures , fi bien imaginez & fi heu- reufement conduits j la vivacité pé- tillante de leurs imitations redou- blées , la variété de leurs chants , la diverfité de leurs tons, 8c de leurs modes, fi bien enchaînez les uns aux autres , 8c leur harmonie aufll re- cherchée que fçavante.

Mais fi nous leur cédons la feience & l'invention , ne doivent - ils pas

ET BISES EFFETS. 415

nous ccder avec la même juftice, le bon g; ût naturel donc nous iommes en poileflion 5 & l'exécution cendre 6c noble nous excellons lur icut p jur l'harmonie des Inftiumens ? les enriclnil'emens que nous y avons ajouté de notre propre fond ne doi- vent ils pas préva'011 ? & ne fommes- nous pas de ces Ecoliers qui ayant bien profité des leçons de nos Maî- tres, (ommes à la fin devenus plus fçavans qu'eux ? ne pourroit-on pas dire fans i ff/nler les Sectateurs de la Mufïque Ira'ienne, que leuts or- nemens rrop fr^quens &r déplacez en etoi.ifF.-nc iVxprenîo^^ qu'ils ne caracceri(e»:c point a(T z leurs ouvra- ges ; femblables en cela à cette Ar- chitecture gotique, cjuj trop chargée d'ornemens , eneft obteuroe, & ou l'on ne démêle plus le corps de l'Ou- vra??*,

-On peut dire encore que la Mu- fïque Icalienne reiTcmble à une Co- qu._-tce aim>b)e , quoique bien far- dée, remplie de vivacité, & toujours le pied < n l'air cherchant a briller par tout fans railon , & fans fçavoir

430 Histoire de la Musique* pourquoi comme une évaporée, qui Fait voir fes emportemens dans quel- que fujet qu'elle puiiTe traiter ; quand il s'agit d'un amour tendre , elle lui fait le plus fouvent danfer la ga- votte, ou la gigue: ne diroit-on pas que le ferieux devient comique en- tre fes mains , & quelle eft plus pro- pre aux ariettes, & aux chanfonnet- tes , qu'à traiter de grands Sujets ? Semblable en cela à ces Comédiens, qui n'ayant du talent que pour le. Comique , réufliiïènt fort mal , en tournant le Tragique en ridicule , quand ils veulent s'en mêler? Il faut avouer que la majefté de la Mufique Françoife traite les fujets Héroïques avec plus de noblefîe , & convient bien mieux au Cothurne & au Théâ- tre ; au lieu que dans la Mufique Ita- lienne toutes les pafïions y paroif- fent uniformes ; la joye, la colère, la douleur, l'Amour heureux, l'A- mant qui craint , ou qui efpere , tout y femble peintavecles mêmes traits, & du même caractère ; c'eft une gi- gue continuelle, toujours pétillante, ou bondiffante. Si la voix commence

ET S! SIS IFFITS. 45I

feule, rinftrumenc répète ce chant en Echo ; ce deflein fou vent d'un chant bizarre fe promené non feu- lement fur toutes les chordes du mo- de ; mais encore fur tous les étran- gers, où ils peuvent s'accrocher bien ou mal , tellement que leurs Pièces roulent fur tous les tons , & chan- gent de mode à chaque initant ; en forte que Ton ne fçauroit dire à la fin duquel ils font. Après avoir fait cette longue promenade Ton ré- pète vingt fois le même chant, tant la voix que l'inftrument , il faut en- core retourner Dttsapo s ce paiïagc eft quelquefois très- dur à l'oreille, étant fouvent de deux chordes voi- sines ; mais il arrive ordinairement que l'on palfe outre pour éviter à prolixité, & pour en diminuer l'en- nui; c'eft un grand défaut dans tous les Ouvrages d'efprit , & principale- ment en Mufique de ne pouvoir fi- nir : il faut fçavoir fe modérer, un bon Ouvrage perd la moitié de fon mérite quand il eft trop diffus.

Nous avons peine encore de rous accoutumer aux intervales bizarres

452. Histoire de la Musique, des chants de leurs récits , qui palTent quelquefois l'étendue de loctave, 8c que les plus habiles ont peine a en- tonner juite j les tenues lur tout y impatientent Y Auditeur, pour être déplacées ^ ces tenues que nous ne faitons , & qui ne conviennent gué- res que fur les mots de repos 3 Ôc quel- qu'auues , s'y font ind'freremment fur tous les mots qui fînident par des voyelles. Je ne dis pas qu'il n'y ait beaucoup d'Art à faire badiner un violon, & une bade , fous une de ces longues tenues ; mais quel rapport à la liberté, avec ce (on qui dure un quart d'heure? eftle gout& 1' x- prelîion de tout cela ; il arrive allez fouvent que la Mufique Italien ie exprime toute autre chofe, que ce que les paroles iîgmfient. j'enteris un Prélude vif cV empoité, je c t > i s que qiselqce Amant rebuté des ri- gueurs de fa Belle, va ie livrer an dépit, & chanter ponilie a l'A- mour : point du tout ^ c'eft un Amant tendre qui vante le\pnx de fa con- fiance , qui appel e l'Ffperai c à fou recours, ou qui Lit une deca-

ration

1T ©E SES EFFETS. 433

irâtion d'amour à fa Maîtreflè.

PaiFe encore à ceux qui travaillent pour le Violon,. de fe livrer entiè- rement dans leurs Sonnâtes , au feu de leur imagination, & de prome- ner leurs fueues, & leurs imitations par tous les modes 5 ceux qui ne font point garnez. par i'exprefîion des pa- roles qui dok faire la règle des Com- positeurs. Nous fomm.es redevables à l'Italie de ces fortes de Pièces ; les Corelli* les Alhïnony -, les M- quels 9 8c plufieurs autres grands Mufîciens , ont produit dans ce caractère des Pièces qui feront immortelles , peu de gens peuvent atteindre , ce- pendant mille autres veulent les imi- ter. J'ai vu de ces Pièces d'un chant flbJzarre, & d'une composition ex- traordinaire , qu'on auroit cru qu'on avoit jette au hazard des gouttes d'en- cre fur le papier réglé , aufqueîs il fembloit avoir été enfuite ajouré des queues à quatre croches, & divifées par mefures.

La Mufique de leurs Cantates ra- roît plutôt convenir aux Concerrs ce Chambre qu'à nos Spectacles j kms

T.

454 Histoire de la Musique, Sonnâtes à deux parties ne doivent être jouées qu'à un violon feul ., qui frifc Se qui pretintaiile autant qu'il lui plaît, 5c deviendraient trés-con- fufes,fi la même partie .croit exé- cutée par plufieurs Inftrumens qui feroient des diminutions différentes, &:amfi doit être bannie d'une grandi orcheftre.

L'on n'entend en gênerai dans la Mufique qu'une baffe continue tou- jours doublée, qui fouvent eft une efpece de batterie, d'accords, & un harpegnement , qui jette de la pou- dre aux yeux de ceux qui ne s'y con- noiiTent pas , 8c qui réduites au (im- pie, reviendroient aux nôtres. Ces B , C y ne font bons qu'à faire bril- ler la viteife de la main de ceux qui accompagnent ou du clavefîïn, ou de la viole ; encore pour renchérir fur cesbaiTes déjà trop doublées d'el- les-mêmes , ils les doublent, & c'eft à qui doublera le plus ; de forte qu'on n'entend plus le fujet, qui parole trop nud auprès de ce grand bril- lant, & demeure enfeveli fous an cahos de fons tricottez & pétillans ,

ET DE SES fîFETS. 4$J

qurpa flanc trop légèrement, ne peu- vent faire d'harmonie contre le fu- jet i il faudroit donc que des deux Inftrumens , il y en eût un qui jouât le (impie delà baffe, Se l'autre le double ; ces B, C, paiîercient plu- tôt pour des Pièces de viole 5 que pour un accompagnement qui doit ctre fournis au fujet , &c ne point prévaloir. îl faut que la voix domi- ne ôc attire la principale attention , tout le contraire arrive ici , Ton n'en- tend que la B , C. qui pétille fort que la voix en eft étouffée : il Ce trouve un inconvénient dans les baf- fes en batteries & doublées fur le champ -, c'eft qu'il eft difficile qu'un clavefïïn , une viole & un thuotbe, fe puiflent rencontrer jufte dans la même manière de doubler, non plus que bien d'autres Inftrumens à chor- des 5 ou à vent ; l'un prend un tour, & l'autre un autre , ce qui caufe une cacaphonie extraordinaire , de forte qu'irffCompofîteur ne reconnoît plus fon ouvrage qui paroît tout défigu- ré ; il faut au milieu de tout cela qu'il fe contente d'admirer la vî-

Tij

4$6 Histoire de la Musique, telle de la main de ceux qui Texeca-

- tent. Voila cependant aujourd'hui le goût de l'exécution de la Muilque Italienne tant vantée.

Mais ce n'étoit point celui du (leur de Lully, grand Se&ateur du beau &: du vrai, qui auroit banni de Ton orcheftre , un Violon qui eût gâté fon harmonie par quelque diminu- tion, ou quelque miaulement maL placé , a l'exemple de ces rigides InfpecT: airs de h Grèce pour les Spe- ctacles publics. Ne peut-on pas sa£ fuj^ttir a jouer la Muiique comme elle eft? Eft- ce le goût Italien de faire de faux accords à tout bout de champ?

J'ai vu des Muficiens fi amoureu des v telles, & des baffes figurées qu'ils ne pouvoient fouffrir les Ada çjo, c'eft-à d;re les endroits de re^

citatifs lents , & paffoient ces mot: ceaux comme ennuyeux; c'eft ce- pendant dans ces endroits- là, oit î'harmonie peut fe faire mieux fen.

•|1'ï. qwe dans ces vivacitez, oucora. n\z je viens de dire, la baffe paffan trop légèrement, & ne faifant cyac

ÏT DE SIS IH1TS. 4V7 frifer le deiîus , ne peut produire d'harmonie agréable,

Mais fi cette Mufique figurée con- vient aux paroles Italiennes & La. tines, pourquoi y veut- on aflujettir la Langue Françoife ? Un Italien fe gouverne-t'il comme un François ? leurs goûts, leurs habits,leurs mœurs, leurs manières , leurs pîaifi-ts , ne font- ils pas tous d'fFerens ? Pour- quoi ne veut-on pas qu'ils le foiem auiîî dans leurs chants, & dans le toucher des Inftturoens ? Un Italien chante - t'il comme un François? Pourquoi veut -on que le François chante & joue comme l'Italien? Cha- que Nation a Tes ùfâges diffi rens: Pourquoi vouloir habiller la Mufi- que Françoife en mafque , & la ren- dre extravagante ? elle dont la Lan- gue eft fi fage & fi naïve , Se ne peut foufFrir la moindre violence ; étant ennemie des fréquentes répétitions de ces longues tenues que L'on fup- porte dans la Mufique Italienne 9 ou Latine , qui ne convient point du tout à la nôtre.

On peut ici comparer la Mufique Tiij

4$S Histoire DBirÀMusKfctri,

Françoife à une belle femme, dont la beauté (impie, naturelle, Se fans art, attire les coeurs de tous ceux qui la regardent, êc qui n'a qu'à fe montrer pour plaire, fans craindre d'être défaite par les minauderies affectées d'une Coquette outrée , qui cherche à mettre les gens dans foîï parti à quelque prix que ce foit, à qui nous avons déjà comparé la Ma- nque Italienne.

Je pourrors encore ici rapporte* l'autorité du beau Sexe, auprès de qui la Musique Italienne a peine à trouver grâce , qui s'ennuye d'un quart d'heure de Sonnate, & qui aime mieux entendre chanter , San- garide ce jour efl un grand jour ttoiir i«)Hi3 ou entendre jouer les fonges agréables dy Atp , que toutes les batteries & les harpegnemens d'un riolon touché fçavamment, auquel elles ne conrroiflent rien, 8c ne fen* tent rien qui les attire ; on a beau leur dire que cela efl: fçavant, beau , fublime, & que c'eft un tel Auteur Italien qui les a faits : cela efl: fort beau, difent les Dames > mais cela

1T DE SES EFFETS. 459

nous ennuyé 3 Ôc nous n'en voulons plus. Ce font pourtant elles qui dé- cident du mérite & du deftin des ouvrages dans les Spectacles, 8c à qui nous devons chercher à plaire , fur-tout dans cet Art qui fembie être fait pour elles.

Il faut cependant avouer que quel- ques-uns de nos habiles Maîtres ont trouvé le fecret d'allier fort fçavam- ment le goût naturel des François , avec le brillant Se le fçavant de l'I- talien dans les Cantates , qui font en- tre les mains de tout le monde 3 8c qui font des chef- d'oeuvres en cette efpece 3 tant pour la Mufîque que pour la Poefie ; qu'il fuffit donc d'a- voir montré aux Italiens 3 que les François pouvoient porter auflî loin qu'eux le génie Se le fçavoir, tant pour les Cantates que pour les Sonnâ- tes , ce que l'Abbé de la Loiiette leur fit voir étant à Rome en 16S5? > Par un Concert qu'il compofa dans le goût Italien qui fut joué chez la Prin- ce de Colonne,& dans lequel Francifeï un des plus fameux Muficiens d'Ita- lie de ce tems4à3 manqua deux fois,

T iiij

44-0 HISTOIRE UE I A MUSIQTTI,

avouant que l'exécution en étoit dif- ficile , ce qui fait voir qu'ils ne font pas infaillibles comme ils le préten- dent , quand ils chantent ou jouent des Pièces à livre ouvert j mais il ne faut pas que ces expériences faiîent meprifef le bon goût limple & na- turel du François , quand les Italiens pour le perfectionner commencent eux mêmes à l'imiter.

Ces fortes d'ouvrages en ont pro- duit une infinité d'autres, les Can- tates 5c les Sonnâtes, nailTent ici fous hs pas. Un Muficien n'arrive plus que l'un ou l'autre en poche , ii n'y en a point qui ne veuille faire [on livre & être buriné , &c ne préten» de faire a (Ta ut contre les Italiens, &c damer le pion aux plus braves \ à peine le Poète y peut-il fufEr : il y a même telles paroles qui ont fouf- fert plus d'une fois la torture de la Mufique Italienne ; enfin les Cantates nous étouffent ici. J'en ai entendu qui duroient une heure la montre fur la table , en forte qu'on étoit obligé de demander quartier , ou quitter la place j qu'ell donc devenu le bon

ET DE SIS EFFETS. 441

goût? faudra- t'il qu'il expire auiïi fous le fatras de toutes ces Cantates ? que diroient les Lambert, les Boef- fet, les le Camus , & les Batifle s'ils revenoient au monde , de voir le chant François fi changé, fi avili êc û défiguré.

Je fuis perfuadé que nos illuftres Maîtres ont trop de goûc, & trop defcience, pour l'abandonner, com- me il paroît par leurs propres Ou- vrages , dont les endroits les plus gracieux 8c qui plaifent le plus font traitez dans le goût François , ils ont fçu mélanger le bon de l'Ita- lien, Se en ont laifïé-la le mauvais» Qu'ils rendent juftice au Héros , 8c auCiceron delaMufique Françoife, je veux dire à Lully ; qu'ils admi- rent la grandeur 8c l'élévation de fon génie , au milieu de cette naïve fimplicicé dépourvue de tous orne- mens étrangers , 8c qui femble de- voir tomber fous les fens de tout le monde. A t'il voulu peindre TA-, mour tendre , quel cœur ne s'atten- drit-il pas? quel chant ? quel natu- rels qu'elle harmonie dans fes Duo?,

T v

44^ Histoire de Musique, ne devineroit-on pas les paroles de fes récits , à entendre feulement les chants? & n'eft ce pas une véritable déclamation que Ton récitatif? A-t'il voulu exprimerladouleur,les rochers ne gémiflent-ils pas avec lui ? a-t'il voulu peindre la fureur, la vengean- ce, quel cœur ne relient pas de fe- crets fremiflemens ? quel feu , quelle vivacité, dans les airs de violon, quand il a voulu exprimer la viteffe des fougueux Aquilons, ou des tranf- ports de Furies? Si !a joye s'empare de la Scène, tous les Peuples, tous les Bergers fautent & danfent aufon des mufettes -, s'il veut faire quel- que enchantement , ou évoquer les Klanes des Enfers , l'horreur & l'ef- froy s'emparent de notre ame, quel- le tranquillité aiîoupiiïante ne féduit pas nos fens? s'il veut endormir oui calmer Ces Héros agitez ; s'il fait fonnerla trompette, l'humeur Mar- tiale ne fai(ît-elle pas fes Auditeurs ? n'eft-on pas preft de courir aux ar- mes & démonter à PafTaut? s'il veut préparer à annoncer quelque Ora- cle, quelle gravité, ou quelle n©-

ï T B! SES 1TIET S. 44$

blefle dans fes fymphonies. On dï- roic que comme un fçavant Peintre, il a fçu avec fes fons, peindre pour ainfi dire les mouvemens de toutes les paillons ; a-t'il eu recours pour cela à tous ces faux brillans, & au* ornemens déplacez de la Mufîque Italienne? rien eft il plus fimple Se plus naturel que fa compofition , qui eft à la portée de tout le monde, 6\r en même tems rien de (1 élevé, de fi noble, & de fi fpirituel pour l'ex- preffion. Quoiqu'il foit fort fçavant Muficien, le goût feul, de le génie femblent avoir été fes guides , Se capables de preferire des règles nou- velles à ceux qui les fuivroient ; il femble quelquefois avoir négligé les anciennes, & s'être mis au - dcfïus d'elles. Il faut avouer auffi que c'eft ce qui fait la meilleure partie du Muficien que le génie ; c'ett lui qui fait auffi. les Peintres & les Poètes, car on peut dire que ces trois Scien- ces font faites les unes pour les au- tres ; on ne voit prefque pas de Pein- tre qui ne foit un peu Muficien , 6>â 4jui n'ait du goût pour ces deux Arts,

T vj

44-4- Histoire »i la Musique, La Muiique h'eft elle pas une Poe- fie, une cadence , & même une Pein- ture fonore & harmonieufe 2 laPein- t -are & la Poefie ne font-elles pas compofc.es d'une a'raable harmonie^. & d'un mélange, 8c d'un contrarie de couleurs 6c de penfées mélodieu« fement enchaînées les unes aux au- tre s ?

Il ne fufEt donc pas feulement de règles dans les Arts , il faut être en- core infpiré ÔV animé de ce bénéfice que la Nature ne donne pas à tout le monde 5 c'eft elle qui a fait les Titien, les Raphaël, les le Brun, les Corneille, les Molière, les Ra- cine, les Caridimy, les Baptifte, Se tant d'autres. Il faut dans ces Arts fçavoir inventer 5c créer, outre qu'il faut qu'un Comp^fiteur pofTede par- faitement la Langue dans laquelle il travaille , connoifTe les fyllabes rudes fur lefquelles il faut paiTer lé- gèrement, &' celles qui font harmo- nieufes Se armes du chant: il feroit mène à fouhaiter que le Muficien, fût aufli Poète comme dans l'Anti- quité s pour ajufter les paroles à fon

ÏT Bt SIS EFFETS. 44f

chant , 6c que tout l'ouvrage coulât de four ce.

Ce n'eft point afTez de fçavoir préparer ou fauvêrles difïbnnances^ il faut encore fçavoir les placer à propos elles conviennent pour l'expreffion , les mettre dans leur jour, pour qu'elles faffent leur effet 9 Ôc qu'elles fervent comme d'ombre au tableau , en faifant valoir les con- fonances par oppofîtion , n'en pas diminuer la force par le trop fré- quent ufage , comme .font les Ita- liens , dont la Mudque trop remplie de diiTonances, révolte quelquefois les oreilles ; mais (e garder de tom- ber dans la Monoromie, qui eft le vice contraire , & que les italiens pourroient plutôt nous reprocher.

Les règles de l'harmonie ne mon- trent pas à faire un beau chant qui en eft l'ame , a imaginer an deffein, à bien rendre l'expreffion des pa- roles , à fçavoir placer les cadances aux fcns finis .-comme les poir rs ÔC les virgules dans le difcours, a fça- voir changer de modes , quand ces paroles changent de caractère & de fendment.

44<> HlSTOIRïBI IAMl7SIQT7f,'

Un bon Mathématicien poflede à fond les règles de la compofition, ôc eftun fort mauvais Composteur : il y a cependant des règles efTen- tielles , & dont la connoifTance eft neceiTaire -, mais les véritables & les meilleures font celles que le goût& l'oreille vous infpirent : vous trou- vez dans ces règles beaucoup de con- tradictions, fur lefquelles les Italiens ne pâroiffent pas fort rigides Ob- fervateurs , elles ne font la plupart fondées que fur le caprice. J'ai vu quelques, uns de leurs Traitez de Mufîque, & quoique fort profonds en fçavoir , je n'en fuis pas devenu plus htbile en les lifant,au contraire j'en fuis forti p! us embaraffé : ils vous apprennent bien ce qu'il faut évi- ter, qui font des inconveniens oi\ l'oreille feule no^s défend de tomber; mais ils ne nous inftruifent point comme il faut s'y prendre pour faire une compofition gracieufe& de bon goût ; c'eft donc le génie naturel qui fait leul l'excellent Mulîcien.

Si l'on reproche à Lulîy d'avoir employé rarement les tons tranfpo-

1T DÏ-5ÎI 1ÏPETS. 447

fez , ce n'eft pas qu'il en ignorât l'u- fage ; mais c'eft qu'il s'accommodoit aux fujets qu'il avoir, & au goût du temps \ il fentoit bien qu'un chant n'en écoit pas plus beau pour être tranfpofé d'un demi ton plus haut ou plus bas , & qu'une Mufique dif- ficile , ou trop recherchée , quoique belle 5 ne laiffe pas d'avoir fes dé- fauts 3 qui eft que rarement elle eft bien exécutée; parceque le nombre des Sçavans dans la Mufique vocale & instrumentale, eft atfez rare ; au lku qu'une bonne Mufique en eft encore meilleure quand elle eft fa- cile, étant plus fufceptible pour Texe- cution qui doit être regardée com- me l'ame de la Mufique ; elle invite d'elle-même à être chantée , étant plus de commerce dans le Monde, & plus à la portée des honnêtes gens qui l'exécutent , ce qui doit être fon but & fa recompenfe, au lieu que la Mufique difficile effarouche, dégoûte, & n'eft bonne que pour les Muficiens de profe/ïîon.

Peut être que Luliy auroit pu fui- ¥re une autre route 3 maintenant que

44$ Histoire »e la Musiqtti, tous les Muficiens font autant d'il— luftres Compofiteurs , & que tous les Ecoliers font autant de Maures ; ce- pendant ceux qui font aujourd'hui entêtez de la Mufique Italienne, ne peuvent fouffrir la Françoife, & la regardent comme une Mufique infi- pide ; les Opéra anciens les endor- ment , ils n'y fentent rien qui les rappelle, ils n'y trouvent que des tons naturels, des mouvemens faci- les ; ils veulent que la clef foit fur- chargée de JDieyes , ou de, B mois > que la B > C, foit brodée & rem- plie de tous les chiffres d'Arithmé- tique ; qu'on invente pour eux dts tons tranfpofez & nouveaux , & des mouvemens extraordinaires , que la balTe heriiTée d'arpegnemens 8c d'accords coure toujours la pofte ; enfin ne trouvant pas une Mufique bonne . Ci elle n'eft difficile , à peine peuvent ils fe refoudre à la regarder quand il nv a que des blanches, ou des noires à deux ou à trois temps, comme Ci toutes les mefures Italien- nes ne revenoient pas à ces deux me- fures | ne va-t'on pas réduire la me-

1T DE SES EFFETS. 44$

fure à deux tems , à celle de quatre, & renfermer deux mefbres en une feule , le 4 pour 8 ne revient-il pas à nos deux tems légers? cV les nie- fures de 6 pour S , de 5 pour 8 , Se de 12 pour 8, ne reviennent- elles pas toutes à la mefure de trois tems, quand elles font battues plus eu moins vite, quoiqu'elles fe battent à deux Se à quatre tems, dont cha- que tems renferme une de nos me- iures à trois tems ; ce n'eft donc qu'une manière différente de s'ex- primer qui e(t bonne en foi, & don- ne îe cara&ere de la Pièce , pour la lenteur Se la légèreté, & a plus de facilité pour être battue ; car com- me il n'y a en gênerai que deux modes differens, le mineur Ôc le ma- jeur , il n'y a aufïi en gênerai que deux mefures , celle à deux tems , Se celle à trois -, en vain voudroit-on en imaginer d'autres. Il feroit aifé pour -contenter ceux qui aiment le ragoût des tons tranfpofez ( les me- fures extraordinaires Se les baffes doublées) de tranfpofer un de nos Opéra , par un demi ton plus bas

45© Histoire be la Musique, ou plus haut, doubler leurs balles continues , & en réduire les mefures à la manière Italienne, ils devien- droient alors de plus difficile exé- cution , Se perdroient en même tems la moitié de leur beauté. Un Com- pofîceur n'eft-il pas bien glorieux d'avoir fait une Pièce tranfpofée, pleine de fi t de ml , de b cjuarre , & d'une (i grande viteiTe que perfonne ne fçauroit y mordre , qu'il déchif- fre à peine lui-même : Voilà une Pièce, dit- il, que je défie tous les Joueurs d'Inftrumens d'exécuter, ni même aux Clavefïins d'en trouver les accords , qu'avec bien de la pei- ne , ce qui fait qu'on la lailîe à for* Auteur , pour la garder dans fon ca- binet comme une curiofîté , pour montrer aux Maîtres de l'Art, qui peuvent feuls la mettre en ufage a- près l'avoir étudiée. Les chants en deviennent- ils plus beaux Se plus harmonieux , pour être fur des tons tranfpofez? l'harmonie eneft-elle meilleure ? au contraire , on peut dire qu'elle eft forcée, que ces tons 0&t peu de juftefle fur les Inftrumens,

FT DE SES !!?ITS. 45I

& principalement fur le clavefîin y les feintes devroient être cou- pées pour y donner le véritable tem- pérament ; car quelle apparence qu'une touche ferve de b mol dans l'une, & de b marre dans l'autre fans perdre fa juitelïe ; paffe encore pour les autres Inftrumens , comme fur le violon, ou avançant plus ou moins Je doigt fur la corde , on peut mo- difier ces fortes de demi tons, Se les rendre plus juftes. J'ai entendu ua de nos Illuftres préluder fur fon \io~ Ion , de quelque manière qu'il fût accordé, & ne fuivre pour tiier fes fons, d'autre règle que fon oreille, êe non celle du manche, qui fc tron- Toit alors tout dérangé.

Enfin de ces deux partis differens, il en refulte un troifiéme plus rai- fonnable Se moins entêté que les deux autres , qui eft celui des gens fages , Se des gens de bon goût , qui ne fe laiifant point prévenir ni pour l'un, ni pour l'autre , vrais amateurs delaMufïque, goûtent l'une Se l'au- tre compoiition,quand elle eft bonne êc bien exécutée , fans donner dans

45* Histoire de la Musique , le goûc pédant & fçavant ; ne vont point épiloguer fur deux o£fcaves de fuite , fur une feptiéme ou une neu- vième bien ou mal préparée ou fau- vée ; ne méprifent point une Mufî- que, parcequ'elle eft trop aifée , ou parcequ'elle eft trop difficile, ou ne Ja condamnent point pillée, parce-* qu'il y aura quelques bouts de chants qui reffembleront -, mais rendent juftice a la Mufîque Françoife dans fon caractère, & à la Muiîque Ita- lienne dans le fîen , conviennent que l'on pourroit faire un genre de Mufîque parfait , fi l'on pouvoit joindre le coût fcavant & ingénieux de l'Italien , au bon goût naturel Se fîmple du François ; mais cependant un Italien doit chanter en Italien, & le François en François, fans a- voir égard à la prévention des Secta- teurs de la Mufîque Italienne.

Mais il faut encore faire voir ea quoi confîfte la différence des Opéra d'Italie, aux Opéra de France. La fîneerité des François les engage à demeurer d'accord , comme dit l'Au- teur de la pratique du Théâtre, liv.

ET DE SES IEFETS. ^.ff

& livre 4, que la magnificence des fpectacles des Romains , a laiifé par toute l'Italie un goût admirable que l'on voit à Rome, a Milan, à Ve- nife, &c. pour les reprefentations des Opéra, quifemble iurpafïer tous les fpectacles des autres Nations.

tl a donc fallu pour introduire ces actions de Mufique, leur donner tous les ornemens des autres Pièces de Théâtre, le choix d'un beau fujet, une agréable difpofition de beaux Vers, des fentimens tendres, des dé- corations furprenantes, des change- mens de Scènes , des voix excellen- tes , des accords de divers hiftrumens 8c des entrées de Balet , pour rem- plir l'imagination la plus étendue, ôc pour fatisfaire entièrement la vue Se les oreilles.

Mais pour parvenir à la perfe£tion d'un il beau Spectacle , il faut des génies qui pondent parfaitement les principes dans lefquels S. Auguftin fait confifter la perfection de l'har- monie , qu'il fait monter à neuf dégrez ; le premier dans l'efprît , le fécond. dans laraifon, le troifiéme

454 Histoire be-IàM^s-ique, dans l'imagination^e quatrième dans l'afTeftion, le cinquième dans la pa- role, le fixicme dans le chant, le feptiéme dans le (on , le huitième dans la danfe, & le neuvième dans la composition. Ces principes ren- ferment auffila perfeàion des neuf Mufes , que les Anciens ont confide- comme des Divinitez : ainfipour compofer unOpera parfait,il faut du moins un Pocte, un Muficien, un Ma- thématicien, un Maître de Danfe, un Peintre, qui excellent tous dans leur Art , & un fur-Intendant d'une gran- de pénétration pour la conftruelnon & pour l'exécution de l'oeuvre j 5c qu'un grand Prince, ou une Repu- blique auflî puiffante que celle de Venife , en falfe la dépenfe à difere- tion : car il faut que tout convienne à la grandeur du fujet, qui eft ordi- nairement tiré de la Fable , de l'Hi- ftoire il eft allégorique, dont je vais rapporter une description de chacun , pour en donner l'idée, afin que Ton puifle juger de la différence qu'il y a entre les reprefentations des Ôjpera d'Italie, ôc celles des Opéra

IT "Dï StS BÏFETS. 4ff

François , qui ont auflï des beautés que les autres n'ont pas.

Un des plus beaux, cfl celui qui fut fait par ifeiw/ji., fur-tout pour les décorations , dont le fujet eft Darius Roi dePcrfe. On vit paroître le camp de Darius avec des Elephans , qui portoient des Tours fur leurs dos pleines de Soldats , qui compo- foient un Corps de Mufique ; les ten- tes du camp de Darius ; un quartier

de l'Armée arec toutes les machi-

-

nés de Guerre ; une grande Vallée entre deux Montagnes ; une place de Babylone ; la Tour d'un fuperbe Pa- lais 5 une Sale Royale du Palais de Babylone meublée d'une grande ma- gnificence 5 le Maufolée de Ninusi la Cavalerie & l'Infanterie rangée en bataille ; le Jardin Royal de Ba- bylone ; les ruines d'un ancien Châ- teau avec une Pnfon affreufe ; & chaque Scène avoitunc Mufique dif- férente , des entrées & des voix ex- cellentes , accompagnées d'une infi* nité d'Inftrumens.

Quand on reprefenta celui du grand Pompée fur le théâtre de San

4j6 Histoire de la Musique,

Salvador à Venife ; la première dé- coration , fut la Place Triomphale de Rome, avec un Arc de Triomphe, & toutes les fenêtres des Palais plei- nes de monde, tandis que Pompée étoit fur (on Char tiré par deux Lions, accompagné d'un grand nom- bre de Soldats , de plusieurs Princes, Se d'une troupe d'Efclaves , avec une entrée de Gladiateurs qui combat- tirent au fon de tous les Inftrumens ^Militaires. A cette décoration fuc- ceda celle d'une grande court , avec un efcalier par lequel montoit un grand nombre de perfonnes dans un fuperbe Appartement; on vit après un Jardin magnifique avec cies al- lées, des parterres de fleurs , des ber- ceaux , & des jets d'eaux. Après pa- rut un Temple d'une Architecture furprenante ; c-nfuite on vit un Tre- for plein de toutes fortes de vafes d'or & d'argent, & quantité d'autres richeiîes : tout cela fut foutenu de tous les accompagnemens convena- bles à la grandeur du fpectacle ; mais l'une des plus extraordinaires de ces reprefentationSj fut celle qu'on fit à

Turin

ET BE SES EFFETS, 457

Turin en 162.8, à la naiflance d'une Princeffe de Savoye : le fujet fut tiré ides Métamorphofes..

On fit une grande machine, qui reprefenteit le vaifïeau de la Félicité ; toutes les Divinitez qui font propi- ces aux Hommes parurent dans le Ciel , & firent chacun un récit" en Mufique, auquel tout le Chœur ré- pondoit ; en même temps l'on vit paraître fur les quatre angles de la fale quatre machines pour les qua- tre Elemens ; un Montgibel pour le Feu, un Arc-en Ciel pour l'Air, un Théâtre pour la Terre, & un Vaif- feau pour l'Eau ; tout d'un coup la fale fe remplit d'eau comme une Mer; êc le Vaiflèau s 'avançant fit voir fur fa proue un Trône magnifique pré- paré pour y recevoir les Princes Se les PrincelTes ; dans le corps du Vaif. feauétoit une grande table préparée pour quarante perfonnes , le Dieu ds la Mer invita toute la Cour d'entrer dans ce Vaiflèau ; elle fut fervie par des Tritons, qui conduifoient les fer- vices fur le dos de divers Monftres Marins ; on reprefenta fur un ccueiJ

V

45S Histoire di la Musique , éloigné du VaiiFeau, la Fable d'A- rion jette dans la Mer , & fauve fur le dos d'un Dauphin ; la Mufiquefït le Prologue. La première partie fut de la part d'Arion ; la féconde le fît voir chantant fur le dos du Dauphin j dans la troifiéme il fut porté à Co- rinthe , Periandre lui fait racon- ter fes avantures , & le confronta avec les Nautonniers qui Pavoient jette dans la Mer-, les Sirènes firent un grand Baîet qui termina cette fu- perbe reprefentation.

Les François avouent encore que tous les Opéra d'Italie font compo- fez des plus grands évenemens de PHiftoire des Grecs , des Empires de PAiie 6V de PHiftoire Romaine, qui renferment les faits Héroïques , les actions les plus vertueufes des grands hommes de l'Antiquité^ les paillons les plus éclatantes, comme celles de Marc Antoine avec Cleopatre; ou bien ils reprefentent les plus grands fujets des Méthamorphofes , les Machiniftes ont l'Art de faire pa- roître'tou? lcsElemens, les embra- femens de la Terre par la chute die

ET SIS IfïETJ. 4J9

Phacton , celui de laVille de Troyes, celui de Rome , comme au naturel , la bataille de Pharfale entre Cefar & Pompée ; d'autres ou l'on voit la Mer chargée de Vaiffeaux pour des Sièges de Villes Maritimes , les tem- pêtes , les naufrages \ la deitru&ion de Jerufalem par Titus , &rc.

Tous ces grands évenemens tien^ rient à la vérité les Spectateurs dans l'admiration, outre que les Nobles Vénitiens , pendant le Carnaval de Venife , n'épargnent rien pour la grandeur de ces fpedtacles ; parceque plus ils font beaux, plus ils font lu- cratifs ,■& foutiennent la gloire que cette fuperbe Republique s'eft ac- quife en furpaflanten cela toute l'I- talie, ce qui lui attire dans ce tems- toutes fortes de Nations ; l'on y voit jufqu'à quatre ou cinq repré- sentations de differens Opéra , qui fe jouent tous les jours à une même heure , celui qui a le plus ré- putation eftle plus rempli. Il y a tel Chanteur, Chanteufe , tk des Ca- flrati dans l'Italie, qui gagnent juf- qu àmille piftoles,pour chanter dans

Vij

460 Histoire de ia Musique, un Opéra pendant le Carnaval.

Mais quelques klées que Ton puiiîe avoir de ces grands Opéra , Ci les Italiens étoient (înceres , ils avoue- roient à leur tour qu'ils ont en Fran- ce de puiilans rivaux ; qui font les Opéra deCadmus, deThefée, d'A- tys , de Bellerophon , de Phaëton, d'Âmadis, de Roland, & d'Armi- de, de la composition du Fameux Lully , dont le génie extraordinaire a prefque efFacé la grande réputa- tion que les Mufîciens Italiens s'é- toient acquis, avant qu'il eût donné des preuves de Ton grand génie pour 1 etabliilement des Opéra en France, Se dont le goût s'elt perfectionné avec les Mufîciens François; ayant eu le Sieur Qiiinaut pour la Poëiie, Berrin pour les machines Se les dé- corations, Ôc Beauchamps pour les entrées de Balet. dépenfe de ces grands Opéra qui a été faite par le Roi, pour être reprefentez à Verfail- les excède les autres ; pareeque les machines & les décorations y étoienc aùffi furprenantes que magnifiques, la beauté des habits jufqu'à Torche-

ET DE SES EFFETS. 4^1

ftre, y paroifïbit avec toute lafomp- tuofité imaginable , de forte que ces fpectacles ne biffaient rien à déli- rer : enfin tout répondoit à la gran- deur du plus magnifique Roi de tous les Rois. Outre qu'on peut dire (ans orientation que les Opéra François, l'emportent encore fur ceux d'Italie, pour la grandeur Se la beauté des Chœurs de Mufïque , pour les agré- mens du récitatif, ou déclamation, comme pour la force de l'exécution, des Inftrumens de i'orcheftre , dont la fymphonie eft inimitable , de mê- me que la magnificence des entrées de Balers, comme pour les danfes éle- vées, les danfes balles, ou danies fi- gurées de la compoliuon du Sieur Pecourt , Se qui font exécutées par des Danfeurs Se des.Danfeufes, qui fçavent l'Art de cara<5berifer les paf- fions par les mouvemens de la danfe avec des grâces Se une nobl'etTe di- gne d'admiration, ce qu'on ne trou- ve pas dans toute l'Italie ; ainfi l'on peut convenir fans prévention, que Ç\ l'on joignoit toutes ces grandes perfections à celles des Opéra d'Ita-

Y iij

4^i Histoire delà Musique, lie, elles compoferoientun fpectaeîe dont la reprefentation feroit compa- rable kr la magnificence d'un Triom- phe Romain.

Enfin le nombre prodigieux des reprefentations qui fe font faites en Muiïque depuis plus de deux fiécles, dans toutes les Cours de l'Europe , peuvent fournir une infinité d'idées auilï ingenieufes que diverfes , à ceux qui veulent s'appliquer à la compofition des Spectacles. Les An- ciens n'ont prefcrit aucunes règles pour ces actions de Mufîque , & les ont abandonnées pour ainfi dire au génie, Se à l'expérience de ceux qui les inventent ; parcequ'ils ont jugé, que i'efprit agit plus heureufement quand il efl; fans crainte ; l'élévation de le caprice y régnent autant que l'on veut, pourvu qu'il y ait quel- que proportion ou rapport de bren- féance avec le fujet que l'on traite, & à la diverfité des Scènes , pour les rendre plus agréables ; mais il faut avouer que toutes ces reprefenta- tions font du moins aufïï redevables de leurs perfections à la magnifi-

ET DE SES EFFETS. 465

cence & à la generofité des Souve- rains qui en ont fait la dépenfe, qu'à ceux qui les ont compofées , fans quoi la Mufîque feroit encore re- ftrainte au chant de l'Eglife, & bor- née dans les Concerts particuliers , telle qu'on la voit aujourd'hui dans les Ecats les Spe&acles ne font point encore en ufage.

CHAPITRE XIII.

De la fenfibiliti que les Animaux ont

four la Mufîyue , & d'une Cbajfe que Us Grands Adogols font au fon- des Inftrwnens.

UN grand nombre d'experiencet femble nous perfuader que la Mufique étend fa pui(Tance fur tout ce qui refpire dans la Nature : j'ai déjà fait voir la force de fon amen- dant fur les pafïions, Se je vais rap- porter ici des faits qui prouvent que tous les Animaux font fenftbles aux charmes de la fymphonie , puifqu'ils expofent fouvent leur liberté & mê-

V iiij

4^4 Histoire de la Musique,

ne leur vie aux charmes d'une belle voix , &: à la douceur des Inftru- mens : ils ne s'abandonnent pas feu- lement au plaifir de les entendre ; mais on voir encore combien la Mu- fique les rend difciplinables.

Pline dans Ton Hiftoire naturelle eftde cefentiment, puifqu'iîditque de tous les Animaux , il n*y a que le Tigre que la Mufique met en fu- reur, au lieu de l'adoucir , ce qui fait voir la férocité infurmontable de cet animal.

Suétone rapporte que l'Empereur Galba, après Ion retour d'Efpagne, donna dans Rome un fpe&aclc il fie voir des Eîephans quimarchoient en cadence fur la corde au fon des Inftrumensj & que l'Empereur Do- natien fit encore dreffer une troupe d'Elephans pour danfer un Balet , aufqucls on montroit des pas& des figures difficiles à retenir ^ un de ces Animaux ayant été battu pour n'a- voir pas bien retenu fa leçon , on remarqua que la nuit fuivante, il la répéta de fon propre mouvement au clair de la Lune, pour éviter le châ-

ET DE SES EFFETS. 4.6$

timent ; de farce que ce Balet fut re- prefenté parfaitement dans Rome , au grand étonnement des Specta- teurs :auiïi prétend-on que de tous les Animaux, il n'y en a point qui approche plus de la fufrîfance hu- maine que l'Eléphant j mais ce n'eft pas le feul endroit il paroît que la Providence encréant cet animal, a voulu le raprocher de l'Homme, auquel il fert d'aide très-necetlaire dans la plus grande partie du Mon- de; nous voyons même en France, comme dans les Provinces de Berry, & de Claarolois , qu'un Laboureur ne fçauroit labourer avec des Bœufs, s'il n'a quelqu'un qui chante à la tête de la charue pour les animer au travail , ce qui eft en ufage de tous les tenis.

L'on a rapporté dans les Chapi- tres précedens plusieurs exemples de Balets , de Joutes de de Combats de Cavaliers faits en cadence au fou des Inftrumens dans des Fêtes pu- bliques. Les gens de Guerre fça- yent que dans les Batailles, les che- vaux s'animent aifemenc au fon des

V v

466 HrsroiRfi de ia MusrqûE, trompettes êc des timbales, de mê- me qu'ils le font à ïa ChafFe lord qu'ils entendent les Cors des Ve- neurs. Ceci paroîtra encore plus fin» gulier ; c'eft: qu'étant en Hollande en i 6 S S , j'allai voir la Maifon de plaifance de Milord Pordand , je fus furpris d'y voir une fort belle Tri- bune dans fa grande Ecurie: je crus d'abord que c'étoit pour coucher les Paîfreniers ; mais l'Ecuyer me dit que c'étoit pour donner des Con- certs aux Chevaux une rois la femai- ne pour les égayer , aufquels ils pa- rorffoient être fotrfenfibles : il y avoit dans cette Ecurie des attelages de fept à huit mille écus.

Les Naturaliftes difent que les Biches font fi ravies du fon d'une belle voix, qu'elles fe couchent pouc l'entendre avec plus d'attention \ 8c qu'il y en a qui font (1 enchaatées de la Mufique, qu'elles fe laiffent prendre fouvent fans réfîftance : je fçai du: moins que cela arrive aux: Oifeaux, puifque deux de mes amis particuliers m'ont dit, que le pre- JEier. Gentillïomme du: dernier Duc

IT DE SES EFFETS. 467

de Guife, les mena un jour prome- ner au Mefnii- Montant, & qu'étant aflîs fur un banc dans îe Parc, ce Gentilhomme tira de fa poche une efpece de chalumeau dont il joua des airs champêtres comme les Bergers j êc qu'en moins d'un quart-d'heure , mes amis m'ont affiné qu'il y vint quantité d'Oifeaux fe placer fur leurs bras qu'ils avoient étendus exprès pour les recevoir. Ces Oifeaux fe laifloient prendre à la main fans s'effaroucher ; & ces deux perfon- nes m'ont aiTuré que s'ils avoient voulu, ils auroient pris tous ceux du Parc en deux heares de tems.

Rien n'eft plus commun que de voir les Rofïignols dans le temps qu'ils font en amour s'afifembler dans un Bois , lorfqu'ils entendent jouer de quelques Inftrumens , ou chanter une belle voix, à laquelle ils s'effor- cent de répondre par leurs gazouil- îemens avec tant de violence, que j'en ai vu fouvent tomber pâmez aux pieds d'une perfonne qui avoir, comme l'on dit, un goder de Rofîï- gnol ? pour exprimer la flexibilité

V Yj

46S Histoire de la Musique, d'une belle voix. J'allois fouvent prendre ce divertiffement avec elle dans un Bois à fa Maifon de Cam- pagne.

L'on trouve fort fouvent aux Tuil- leries pendant le mois de Mai, des gens qui y vont les matins avec des luths & des guitares, & autres ln« flrumens pour prendre ce divertine- ment $ les Roffignols 8c les Fauvet- tes viennent fe placer jufques fur le manche des Inftrumens pour les mieux entendre, ce qui prouve que les Oifeaux font plus fenfibles aux charmes de la Mufique qu'à leur li- berté -, je vais en rapporter encore d'autres exemples que je tiens de mes amis, êc d'autres qui fe fons pafTez à mes yeux , lefquels prou- vent inconteftabîement la forte in- clination de ces Animaux pour la lv ufique.

Monficur de . .. Capitaine dans le Régiment de Navarre , fut mis fîx mois à la Baftilîe, pour avoir parlé top librement à M. de Louvois j il pria M. ^Gouverneur de lui accor- der la permifiïon de faire venir fon

1T DE SES EFFETS. 469

,ath pour adoucir fa priion. Il fut fort étonné de voir au bout de qua- tre jours dans le tems qu'il jouoit, iortir des Souris de leurs trous, cV des Araignées defcendre de leurs toi- les, qui vinrent former un cercle à l'entour de lui , pour l'entendre avec une grande attention, ce qui le fur- prit 11 fort la première fois , qu'il en refta fans mouvement ; de forte qu'ayant celle de jouer , tous ces In- fectes fe retirèrent tranquillement dans leurs gîtes ; cette aiîemblée donna lieu à cet Officier de faire fes reflexions fur ce que les Anciens nous ont dit des Orphée , d'Arion , & d'Amphiom II m'a dit qu'il fut deux jours fans jouer, ayant eu de la peine à revenir de fon étonne- ment, outre qu'il avoit uneaveriioa naturelle pour ces fortes d'Infecles; néanmoins il recommença à donner un Concert à ces Animaux , qui fenabloient venir chaque fois en plus grand nombre, comme s'ils en avaient convié d'autres -, de forte que par la fuite du temps , il s'en trouvoit une centaineautour de lui ;

47© Histoire de t A Musique, mais pour s'en défaire, il pria un des Porte-clefs , à qui il fie voir ce fpe&acle , de lui donner un Chat , qu'il enfermoit quelquefois dans une cage quand il vouloit avoir cette compagnie , & le lâchoit quand il vouloit la congédier ; tellement que c'étoit pour lui une efpece de Co- médie qui adouciftbit fa prifon. J'ai été fort long-tems à douter de cette Hiftoire ; mais elle m'a été confir- mée depuis fix mois par M. P. . . In- tendant de Madame la Ducbeiîe de V . . . . homme de mérite & de pro- bité, lequel joue deplufieurs Inftru- mens dans la dernière perfection;

Il m'a dit qu'étant à il monta

dans fa chambre pour fe délafler après la promenade , Se qu'il prit un violon pour s'amufer en attendant le fouper. Ayant mis de la lumière devant lui fur une table , il n'eut pas joué un quart- d'heure, qu'il vit différentes Araignées defeendre da plancher , qui vinrent s'arranger fur la table pour l'entendre jouer, dont il fut très-furpris ; mais cela ne l'in- terrompit pas , voulant voir la fin de

IT BE SES ÎIFITS. 471

cette fingularité ; elles réitèrent fur la table fort attentives jufqu'a ce qu'on entrât dans fa chambre pour l'avertir d'aller fouper : il m'a dit encore qu'ayant celle de jouer, ces animaux remontèrent dans leurs toiles, aufquels il ne voulut point faire de mal. C'eft un divertiffement qu'il s'eft donné pluileurs fois par curiofîté.

Nous voyons familièrement à la Campagne, lorfque les Abeilles font effarouchées , que l'on les rafTemble dans leurs ruches au fon des poêles r ôcdes poêlons, ce qui fe faifoitdans l'ancien tems avec des cymbales-.

Et pour faire voir encore combien les Animaux font fenfîbles à la Mu- fique ; j'ai vu autrefois à la Foire feint Germain, des Rats danfer en cadance fur la corde au fon des In- ftrumens , étant debout fur leurs pattes de derrière , & tenant de pe- tits contre- poids , de même qu'un Danfeur de corde. Il y avoit une autre troupe de huit Rats qui dan~ foient un Balet figuré fur une gran- de table au fon des violons y. 6c avec

47* Histoire delà Musique, autant de juftetïe que des Danfeurs de profeflion ; mais ce qui furprie davantage , ce fut un Rat blanc de la Laponie , qui danfa une farabande avec autant de jufteife & de gravité qu'auroit pu faire un Efpagnol ; Ton donnoit quinze fols pour voir ce fpe- étacle , auquel j'aurois donné plus d'attention, Ci j'avois crû en devoir faire un jour l'Hiftoire. Le Maître qui dreiToit ces Animaux , me die qu'il feroic voir l'année fuivante des chofes plus extraordinaires ; mais il n'a point paru depuis dans Paris.

Monfïeur de la Mothe-le-Vayer, rapporte qu'en Guinée il y a des Singes qui jouent de la flûte & de la guitarre dans la dernière perfection.

Mais ce que tout Paris a vu faire cette année a la Foire faint Laurent par ce Singe admirable , que l'on appelle Dlvertijpint , eft encore plus furprenant , puisqu'il faifoit vingt chofes différentes , avec autant d'a- «Irefïe Se de jugement , qu'une per- sonne l'auroit pu faire , entr'autres étant vêtu en femme , il dan(ou avec ion Maître un menuet en cadance.

ET DE SES EF! ETS. 47$

Enfin l'on peut dire qu'il reprefen- toit une Comédie, avec un Chien qui étoit Telle, bridé & inftruic à le féconder pour l'exécution de fe$ exercices ; il jouoit du Bilboquet & apprenoit encore à jouer du Violon pour être plus parfait.

Thevenot dans Tes Voyages d'O- lient, dit que les Conducteurs des Chameaux dans les Caravannes , chantent de certaines chanfons qui les font aller beaucoup plus vite que tous les coups de fouet. qu'on pour- rait leur donner , fur- tout quand ils font des journées plus grandes qu'à l'ordinaire.

Ce n'eft pas feulement par orne- ment que l'on pend des fonnettes à nos Mulets, quand ils vont en voya- ge ; ce carillon eft pour eux une ef- pece de Mufique qui adoucit leurs peines & augmente leurs forces.

Il faut croire que les Anciens ne nous ont rapporté la fable d'Arion, que pour nous apprendre que la Mufique étend fa puiflance jufqu'anx Poifïons dans la Mer, ce qui m'a été eonfirmépar un Pilote qui avoitfait

474 Histoire delà Musique, trois fois les voyages de long cours j il me dit que dans un tems calme, on voyou des Poiflons monftrueux, qui fuivoient les VailTeaux quand ils entendoient jouer des Initrumens, ©u chanter une belle voix.

Solin rapporte encore , qu'il y avoit en Sicile une Fontaine con- facrée à Apollon, dans laquelle on voyoit des Poiflbns qui paroifloient fur la fur- face de l'eau, fi' tôt qu'ils entendoient jouer des Inftrumens , & qu'ils étoient confwltez comme les Oracles d'Apollon, du tems des Payens , llv. $2, ck 2.

Nous avons encore quantité d'e- xemples de la fenfibilité des Animaux domefliques pour la Mufique. LeRoi a eu un Serain de Canarie, qui chan- toit dix ou douze airs de flageolet, èc quelques Préludes en perfection 'y Sa Majefté à un retour de Chafie, trouva le Serain mort dans fa cage , $c reconnut que c'étoit faute d'eau j elle dit feulement à fes Officiers fans s'émouvoir, que s'il n'avoir point été Roi, que fon Oifcau ne ferait pas mort , pareequ'il auroit eu foin de lui donner à boire.

HT DE SES EÏHTJ. 47^

Il y a long tems que j'en ai vu un

pareil chez M. B qui chante

jufqu'à iix grande airs de flageolet y & des Préludes -, il a coûté deux cens Ecus, à condition que celui qui l'a- voit drefTé le viendroit recorder tous les huit jours, faute de quoi la mé- moire manque à ces petits Animaux, & oublient bien tôt ce qu'ils ont appris par méthode pour reprendre leur chant naturel.

La ChaflTe des Grands Mogols, Se des Grands Kams , n'eft pas moins furprenante , puifqu'elle fait voir en- core la puitTance de la voix , & des Inftrumens fur tous les Animaux. Cette Charce fe fait par politique,' pour occuper pendant l'Hyver des Armées de cent & de deux cens mille hommes, dont les Officiers de la Vénerie Royale ont le commande- ment fous les ordres de l'Empereur.,. Il y a trois ou quatre cens Veneurs . à cheval qui fonnent du Cors pour conduire la Challe, fuivant les Re- glemens qui font faits comme pour l'Art Militaire, .

L'on commence d'abord par dif-

476 Histoire de la Musiqtje, pofer l'Armée à l'entour du centre ; elle forme une circonférence de 10 ou trente lieues, dans les Cantons du Royaume, qui ne font prefque pas habitez. L'on fait de feveres défen- fes aux Officiers & aux Soldats fur peine de la vie, de tirer, ni bleiïet de leurs armes aucuns des Animaux qui fe trouvent dans l'enceinte de la Chaflcj, qui ne fe fait qu'au fon des voix, Se des Inftrumens Militaires y £c des trompettes de quinze pieds de longueur appellées Kerrena, les- quelles font un bruit très, éclatant, 8c d'autres à l'ordinaire, des tymbales , des cymbales, des tambours , des fi- frëSjdcs haut-bois Se quantité d'autres Inftrumcns, dont nous"Vavons pas Tuiage ; ce tont les feules armes dont il eft permis de fe fervir dans cette furprenante ChalTe , lefquels néan- moins étonnent (i fort tous les Ani- maux par leur bruit éclatant , qu'ils fe lairîent conduire dans le centre de la Chafte , comme des troupeaux de Moutons, quoi- qu'il s'y trouve des Lions, des Léopards, des Ti-. grès , des Panthères, des Ours, des

ÏT DI SES E n 1 T î, 47^

Cerfs, des Biches, des Sangliers, Se généralement toutes fortes d'A- nimaux , dont les plus foibles font fouvent dévorez par les plus féro- ces dans les commencemens de leur jonction., quoi- qu'ils femblent de- venir plus fouples &c plus dociles, pendant les trois mois que dure cet» te ChalTe. Les cris de les huées que font les Soldats de cette grande Ar- mée pour étonner les Bêtes féroces, ne font pas moins furprenans que le fon d'une infinité d'inftrumens dont on joue la nuit &c le jour j de forts que la circonférence delà ChalTe, diminuant à mefure de la marche, il fe trouva/à la fin deux ou trois mille déroutes fortes d'Animaux ref- ferrez dans le centre , lefquels font auffi fouples que des Moutons. Alors l'Emoereur aiîemble tous les CiE- ciers de l'Armée pour aller combat- tre ces' Animaux le fabre à la main, avec les dards ôc les flèches, n'étant .pas permis de fefervir d'armes à feu ; Ton ouvre le centre de la Cha(le5dans lequel l'Empereur entre le premier pour combattre au fon des fanfares,

478 Hïstoiri de la Musique, Se des voix ; l'on ea eue louvent la moitié pour faire de grands feftins à toute l'Armée pendant trois jours, êc Ton laifle aller le refle en liberté qui s'en retourne dans les Forefts & dans les Cavernes , pour repeupler les lieux d'où ils ont été chaflez. Hiftoire des Adogols s & des Grands Kams de Tartane, far de la Croix* ch. 7. Voyage de Mireonde.

J'ai vu bien d'autres exemples delà fenfibilité des Animaux pour la Mu- fîque , comme de Chiens , de Chats , qui font fort attentifs au fon d'une belle voix , & des Inftrumens que je pourois rapporter ici , fi je n'appré- hendais d'abufer de la patience du Lecteur , outre que je crois en avoir aflez dit pour confirmer l'opinion qu'on doit avoir des effets que peut produire la Mufîque par rapport aux animaux ; ce que je n'aurois pu croire non plus que bien d'autres , h* je n'en avoisvû l'expérience, du moins d'une partie des faits que je rapporte. J'y ajouterai encore par curiolué ce que les Chinois difent d'un Oifeau qu'ils ont en la Chine appelle Lacm 9

IT OI SIS EFFETS. 479

ou Oifeau de bec de cire , de cou- leur cendrée j il n'eft pas plus gros qu'un Merle, & pafle pour un pro- dige de nature. Cet Oifeau apprend fi facilement tout ce qu'on lui en- feigne, qu'il fait deschofes incroya- bles ; il reprefente tout feul une Co- médie , il touche des Inftrumens , ÔC joue aux Echecs j il fait l'exercice de l'Enfeigne , il manie une épée , & une lance comme le Singe dont j'ai parlé, & de fi bonne grâce, qu'il charme tous les Spectateurs : ce qui a fait dire au Père de Magaillans , qui l'a vu dans fon Voyage de la Chine , qu'on ne fçait ce qui eft plus digne d'admiration, ou Finftinà de cet Oifeau , ou i'induftrie de ceux qui l'enfeignent -y il ne lui manque que d'apprendre à chanter des airs nottez , puiiqu'i! parle comme un Sanfonnet , ôc chante fort bien de mémoire.

Jean Chriftoval Auteur Eipagnol, qui a fait la Relation du voyage que Philippe II. fit de Madrid a Bru- xelles, l'an 1549, rapporte qu'un Muficien fit un Concert d5 Animaux

4S0 Histoire de la Musiqvb , des plus extravagans qu'on puilFe imaginer, donc il donna la reprefen*. tation dans une Procefïïon qui fe fie à Bruxelles , ce qu'on appelle Cœr- maife , laquelle eft accompagnée de fpectacles les plus finguliers.

Le Corps de Mufique étoit fur un grand Char , dans le milieu étoit un Ours afïis, qui touchoit une ef- pece d'Orgue, non pas compoféede tuyaux à l'ordinaire -y mais d'une vingtaine de Chats enfermez fepa- rement dans des caiiïes étroites, ils ne pouvoient Te remuer ; leurs queues fortoient en haut, 5c liées à des cordes attachées au regiftre de l'Orgue ; à mefure que l'Ours pref- foit fur les touches, il faifoit lever ces cordes , 8c tiroit les queues des Chats pour les faire miauler des tons de baffes^ des tailles, & des deiïus félon la nature des airs j ce qui fe faifoit avec tant de proportion , que cette Mufique ne faifoit pas un faux ton.

Au fon de cette Orgue bizarre, on voyoit danfer des Singes , des Ours , des Loups , des Cerfs, & d'autres

Animaux

ET DE SES EFFETS. 4S1

Animaux qui compofoient des en- trées de Balet fur une efpece de théâ- tre tiré par deux chevaux , qui fui- voient ce Concert ; il y avoit encore dans le milieu du théâtre une grande cage dans laquelle étoit une troupe de Singes, qui jouoient de la Cor- ne-mule ôc d'autres Inftrumens, au fon defquels tous ces Animaux dan- foient des danfes particulières , ôc reprefentoient la Fable de Circé^, qui changea les Compagnons d'U- liffe en Bêtes.

Quoique Philippe II. fût le plus ferieux , ôc le plus grave des Hom- mes, il ne put s'empêcher de rire en voyant la bizarrerie de ce fpe&a- cle , bien que l'on puilTe juger que de tous ces Animaux , il n'y avoit que les Chats & quelque Singes qui fulTent naturels.

Si le Lecteur en veut fçavoir da- vantage touchant les effets de la Mulique par rapport aux Animaux, il pourra voir PHiftoire que Jouftori a fait de leur inftinct -, celle de Bel- Ion fur les Oifeaux , Ôc celle de Ron- delet lux les Poiffons : car les faits

X

4S1 Histoire de la Musique, que je rapporte ne font pas tirez de ces Auteurs » qui en rapportent auffi quantité d'exemples,

CHAPITRE XIV.

Conclu fîon de l'Hifteire de la M h fi que.

LEs Platoniciens & les Pythago- riciens , ont été fi prévenus en faveur de la Muûque ,. qu'ils ont prétendu que c'étoit lui faire tort que de lui donner le nom d'Art, ou de Science ; le premier, difent-ils , eft trop (impie &c trop borné ; ôc le fécond, quoique plus relevé & plus, étendu, ne fatisfait pas encore.

Il faut , difent-ils , convenir d'une plus parfaite idée de l'harmonie, qui s'empare imperceptiblement de tou- tes les facilitez de notre ame, & qui furprend tous les autres fentimens, dans le moment que nous en fommes charmez.

Mais il faut dire atifll quelles gran- des idées que ces Philofophes ont eu de la Mufique , nous font prefque

ET DE SIS EïPïTS. 48$

inconnues , puifque nous n'avons point vu depuis les Grecs , de Mu- siciens qui rayent portée plus loin que faint Grégoire j elle tient feule- ment fa place parmi les Arts Libé- raux , puifque les Philofophes les plus fenfez , Pont mife en parallelle avec l'Art de la Peinture; parceque Ton en peut juger par la diipofition du defTein , Tordre , les groupes , les contraires , la perfpedtive, le ton , la variété des couleurs, la diftribution des lumières , les ombres, les demi- teintes, les clairs-obfcurs, les mou- vemens, le repos, la vivacité des coloris, la carnation, la délicateiTe des traits , enfin toutes ces chofes enfemble forment une harmonie qui a beaucoup de rapport à la Muflque. Cependant je crois devoir encore rapporter ce que ces Admirateurs en difent, pour faire voir la diftin- ction qu'ils en ont fait avec les hau- tes Sciences.

L'on convient, difent-ils, que les Mathématiques, parlent pourêtre la plus profonde de toutes les Scien- ces j parcequ elles nous enfeignent

Xij

484. Histoire de laMusïque, les chofes par de véritables démon- ftracionSjC'ellpourquoi quelques Phi- lofophes l'ont définie, en la nom- mant /' Excellence des Difcipiines -, ce- pendant les Mathématiques ont un objet commun avec la Mufique , qui confident dans la grandeur, la quan- ticé continue & difcrete, les tems, les proportions , les raifons , les ha- bitudes, &* fur-tout l'Arithmétique, font également du reflbrt de la Mu- fique.

Ils difent encore, fi la Logique, que Ton nomme aujourd'hui L* Art de P enfer , nous fait valoir l'inven- tion des Syllogifmes j la fugue dans la Mufique n'eft pas moins inge- nieufe ; & Ç\ l'Art de trouver la dé- finition d'un Problême eft renfermé dans celle là, celle-ci définit de mê- me par des exprefîîons & des mo> dulations diftin&es, tous les mou- vemens des payions.

C'eft ainfi que les grands Parti- fans de la Mufique en raifonnent ; mais toutes ces idées ne fubfiftent plus que dans leurs imaginations, parceque nous voyons que ie grand

ET BI SES EFFETS. 4$£

fçavoir des Muficicns d'aujourd'hui, faute d'être Poètes 8c Philofophes comme les Anciens, ne confifle plus que dans la compofîtion du chant, ôc dans les accords des Chœurs de Mufique , chacun fuivant Ton gé- nie & les règles de l'Art; de même qu'un bon Rhetoricien forme un beau difcours par l'arrangement des lettres de l'Alphabeth, fuivant les principes de la Grammaire ; aind e'eft une erreur de croire que la Mu- fique l'emporte abfolument fur tou- tes les Sciences Se les Arts , qui ont chacun leurs dogmes , leurs princi- pes, & leur mérite particulier.

Il eft vrai que félon faint Augu- ftin , & faint Thomas , la Mufique peut élever nos efprits à la contem- plation des chofes Celefles ; Piaton , Socrate & Fythagore, nous exhor- tent à l'apprendre pendant notre jeunefTe , pour nous fervir comme de cométif contre les pafïïons ; c'eft au (fi le premier emploi qu'on en doit faire; elle en: encore très-utile au Gouvernement politique, & in- difpenfable à un Prince, puifqu'au

X iij

4S6 Histoire de la Musiqjte, fendaient de Denis d'Halicarnalfe , qui dit qu'on ne peut entendre le traité du gouvernement de la Re- publique de Platon , fans fcavoir la Mufique , ce qui fe confirme par l'u- fage qu'en font les Chinois pour le gouvernement de cet Empire \ elle efl aufïi convenable pour nous dé- lalTer l'efprit , après les occupations ferieufes -} elle peut même nous con- duire à la perfection des Sciences, puifque Ton voit dans l'Antiquité, que les Munciens qui ©nt acquis le plus de réputation, étoient aufS grands Philofophes , que bons Poè- tes. La Mufique femble être l'appui des hautes Sciences, enfin elle a tant d'étendue, qu'il efl: difficile d'attein- dre à fa dernière perfection.

Je fçai bien qu'il faudroit avoir une élégance Se une imagination convenable à la grandeur du fujet, pour la perfection de cette Hiftoire; mais j'ai lieu d'efperer que malgré fes défauts , elle ne laifîera pas de plaire par fa nouveauté , & qu'elle pourra conduire l'idée du Lecteur fur l'origine de la Mufique ôc de fes

ET DE SES EEE ETS. 487

effets jufqu'où elle peut aller ; & dont nous n'avions en France que des lumières imparfaites, quoique les François punTent fe vanter d'a- voir eu connoilTance de la Mufîque aufîi-tôt que pas une des Nations de l'Europe , comme je lai fait voir par des autoritez inconteftables.

F IN.

ERRATA.

* ^ge aligne 10. qu'il pût, lifez,, qu'il peut.

•T. 4- /. if. Mafée, ff/. MufeV

*P. iç, /. ig\ en bonne, lif. en grande.

*P. 17. ' 6"- afferabloient > /»/T s'afl'embloient.

*7- 19. /• 13. Tan 1^0, /(/: l'an iyij. ;

*P. ?o. /. 14. hrchiniolle , lif. larchiviollc.

9- îf . /. 12. qu'en fait, /i/! qu'en fie.

•P. *8. /.\. fix aîles., lif. fes aîles.

ldemt /. ïç. dont, /i/7 d'où.

*P 7Ç. /. i*. glandes pinales , Uf. glande pihale.

rP. 83. /. 11. cordes, /*/. accords.

*P 8eT. /. 9. fe f©nr , Itf. le font.

P. il?- /. zo. préceptes, lif. principes.

P. 111. /. yy. Lacedemoniens, lif. Lacedemoniennes»

Idem , /. ig-, couverts, fi£ couvertes.

'• 'fî I. 19- Auteur, lif. Afteur

P »$o. /. C . m'a fait de peine , lif m'a donné de foins.

P- 191.I. \&. des vertueux,/i/] des plus vertueux.

P- 200. /. i. l'on voit, lif l'on vid.

P' ioj.Z. io. le-; Confuls , lif & les Confuls.

P. 114. /. 9. prefeffion , lif. profuiîon.

P' tro. /. 1. avec fa lyre, lif. fur fa lyre.

f* Î4J. /• f. à la naiflance, Uf. & à la naifiance.

p' 16?> /. f. le plus joli, Itf le plus poli.

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